Je ne demande qu’à changer d’avis, surtout que je n’ai pas non plus écouté des catalogues entiers, mais ce que j’ai pu entendre de la techno depuis le début des années 2010 m’a le plus souvent plombé. J’imagine que c’est un peu le but, qu’il y a un truc de choc et de punition en marche dans ces snares qui coupent tout mouvement et tout espoir et ces kicks qui cassent les genoux plus qu’ils ne les propulsent, mais bref, les sons lourds, rapides et plus ou moins « indus » que j’entends dans pas mal de mixes ne me font pas trop bouger plus que la tête. C’est de la musique qui donne des coups parce qu’elle s’en est elle-même pris, qui constate les ravages et les fait résonner, plus qu’une musique activement au combat, qui espère encore une issue, ne serait-ce que pour le corps et la volonté. Je généralise forcément, mais en tout cas jusqu’ici j’avais donc entendu très peu de choses aussi dynamiques que ce EP de Ben Ritz, sorti sur le label new-yorkais Trope Insurance.
C’est le premier disque de ce garçon de 25 ans originaire de Philadelphie. Il se dit fan de Jeff Mills, de son usage si spécial du crossfader et de son label et usine à tools Purpose Maker. Ça s’entend pas mal, mais ce n’est pas non plus de la copie fidéliste. Ça sonne souvent live – Ritz se produit d’ailleurs en tant que live act, en parallèle de ses performances de DJ – avec tout ce que ça peut apporter de jouissif et de vivant : ça « part » pas toujours là où ça devrait, mais du coup quand ça part vraiment c’est une main sûre et vibrante qui passe les vitesses et ça, c’est quand même pas mal. Il y a cette ambiance d’atelier de mécanique dans chaque morceau, on devine l’effort, le goût du bruit, les essais de moteur, une dimension fonctionnelle mais toujours nourrie par la volonté de tester, d’expérimenter. Apparemment Ritz a commencé à faire du son adolescent, sans connaître Mills et compagnie, et s’est rendu compte en les découvrant ensuite qu’ils avaient commencé le boulot alors qu’il n’était pas encore né.
Les cinq titres sont cohérents mais variés, ça peut s’écouter au casque comme ça mais évidemment on aimerait entendre ça sur un dancefloor ou lors d’une séance de body-pump ou de power-zumba chez Énergie Forme. Le premier track est peut-être le plus expérimental ou disons le moins frontal, le kick est un peu furtif ou en retrait, et puis ensuite ça décolle totalement avec « Breath Exercise », qui joue avec un sérieux salutaire sur la 909, instrument dont Ritz se dit toujours étonné de la longévité du pouvoir qu’il exerce sur les danseurs, et c’est vrai que c’est dingue quand on y pense. Les plages 3 et 4 sont à peu près dans le même style « sprint constructif », c’est une sorte de brutalité utile, si j’ose dire, de la musique motivationnelle pour les freaks – de la techno qui dit yes, voire de la techno qui dit oui, comme la ruche du même nom. Le dernier morceau me fait penser de la ghettohouse hijackée par des parasites, avec une snare très courte et une basse qui rampe là-dessous, l’air d’avoir deux airs. Ritz dit que la fonctionnalité club et la critique de cette fonctionnalité sont toutes deux au centre de son travail, et en effet, là on est en plein dedans.
J’ai écouté le reste du catalogue Sweat Equity, c’est pas mal du tout, il y a un peu de tout, et de son côté Ben Ritz va prochainement sortir un deuxième maxi pour le label italien Merge Layers, qui fait des très bons trucs aussi. Il a également un projet plus orienté « vrais instruments » avec d’autres artistes, qui s’appelle Tension Gauze et qui va éditer un EP en autoprod dans quelques mois. En tout cas bravo, avec une mention spéciale pour ce look Celio à deux nuances de marron, très « bi-DEUG socio/anglais », dont j’espère de tout mon cœur qu’il n’est pas la nouvelle panoplie normcore à Brooklyn mais le vrai style sérieux de Ben.