Les commandos du souvenir sont toujours vivants

Smagghe & Cross 1819
Offen, 2020
CS & Kreme Snoopy
The Trilogy Tapes, 2020
Écouter
Spotify
Deezer
Apple Music
Écouter
Bandcamp
Musique Journal -   Les commandos du souvenir sont toujours vivants
Chargement…
Musique Journal -   Les commandos du souvenir sont toujours vivants
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Il pleut sur les cabanes de jardin, les velux ou les verrières et quand on a la chance d’être à l’abri, on peut accompagner ce son multi-effet de celui du disque de Smagghe & Cross, ou de celui de CS & Kreme. Ces deux albums n’ont pas seulement en commun d’être l’œuvre de duos : j’y entends (mais je peux me tromper) deux façons voisines de résister à la volatilité de ce présent perpétuel et pétillant auquel nous croyons hélas un peu trop souvent. C’est de la musique qui semble avoir été faite avec beaucoup de patience et qui s’écoute elle-même avec patience, c’est vraiment le contraire d’une musique « urgente », comme on le dit parfois de chansons ou d’albums qui m’intéressent moins. C’est de la musique principalement électronique, mais qui à mon avis ne plaira pas plus au public « électro » qu’à un autre, ce n’est même plus réellement de l’ambient : c’est libre, libéré des répertoires. Ce n’est d’ailleurs pas très étonnant quand on sait que les deux Australiens de CS & Kreme, Conrad Standish et Sam Karmel, ont par le passé joué du blues ou du postpunk, que Rupert Cross est compositeur de formation classique, et qu’Ivan Smagghe était plutôt dans le rock avant de devenir DJ. Et en tout cas, ça donne deux résultats extrêmement « sentis » (pas « bien sentis » hein), qui épousent le climat actuel, cet hiver pas très froid mais humide et venteux.

1819 et Snoopy m’évoquent des sentiments que j’ai déjà essayé de décrire ici : un temps perdu mais pas passé, comme un aperçu des limbes, un mélange de présent figé et de souvenir pas du tout familier mais qu’on aimerait quand même s’approprier sans trop savoir pourquoi. Leurs reliefs et leurs expressions sont celles d’une mélancolie qui s’est épuisée ; on ne peut plus s’appuyer sur les souvenirs et les émotions d’hier pour habiter son présent, la mélancolie elle-même est sujette à la mélancolie, c’est dur mais c’est comme ça. On doit donc se débrouiller juste avec ce qu’on a là, tout de suite, même si ça n’est pas du connu, que ça n’a pas la forme dont on rêvait. Ces échos indistincts de jours anciens, qui surgissent dans les nouveaux temps, on les entend ici presque à chaque seconde et ils donnent cette impression que oui, on peut continuer à vivre sans mélancolie, que ça ne va pas tuer les mémoires et les morts, que ça ne rend pas le monde plus triste qu’il ne l’est déjà mais que ça ne va pas non plus enchanter quoi que ce soit. Pourtant, comme ils nous permettent de nous extraire du cocon de la basse nostalgie, c’est quand même très beau qu’ils existent parmi nous, et ils nous font du bien plus que du mal.

1819 est peut-être plus profil bas, moins « rythmique » que Snoopy : il semble surtout composé de fragments recousus, recollés ensemble par Smagghe et Cross qui, il faut le dire, sont très forts pour composer, au sens moins propre que figuré, avec des bouts de choses sans nom qui finissent par former des agrégats sonores que l’on se repasse encore et encore. J’aime aussi beaucoup l’aspect tactile de leurs morceaux, il y a une sensualité animale, animale au sens des vrais animaux, pas au sens « oulala ce Russell Crowe, quelle sensualité animale ». J’entends des mouvements sonores qui pourraient être ceux d’un lièvre, d’un chevreuil, d’un gros chien noir mouillé mais fier, je ne sais pas. C’est campagnard mais pas bucolique, c’est presque sylvestre, par moments et d’ailleurs on sent qu’il y a de l’écorce et de la mousse dans cette musique, par exemple sur « Drain ». Les passages plus « mélodieux » (« Monody », « Somewhere In Time », « Antheia ») gardent ce toucher un peu sauvage, malgré leur vocabulaire plus lisible. Mais dans l’ensemble, l’album s’écoute vraiment d’une traite, on ne met pas un titre plutôt qu’un autre. Ce n’est pas du tout de l’ambient de bureau, soyez prévenus, c’est plutôt de l’ambient de sous-bois, ou disons à la limite de l’ambient pour les abris de jardin que j’évoquais en début de texte.

