En 2015 King Doudou avait vu venir la zumba

KING DOUDOU 5913 Xmas
Audiomack, 2015
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Musique Journal -   En 2015 King Doudou avait vu venir la zumba
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Si l’on devait schématiser l’évolution du rap français dans les années 2010, on distinguerait deux dynamiques majeures : l’explosion de la trap d’un côté, la vague zumba de l’autre. Sauf que là où la trap est un vrai genre cohérent, la zumba n’en est pas tout à fait un. Le terme, employé par Rohff en 2013 au sujet de la musique de Gims, a certes de quoi faire rire, mais fallait-il vraiment le reprendre à notre compte – tout particulièrement en tant que journalistes – pour désigner tout un pan du rap dansant ? Fallait-il réunir des morceaux aux influences si diverses sous une même étiquette dont la confusion n’a d’égal que le mépris moqueur dont elle est porteuse ?

À l’image des « musiques du monde », la zumba n’est pas tant une catégorie analytique opératoire qu’un révélateur de notre occidentalo-centrisme, qui voit matière à rigolade exotique en tout ce qui ne viendrait pas du continent nord-américain. Pourtant, s’il est devenu courant de souligner l’aspect problématique des « musiques du monde »,  le mot « zumba » continue à nos yeux de rester parlant. Quitte à ne pas chercher à comprendre la diversité musicale qui la caractérise ?

Retour en 2015, année charnière de cette décennie de rap français. Jul, l’OVNI, sort son album My World avec le titre emblématique « Wesh Alors ». L’artiste triomphe et conforte son rôle de porte-étendard de ce nouveau rap dansant. Gradur, l’étoile filante, sort sa mixtape ShegueyVara 2, avec le tube « Rosa » et son imagerie latino-américaine. Enfin, PNL, les astres sombres, sortent leur deux premiers projets, Que la famille et Le monde chico. Deux des morceaux les plus marquants de ce dernier disque, « Oh lala » et « Dans ta rue », sont produits par King Doudou, DJ et beatmaker jusqu’ici davantage reconnu dans le monde des musiques électroniques hybridées que dans celui du rap. Le 24 décembre, un miracle advient : ces trois astéroïdes de l’année 2015 rentrent en collision, à travers un EP mis en ligne par King Doudou, intitulé 5913 Xmas – le 59 étant le département du Lillois Gradur et le 13 celui du Marseillais Jul.

Sur ce projet de quatre titres, King Doudou s’amuse donc à remixer ces deux artistes, accompagnés de leurs acolytes Houari et Soprano. Il réalise également un tour de force, à une époque où tout ce que recouvre le terme de zumba est bien plus méprisé qu’il ne l’est aujourd’hui. En effet, il prend ces morceaux au sérieux, arrive à comprendre la multiplicité de leurs influences et références, à les souligner, et même à les renforcer. En d’autres termes, il refuse de considérer la zumba comme un bloc uniforme, et préfère construire un enchevêtrement rythmique complexe qui éclaire les non-dits de ces tubes du rap français en 2015.

On a souvent reproché à Jul la simplicité de ses instrumentales home-made, leur nudité. C’était sans comprendre que l’artiste compose ses productions non comme des instrus « classiques » de rap, mais davantage comme des riddims de dancehall dont il superpose les patterns avec une efficacité et une débrouillardise redoutables. King Doudou, lui, l’a bien saisi, et tout au long de l’EP ne garde souvent que l’essence même de ces riddims – et va jusqu’à retirer les couplets rappés – pour en faire des boucles placées au centre de remix obsessionnels. Ainsi, le beat entêtant, synthétique mais discret d’« Amnesia » de Jul devient le cœur de sa relecture, qui prend des allures de tube enfantin.

Le DJ cherche même à pousser plus loin les intentions des rappeurs sur 5913 Xmas. Ainsi, sur le plan rythmique de son remix de « La gâchette » de Jul, il introduit des motifs afro-caribéens, là où le Marseillais s’était contenté du minimum. La pulsation de Jul se rapprochait presque de celle de l’EDM, celle de King Doudou va partir d’une rythmique trap, lente et menaçante, associée à un piano froid, ornée des fameux « Young Chop Snares » (du nom du producteur attitré de Chief Keef) et de sirènes, pour introduire une rythmique plus syncopée, proche du dancehall mais aussi du baile funk. De la procession, on passe à la danse. On retrouve ce procédé sur le remix de « D’or et de platine ». Le beatmaker dépouille le morceau tout d’abord, ne gardant que les paroles « gimmick » (le « Mama Mia » de Gradur et le « Oh nanana » de Jul) pour ne se focaliser que sur le beat tout au long du morceau. Mais sur cette base, King Doudou passe de la trap à une montée en puissance EDM, pour finir sur une rythmique baile funk endiablée. Celui qui se fait aussi appeler Douster a l’art des contrastes percussifs et des changements de vitesse.

Alors oui, au milieu de toutes ces rythmiques éreintantes, quatre titres ça suffit bien, et sans doute que 5913 Xmas s’écoute mieux « en léger comme jamais, [..] zépo dans le carré » comme le préconise Gradur sur le quatrième et dernier titre remixé de l’EP, « La Mala », dont la ligne de basse épaisse soutenue par des claps syncopés en fait sans doute le titre le plus orienté club du EP.

Mais le projet n’en reste pas moins la preuve que la zumba n’existe pas, mais qu’en revanche tout un pan du rap s’est ouvert au milieu des années 2010 à des influences bien plus diverses que le rap américain, contestant ainsi son hégémonie. D’ailleurs, 2015 est aussi l’année d’émergence de l’afro-trap, dont l’influence est très nette sur ce EP qui va parfois chercher du côté du coupé-décalé. Plutôt que de recouvrir ce grand bouillonnement du couvercle de la zumba, sans doute faut-il encore remuer la marmite, à la manière de King Doudou, qui réussit ici autant à condenser et simplifier des morceaux emblématiques de ce virage musical qu’à les ouvrir et les varier encore un peu plus, pour mieux nous faire danser.

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