N’oublions jamais : Nessbeal est l’original emoboy du rap français

Nessbeal feat. Myma Princesse au regard triste
Nouvelle Donne Music, 2006
Nessbeal feat. Vitaa Peur d'aimer
Nouvelle Donne Music, 2006
Écouter
Spotify
Deezer
Apple Music
YouTube
Écouter
Spotify
Apple Music
YouTube
Musique Journal -   N’oublions jamais : Nessbeal est l’original emoboy du rap français
Chargement…
Musique Journal -   N’oublions jamais : Nessbeal est l’original emoboy du rap français
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Nessbeal revient ces jours-ci – enfin ça fait déjà un an, mais là il vient de sortir un album surprise, Lumières nocturnes, on ne va pas s’en plaindre – et je vous avoue que j’en suis ravi. Je suis un peu une bille en rap fr, mais j’ai toujours eu une grosse tendresse pour Nabil Selhy, ce grand échalas souriant à la voix si caractéristique. Je n’ai pas rincé sa musique dans ma jeunesse – que ce soit en solo, au sein du 92i au début (souvent en featuring avec Booba) ou même avec le groupe Dicidens, que m’a fait découvrir le mab-den Jean Carval, il y a relativement peu de temps –, mais j’y ai été exposé fort, et il faisait plus que partie du paysage : il a participé à la construction de mon ontologie rimologique. Bref, mon intérêt conscientisé pour cet artiste est tardif, et en fait c’est une bonne chose puisqu’il garde une certaine fraîcheur à mon oreille, ce qui est quand même un sacré luxe aujourd’hui.

N.E.2.S me semble aussi être une influence importante du rap des années 2000 mais aussi de celui d’aujourd’hui : ses textes sans espoir ouvrent des abysses de tristesse, mais surtout sa voix d’écorché à deux doigts de la rupture incarne vocalement et d’une manière très expressive ses propres failles et son vécu, une désolation affectée pré-Autotune (ça dépend) mais fonctionnant sur des modalités similaires. Il y a dans sa manière de poser comme dans ses textes une sensibilité très méditerranéenne, mais aussi clairement émo, qui annonce selon moi des phénomènes comme PNL ou Jul – avec lequel il a d’ailleurs featé sur le très réussi « Rentrez pas dans ma tête ». Le gars peut être gentiment conservateur des fois (c’est le jeu du rap, d’une époque aussi), mais a cependant toujours cultivé une très belle mélancolie prenant la forme de critiques sociales nihilistes bien appuyées.

Bien sûr, cette aura « gansta borderline, addict et autarcique » participe de son personnage mais on sent (avec cette interview Clique pas trop mal foutue, par exemple) que le gars n’est clairement pas dans le fantasme, que ce n’est pas facile tous les jours mais qu’il essaye d’avancer avec une certaine simplicité, qu’il n’y a que ça à faire de toute façon, avancer. Et c’est quand l’émoi est non seulement textuel mais aussi musicale que son œuvre entre selon moi dans une autre dimension. Je ne connais pas par cœur l’intégralité de sa discographie, loin de là, mais dans ce qui m’est familier, il y a un diptyque qui atteint des sommets absolus et indiscutables de chialerie.

« Princesse au regard triste » et « Peur d’aimer » sont tous deux issus du premier album de Nessbeal, La Mélodie des briques. La pochette dit déjà tout : un ciel sombre et incertain surplombe la moue frondeuse et marijuanée du rappeur, comme la sublimation d’un chagrin existentiel. Ce sont des morceaux à la fois mélo et durs, des prototypes de séquence émotion circa 2000 manufacturées pour le format album ; à l’époque c’était souvent un par disque, mais ici on double la mise. Toutes deux produites par Skread, comme quasiment tout le reste de l’album d’ailleurs, elles font intervenir des chanteuses – sur la première, une certaine Myma, inconnue au bataillon Discogs, et l’archange Vitaa sur la seconde. C’est aussi là que réside leur particularité, dans cette juxtaposition qui ne fait pas tant contraste qu’elle rebat les cartes niveau émotion : conforté par ces voix assurées qui l’empêchent de couler, Nabil s’épanche et se disloque, crache sa douleur sans peine, mal en point mais toujours fier.