Snoopy, lui, est disons plus lyrique, il y a un feeling de majesté même s’il est animé par le même esprit « limbique » que 1819. On y entend un certain nombre d’instruments live en plus des machines et comme je le disais plus haut, les élément rythmiques y sont plus nombreux même si le morceau d’intro est un morceau d’ambient, j’avoue, mais d’ambient plutôt acoustique, qui me fait penser au bouleversant « Raw Silk Uncut Wood » de Laurel Halo. J’y devine aussi un cousinage avec le label Jolly Discs dont parlait Manon à la fin de l’année dernière, notamment dans l’approche très « Renaissance Man » du duo, qui visiblement peut jouer dans pas mal de styles et de registres. L’avant-dernier track « Slug » est un groove translucide qui rappelle les morceaux downtempo de Leyland Kirby/The Caretaker, « Blue Flu » sonne comme une sorte de Louderbach tibétain, bref les mecs sont inspirés, leurs références ne sonnent jamais scolaires, vraiment c’est fort. Et malgré cette richesse de surface, c’est néanmoins un disque de deuil, de retrait en soi, qui invoque des souvenirs mais ne réussit à en faire ressurgir que des rogatons, des assemblages qui sonnent pas tout à fait justes (écoutez par exemple « Pussywhistle Tea » ou « Time Is A Bozo »), un peu malaisants, comme quand les IA font des rêves. Une fois qu’on s’accoutume à cette étrangeté, Snoopy devient un super ami, ou au moins un bon compagnon de soirées d’hiver, passées en solitaire plutôt qu’avec des amis : il réchauffe un peu mais n’est jamais vraiment cosy.

Je ne sais pas si je suis clair dans tout ce que je viens de dire. Pour résumer, je me contenterai de dire que ces deux albums, même s’ils sont très différents et qu’ils ne « figurent » pas du tout les choses de la même manière, résistent l’un comme l’autre à la dynamique standardisée du souvenir et du rapport au passé. Ils font apparaître leur mémoire sans se demander si c’est comme ça qu’on doit la montrer, dans toute sa désolation, sa banalité presque obscène, et du coup leur démarche a un truc violent, un truc de « commando du souvenir » (l’expression désigne au départ tout à fait autre chose mais je me permets de la transposer). Ils débarquent à l’improviste et, par leur expérience personnelle du passé et de l’histoire, inventent comme un présent parallèle. Bref, je vais sûrement trop loin, donc j’arrête, mais écoutez ces disques même si vous trouvez que je m’égare, car je suis en revanche certain qu’ils sont incroyables, l’un comme l’autre.

Chanter des tubes de divas à l’écran avec Barbra Streisand, Géraldine Nakache et Leslie Nielsen

Les Français connaissent-ils si bien la discographie de Barbra Streisand ? Pas sûr. Géraldine Nakache est-elle meilleure chanteuse qu’actrice ? À voir. La série des Y a-t-il un flic avec Leslie Nielsen est-elle encore drôle aujourd’hui ? Ça, oui. Aujourd’hui, on parle un peu de films et un peu de chansons sur Musique Journal.

Musique Journal - Chanter des tubes de divas à l’écran avec Barbra Streisand, Géraldine Nakache et Leslie Nielsen
Musique Journal - Tra Tra Trax et la  désidentification du reggaeton

Tra Tra Trax et la désidentification du reggaeton

Victor Taranne nous présente aujourd’hui le jeune label Tra Tra Trax, basé à Medellín, qui défend une conception impure du reggaeton, propre à déjouer les attentes du public occidental et à défendre la « désidentification » des codes esthétiques.

N’oublions pas qu’après Maxinquaye Tricky était presque Dieu

En 1996, Tricky sortait un album épuré et sec, usant immodérément d’un sampling à la répétitivité dogmatique, sous l’alias Nearly God. Une œuvre riche en collaboration, dont Loïc Ponceau dissèque pour nous la production et l’agencement.

Musique Journal - N’oublions pas qu’après Maxinquaye Tricky était presque Dieu
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.