La Maurane de 1998 devrait être une icône seapunk

MAURANE L'un pour l'autre
Universal, 1998
MAURANE Toi du monde
Universal, 2000
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Musique Journal -   La Maurane de 1998 devrait être une icône seapunk
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Maurane a longtemps été pour moi le contraire de ce que j’aimais en musique : une francophone blanche qui chante le blues ou le jazz, avec tout ce délire autour des grandes voix, pour moi c’était vraiment l’enfer. Ma sœur Cécile, pourtant responsable d’une grande partie de mon éducation musicale quelques années plus tôt, m’avait dit un jour qu’elle l’aimait bien et qu’elle pensait même aller la voir en concert : je pense que j’ai dû la vanner pendant facilement dix ans après cette déclaration. Et puis il y a cinq ou six ans, un ami du nom de Cédric Fargues, auquel je fais beaucoup plus confiance qu’à Cécile en termes de musique, m’a appris qu’il adorait Maurane, surtout le morceau « L’un pour l’autre ». Je suis allé écouter le titre, puis le EP dont il était extrait, et ces chansons m’ont tout simplement bouleversé. La musique de Maurane souffre du syndrome dont souffrent tous les artistes ayant eu le bonheur et le malheur de sortir des énormes tubes : dès qu’on entend sa voix, on croit qu’elle va nous faire « Toutes les mamas » et « Sur un prélude de Bach » et bien souvent on ne peut l’imaginer chantant autre chose.

Ce qui m’a permis de m’extraire de cette ornière, c’est la production de « L’un pour l’autre » : Claudine Luypaerts, de son vrai nom, plane au dessus d’une instru à la Enya, avec des irisations japonaises, des ondulations indiennes, un chœur « afro » et puis arrive un drop trip-hop franchement bien balancé. On aurait peut-être pu faire sans cette écume de gratte électrique, mais quoique, elle met cette vibe un peu cyber-rock à la Achtung Baby, pourquoi pas après tout ? Et c’est là qu’on sent que Maurane était une vraie kiffeuse de musique, pour de vrai, elle n’a pas eu peur d’en rajouter, elle y va, royale au dessus de tout ça, avec ses textes sur une histoire d’amour fusionnel. C’est la deuxième plage de ce disque qui est en fait une compilation, dont les cinq premiers morceaux sont des inédits – drôle de projet, je ne sais pas si ça se faisait beaucoup, j’imagine que Maurane n’avait pas encore assez de matos pour sortir tout un album mais qu’elle s’est dit que cinq chansons c’était déjà un bon teaser, et elle a eu raison. Cette petite suite est très belle de A à Z mais je recommande surtout « C’est la vie qui décide », balade trip-hop digne des meilleures du genre, avec des cordes, un bon breakbeat, des petites tablas et une performance vocale à couper le souffle, du genre qui fait adhérer aux paroles sans la moindre hésitation – paroles un peu cheesy, certes, mais néanmoins touchantes et vraies, comme souvent le sont les clichés. Je ne tiens à vous forcer la main, mais honnêtement si vous ne ressentez rien de spécial en écoutant cette chanson, ça me rendrait très triste (surtout pour vous). En tout cas, cette patine typiquement fin 90, mêlée à la pochette aquatique et aux paroles mystico-intimes, annonce un peu, selon moi, l’esthétique seapunk, et j’aimerais bien savoir pourquoi les gens de l’Internet Wave n’ont encore pas posté un edit de la Maurane 1998 sur leurs Soundclouds.

En 2000, Maurane sort un vrai album, Toi du monde, avec un son souvent néo-world, mais sans opportunisme ni orgueil : là encore on sent que c’est un vrai goût de sa part, et en même temps elle n’a pas envie de s’accaparer abruptement des répertoires qui pourraient sonner faux avec sa voix, donc elle se lance légère, mais convaincue. Du coup ça donne une sorte de variété lounge hyper bien produite, un peu datée, mais pas vraiment ringarde, ou disons qu’elle a pu être ringarde à un moment mais qu’aujourd’hui elle ne l’est plus. Toutes les compos ne sont pas réussies, certes, mais le disque contient beaucoup de très bonnes choses. Il y a un folk new age avec une ligne de chant très forte d’entrée, un blues orchestral écrit par Cabrel, encore dans cette veine variété trip-hop qui a donné pas mal de trucs qui mériteraient d’être redécouverts en France (y a pas que Eden de Daho !), ou ce titre trop mignon qui parle d’Internet : « Il neige des e-mails ». « Légende indienne » en fait presque trop sur le kitsch ethno mais heureusement la mélodie et les arrangements de cordes soulèvent très vite tout ça, et on vole au dessus des cimes des Anapurna. Sur « Barbares attraits » écrite par Brigitte Fontaine, Maurane se permet carrément de scatter sur un beat jungle light, et un peu plus loin « La chanson de la pluie » écrite par JC Vannier excelle aussi, plus classiquement, avec là encore des cordes mais qui nous ramènent en France (ou en Belgique), avec une thématique cocooning mélancolique. À partir de là c’est un final somptueux, ouvert par le morceau-titre, le fantastique « Toi du monde » avec son accordéon, ses cordes, ses tablas, ses moods par plateaux, ses changements d’accords en veux-tu en voilà, et ce son 3D incroyable. J’imagine ma soeur écouter ça à fond dans sa Renault 19 à l’époque où elle était tout le temps sur la route pour son boulot et je me dis qu’elle devait bien se la donner entre deux rendez-vous pro : Cécile, je m’excuse de m’être foutu de ta gueule et si tu veux la prochaine fois qu’on monte en bagnole ensemble on écoutera cette chanson épique. « Modus Vivendi » calme le jeu un mais reste vivace, puis « Invisible » sonne comme un cousin arabisant de « L’un pour l’autre », c’est superbe, on sent que Maurane a rincé les albums de Natacha Atlas et Amina et qu’elle leur rend hommage avec son coffre maxi-volume. On termine avec un beau piano-voix sur la mort de son père, puis par un trio de cordes sans voix – l’album se clôt sans elle : ça c’est ma Maurane.

Les érudits m’objecteront que j’aurais pu parler des premiers disques de la chanteuse belge, au début des années 80, de ces merveilleux singles jazzy voire boogie qu’elle avait sortis avec Pierre Barouh chez Saravah. Et effectivement, j’aurais pu, mais d’une part l’anthologie réunissant ces enregistrements n’est pas sur les plateformes, et surtout je crois que je préfère ces albums plus ambitieux, plus commerciaux aussi. Ils sont ceux d’une femme de 40 ans à qui le succès donne la liberté de faire à peu près ce qu’elle veut, et qui ne pense plus vraiment en termes de tubes ni même d’image et se lance juste dans les aventures qui lui semblent les plus grisantes. Maurane, pour ceux qui l’ont vue dans le jury de La Nouvelle Star ou qui la suivaient sur Twitter, avait clairement l’air d’en avoir rien à foutre de l’opinion des autres, et n’avait jamais quitté sa petite maison de Bruxelles alors qu’elle aurait pu fréquenter le showbiz parisien « pour sa carrière ». C’est le genre de personnalité qui fait qu’on aimera toujours notre chanson francophone et qui nous fait oublier nos préjugés de branchés variétophobes. Sur son album suivant, Maurane lèvera le pied sur le lyrisme orchestral, mais elle signera un duo très Gainsbourg tardif (mais updaté) avec Marc Lavoine, « Un pays mais », que je vous recommande tout aussi chaudement que ces deux disques qui, je l’espère, vous feront du bien. Repose en paix Maurane.

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