Le nouveau projet de Christophe Chassol s’appelle Ludi : il l’interprète (et le montre, puisque c’est à la fois un album et un film) déjà sur scène mais ne le sort en disque que début mars. Comme son nom l’indique, Ludi s’intéresse à l’idée de jeu. Il s’inspire au départ du roman de Herman Hesse Le Jeu des perles de verre et travaille donc des sources ayant toutes en commun d’être issues de pratiques ludiques : en vrac le basket-ball, les montagnes russes, les bornes d’arcade ou, dans cet extrait mis en ligne la semaine dernière, les jeux de cour de récréation où on doit se taper dans les mains et/ou se baisser quand on entend dire son prénom – je ne sais pas comment s’appelle ce jeu, et je ne sais pas non plus très bien si je comprends les règles, mais là n’est pas la question.
La méthode d’harmonisation que développe Chassol depuis ses débuts a une dimension miraculeuse dont je ne me lasse pas, ça marche à tous les coups sur moi. C’est évidemment déjà très beau quand il l’applique à des pièces déjà musicales, mais ça devient carrément magique quand il l’introduit dans un univers qui n’est pas exactement de la musique au sens noble du terme mais « seulement » du son et du rythme. J’adore sa façon d’accompagner, de danser avec les voix et les battements de mains de ces collégiennes, c’est génial de mettre de la musique dans la vie comme ça, quand elle le demande ou du moins qu’elle sous-entend qu’elle pourrait se laisser enchanter. C’est une approche d’une part très enfantine, presque puérile de chantonner comme ça sur un support qui n’est au départ que du bruit, c’est comme quand on fredonne la mélodie d’une sirène des pompiers ou qu’on murmure des airs indistincts en même temps qu’un son vrombissant de moto ou de sonnerie du métro qui se ferme (vous voyez ce que je veux dire ou pas du tout ?). Et d’autre part c’est une façon de rappeler l’idée noble et mystique d’une musique universelle, d’un écho originel du divin, que le Rhodes de Chassol aurait le don de faire résonner. Ça me plaît beaucoup, le principe de faire apparaître la musique hors de ce qui fait œuvre, de faire vibrer le vivant, les liens entre les gens, leur rapport à l’espace, aux mouvements qu’ils y exécutent ou y improvisent. Ça permet de s’extraire du milieu du disque, de s’aérer l’esprit et les sens en embrassant les événements banals et trop souvent insaisissables du quotidien. Finalement, en captant les voix de ces adolescentes pour ensuite les transformer ainsi, Chassol réussit un tour de force artistique peut-être plus fort que la création « pure », qu’une composition intégralement écrite, si sublime et peaufinée soit-elle.
J’ai eu la chance d’écouter l’album, je ne vous étonnerai pas en vous disant que je l’ai très vite mis en boucle. Il a une vibration un peu plus frénétique que d’habitude sur certains titres, et puis il y a davantage de « vrai » chant, mais on n’est pas non plus dépaysé. D’ailleurs je me demandais si Chassol pourrait un jour rompre avec son propre son, avec cette couleur considérée comme chaude et veloutée de l’orgue Fender. Je serais curieux de l’entendre avec d’autres instruments, par exemple, un clavecin, un mellotron, une guitare électrique, un Juno-106 – mais peut-être que ça ne marcherait pas pareil, j’en sais rien.
Un commentaire
Parler de Chassol like that, ça me met en joie