« Princesse au regard triste », déjà. Je crois qu’à part « L’Olivier » de Wallen – et à la rigueur celle-ci de Matt Houston – aucune autre chanson rap/r’n’b des années 2000 ne diffuse une si puissante sensation de nostalgie et de mélancolie. L’instru est déjà incroyable dans sa précision émotionnelle, Elle incarne sonorement tout une époque, avec ses arpèges de piano (façon Sofiane Pamart, t’sais) et de guitare (avec un son limite indie, t’sais), la sécheresse des drums, les chœurs qui feraient fondre le permafrost, et puis évidemment les renforts de cordes en staccato sur le refrain, c’est incroyable. On est dans de l’artisanat, fonctionnel certes mais avec toujours une petite attention pour les détails ; c’est les compagnons de la larme, ambiance Mario Winans ! Ce son parle des femmes droites qui donnent tout à des gadjos qui laissent à désirer, et donc de sa mère, et donc des daronnes en général – il y a des passages plutôt bien vu sur la charge mentale de la parentalité dans l’interview de Mouloud, d’ailleurs –, et on sent que le sujet ne laisse pas Selhy de marbre, il chavire quasi dès le début, avec son « quand j’suis loin de toi, tu chiales des larmes de dem » un peu en dehors, un peu poussé, totalement ému. J’adore aussi le pont chanté par Myma, concis et super simple, bien bien r’n’b, archétypal certes, mais qui fait le taff.

« Peur d’aimer » continue sur la même lancée, avec une instru vraiment très similaire : le piano qui attaque direct à l’américaine, les réflexions douces amères sur l’amour, les cordes synthétiques, la carrure rythmique autoroutière et surtout Vitaa, qui joue quand même dans une autre ligue, avec ses petits mélismes puissants et ce refrain tout soyeux. La façon dont Nessbeal pose est remarquable aussi, il y a un truc haletant et super entraînant qui donne envie de croire en l’amour même s’il nous déchire le cœur, sa plume est fournie, aligne des mots soignés et dévoile tout sans pudeur, c’est exactement mon créneau cette vibe néo-romantique loubarde, avec des vers à la fois sombres et fragiles – « J’ai vu l’pire que c’est glamour attends qu’j’arrose de proses la roseraie », je comprend même pas le sens du truc mais ça reste fou.

Voilà, j’espère n’avoir pas heurté trop de puristes en parlant du monument rap qu’est Nessbeal, de vrais O.G. qui le feraient assurément bien mieux que moi. Mais c’est ça qui est bien aussi aujourd’hui non, que cette musique-monde incontournable soit également discutée par des néophytes ? En tout cas longue vie à Nessbeal, merci pour le cœur qui saigne, tu es définitivement le patron de tous les bandits sensibles !

Un commentaire

  • amdin-k dit :

    J’ai écouté assidument du NE2S pendant toute la période Mélodie des Briques/ Roi Sans Couronne – et en plus j’habitais pas loin des Hautes-Noues (le quartier d’origine de Nessbeal). Alors, oui, pour moi il a toujours eu une place spéciale dans le palmarès des MC Franciliens – et en tant qu’amateur de rap fr, je trouve que l’article rend justice à sa grande sensibilité.

Punks mexicains martelant cumbia sur marimbas : bienvenue dans le troisième monde de Son Rompe Pera

Michaël Spanu, notre correspondant permanent à Mexico, nous guide à travers la mégapole et ses musiciens de rue, dont certains sont devenus des stars, tels les frères Gama du groupe Son Rompe Pera.

Musique Journal - Punks mexicains martelant cumbia sur marimbas : bienvenue dans le troisième monde de Son Rompe Pera
Musique Journal - En ce jour de prière musulmane, écoutons la chantre Alima Coulibaly

En ce jour de prière musulmane, écoutons la chantre Alima Coulibaly

La chantre ivoirienne Alima Coulibaly fait une musique fantastique qui célèbre la foi musulmane, mais que n’importe quel mélomane saura apprécier, quel que soit son rapport à la religion. 

Dans les années 70, Colin Blunstone a élevé la vulnérabilité pop à un niveau séraphique

Chanteur des légendaires Zombies, Colin Blunstone a mis en forme, avec son album One Year, une orfèvrerie pop où se déploie une sensibilité et une fragilité exacerbée venant bousculer les codes de la masculinité de son époque. Et ce matin, pour notre plus grand  bonheur, Aurore Debierre nous en dit plus !

Musique Journal - Dans les années 70, Colin Blunstone a élevé la vulnérabilité pop à un niveau séraphique
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.