Le maloya, un antidote trouvé en Réunion

V/A Oté Mayola
Strut, 2017
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Musique Journal -   Le maloya, un antidote trouvé en Réunion
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Le Mayola : j’ai rencontré ce mot pour la première fois au milieu des années 2000, quand, jeune professionnel de la musique, j’entendais le nom de Danyel Waro à l’affiche du festival Africolor, ou plus tard de celle des Transmusicales de Rennes – et ça ne m’intéressait pas vraiment, pour tout dire, alors que le maloya était sur le point d’être inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO (en 2009). 

Et puis au cours de la première moitié de l’année 2016, avec Benjamin Fain-Robert (alias Baron Rétif), on s’est retrouvés à passer plusieurs jours par mois au Musée du Quai Branly à écouter les références francophones de sa médiathèque. C’était à l’invitation des Siestes Électroniques en vue d’un set à jouer le 3 juillet de cette année-là, et on s’était particulièrement penchés sur les musiques de l’océan Indien, sur des pot-pourris de « ravannes », allons savoir pourquoi, mais de fait, comme un déclic.


Quand est sortie l’anthologie Oté Maloya à l’été 2017 – et que je l’ai achetée dans la minute – j’étais déjà prêt à passer mon année à l’écouter : impossible d’être insensible à l’authenticité et la créativité de ces 22 chansons françaises – oui, techniquement, ces chansons sont du 974, c’est-à-dire du département ultramarin de la Réunion –, extraites pour la plupart de 45 tours autoproduits publiés entre 1975 et 1986. Comment avaient-elles pu, depuis tout ce temps, ne pas circuler hors de l’île-département et des cercles d’initiés ? Probablement parce que jusqu’au milieu des années 70, le maloya était interdit par l’administration française : la simple possession d’instruments de musique traditionnels comme le kalamb ou le roulèr était fortement répréhensible. C’était alors le Parti Communiste Réunionnais qui produisait les premiers enregistrements sur ses compilations Peuple du maloya. Firmin Viry, né en 1935 et longtemps membre du Parti, est alors le premier à pratiquer le maloya en dehors de la sphère privée, de le donner en spectacle, en somme. Je ne suis pas du tout expert, mais l’extrait YouTube archivé sur la chaîne Seggaeman974 du « kabar 20 désanm » de 1994 de Firmin Viry et de sa troupe maloya en situation est effectivement spectaculaire : on compte bien une centaine de personnes, qui chantent, qui dansent, et qui jouent une percussion. 

Car ici, tout le monde joue une percussion, du triangle au gros tambour (aucun autre instrument n’est présent) et chante les chœurs, à part la quinzaine de danseuses qui elles, dansent comme des oiseaux. Tout ça ne s’arrête pas un instant pendant les 35 minutes de l’extrait. S’y succèdent 6 ou 7 chanteurs principaux qui tour à tour prennent le lead, puis retournent à leur place d’opérateurs percussionnistes-choristes. Dans le cercle des chanteurs qu’on voit souvent au second plan, j’ai cru identifier Thierry Hoareau, déjà présent en chanteur-danseur principal cette fois dans une autre archive de la chaîne Seggaeman974, une performance en prise directe du groupe Kisaladi (« Qui a dit ça ? » en créole réyoné) datant de 1988. 

La chanson s’appelle « Mazine pa moin » et à force de l’écouter, j’en ai capté le refrain en créole, assez entêtant : « Arrêt fair l’intéressan tu connai mi laime pas trop sa ». Plus intimiste, la prestation n’en est pas moins puissante – au passage là aussi, tout le monde danse comme des oiseaux, les pieds serrés, ce qui est évident quand on sait que la danse maloya s’est inventée les pieds enchaînés. Bien sûr, 1705 vues au compteur, c’est peu, mais c’est ici la seule trace existante de cette chanson, alors saluons ce Seggaeman974, l’archiviste stakhanoviste des musiques de l’Océan Indien.

Depuis quelques mois, j’ai regardé ces enregistrements des dizaines de fois, au point que ces productions me semblent désormais très habituelles (alors qu’elles sont en fait, dans l’autre réalité, à ce jour carrément confidentielles). Et si on me demande des directions artistiques à donner en retour d’écoute de démos, je me lance assez systématiquement dans cette propagande déroulée pro-maloya. La radicalité de ces enregistrements est suffisamment authentique pour toucher tout le monde : une voix et des percussions, rien de plus minimaliste (et fascinant) que ce dispositif, et donc rien de plus simple à transposer en pratique. C’est cependant assez exigeant au niveau de l’interprétation vocale puisqu’elle est alors le canal exclusif de la mélodie. Cette évidence pop est encore plus flagrante dans sa version fusion tel qu’on la découvre sur Oté Maloya : la chaloupe des grooves et les arrangements aux tendances psych de ces productions sont une alternative idéale aux grooves caribéens, qui du reggae à tous ses dérivés reggaetonisants, en passant par le zouk et le zouk love inondent la pop globale depuis quelques lustres – ici, c’est de bien plus loin, c’est l’Océan Indien.

Voici donc les raisons pour lesquelles il a été laborieusement décidé, à la Souterraine, d’orienter nos sélections de chansons sur ces influences de l’Océan Indien. Évidemment, tout n’est pas si fluide, et c’est pas demain qu’on aura un volume Souterraine 100% maloya hybride, mais sur RURBAIN, notre dernier en date, on en entend l’injonction : il y a d’abord La fin du monde de PIN (ex Ludo du même nom), une chanson très bien écrite et relativement engagée qui s’est transformée, depuis la première maquette qu’on a reçue au rythme binaire déjà entendu, en une ritournelle de maloya pop, totalement inédite en son genre – et donc très stimulante.  Il y a aussi le tube « Li Sem » de Jessica Persée, un classique à la Réunion, totalement inconnu du reste de la France. Un track ultra-entraînant littéralement porté par le flow de la jeune Jessica, alors âgée de 15 ans : la musique jouée ressemble à une version rock du seggae, hybridation reggae du sega (ou l’inverse). La chanson ouvre l’album Di pa Papa, publié en 1997, qui connaît un gros succès local (3000 CD vendus dans tout l’Océan Indien). Hors YouTube, il est impossible de l’écouter, puisqu’elle n’est plus en vente nulle part. Aujourd’hui, elle entre en playlist sur Radio Nova, quelques semaines après la mise en ligne de RURBAIN, et c’est une joie de savoir qu’elle sera désormais écoutée par plusieurs centaines de milliers d’auditeurs chaque jour. J’avais bien la certitude d’avoir affaire à une chanson souterraine majeure du patrimoine français des dernières décennies, mais j’avais un doute par rapport à cet incroyable solo épique de gratte électrique de plus d’une minute en plein milieu de la chanson. Quelle radio oserait diffuser une telle quantité de guitare aujourd’hui ?

Quelques années après 1997, Jessica Persée stoppe sa carrière de chanteuse ; elle a 18 ans. 17 ans plus tard, en 2015, elle sort un nouvel album, Viv, aujourd’hui introuvable hors de l’Île ; elle remonte sur scène avec son groupe, en 2015 au Festival Sakifo. Trois ans plus tard, plus rien n’est actif, ni sa page Facebook officielle, ni son site d’artiste, et jamais personne n’a répondu à nos multiples messages et courriers électroniques – Jessica a de nouveau disparu du jeu.

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