En 1996, un couple de jeune Rouennais, Alexandre et Laetitia, ouvre une boutique de disques dans leur ville : ça s’appelle Katapult. Ils y vendent pas mal de choses, du rap à la techno dure à la Spiral Tribe, et s’intéressent aussi beaucoup à ce qu’on appellera bientôt la « minimale ». Quand le magasin déménage à Paris fin 1999, d’abord dans le 11e, vers Parmentier, puis dans le 3e, près du Marché des Enfants-Rouges (quartier où on pouvait à l’époque encore boire un café en terrasse pour moins de 14 euros), il devient par la force des choses le haut lieu de ce nouveau genre, ou plutôt de tous ces nouveaux sons réunis sous ce terme. Pour moi, la minimale était un truc encore exotique en France et je trouvais ça super qu’un disquaire lui consacre autant de place : ça voulait dire un truc de trouver des bacs remplis de références Playhouse, Perlon ou Kompakt. Surtout que l’expression « minimale » (souvent accolée de l’adjectif « allemande ») signifiait en fait des tas d’esthétiques différentes, qui avaient principalement en commun de n’être ni de la grosse techno, ni de la house post-French Touch. Elles proposaient surtout des approches alternatives de la fabrication de la dance music, avec d’autres technologies, d’autres influences, d’autres « objectifs », un truc à la fois plus ludique et plus réflexif, un mélange de maturité et de régression jouissive. Une partie de ce que j’entendais sonnait à mes oreilles comme la suite plus club, plus DJ-friendly de certains trucs IDM/« braindance » ou dub-techno des années 90, tandis que d’autres choses proposaient à l’inverse des formules venues de la house, de l’electro ou de la techno, mais souvent déformées et re-traitées au point d’en devenir problématiques pour les danseurs les moins imaginatifs.
On trouvait chez Kata à la fois des disques très breakés, très vrillés, mais étrangement groovy, et des tools imparables en 4/4, mais boostés par un son presque troublant de nouveauté et de fraîcheur. Il y avait aussi pas mal de bacs consacrés à des choses moins sophistiquées, plus baston, qui marchaient fort à l’époque au Pulp et ailleurs : je parle de ce son « electro-techno » très européen, joué à fond par The Hacker ou Jennifer Cardini, et qui parfois fusionnait avec la minimale – là tout de suite je pense sans trop réfléchir à ce qui sortait par exemple BPitch Control, mais il y a plein d’autres occurrences.
En plus de ça, Alex et Laetitia étaient des gens sympathiques, avec une attitude de Rouennais à la bonne franquette, sans en faire des tonnes. Ils n’étaient ni des gros forceurs qui faisaient semblant de s’intéresser à tes goûts pour te fourguer quinze maxis de merde, ni des branchés hyper hautains qui te saluaient à peine quand tu débarquais chez eux. Au magasin travaillaient également DJ Wet et Jean Nipon, et plus occasionnellement DJ Feadz et, justement, Jennifer Cardini. C’était vraiment la bonne ambiance et je crois que c’est la dernière fois de ma vie que j’ai autant kiffé de fréquenter un peu régulièrement une boutique de nouveautés. Kata a fermé en 2005, mais le label Karat qu’avait monté le couple a quant à lui continué à sortir des disques : ces dernières années, ils ont ainsi édité des choses d’Akufen, Automat ou Ark, et ont d’autres projets en vue pour 2020. Ils font aussi encore et toujours des fêtes, à Paris et ailleurs, où ils invitent des petits jeunes mais aussi des légendes comme Villalobos.
Ça m’intéressait de savoir si Alex, quinze ans après, gardait en tête certains disques de cette période qui lui semblaient un peu oubliés, ou à côté desquels les gens étaient passés. Je lui ai donc écrit et il m’a répondu en listant cinq longs formats du début des années 2000, des choses plutôt accueillantes, qui correspondent davantage au versant deep et mélodique de la minimale qu’à ses déclinaisons plus druggy et/ou arides. Il nous fera peut-être une autre fois une sélection de ses maxis préférés dans cette tendance « weekend kétamine à Berlin », mais pour le moment il nous propose donc d’écouter ces albums et autres double EP pointillistes et funky, aux couleurs chaleureuses et aux contours enveloppants. Merci Alex !
« Un classique pour commencer, enfin je crois qu’il l’est : un disque de saison qui passe bien l’été, aussi, entre dub, ambient et minimal techno éthérée, par un producteur islandais de la « firme » Thule. »
Stewart Walker & Geoff White – Discord
« Les deux producteurs nord-américains se sont partagés les productions sur cet album homogène et mélodique, tout en finesse. Ça n’a pas l’attaque de la techno classique, ce n’est pas non plus la techno pointilliste et minimaliste de l’époque, c’est trop nerveux pour être du dub ou de la house, d’où le terme fourre-tout de minimale. »
Various – Futuristic Experiments #004
« Une magnifique compilation exprimant parfaitement l’air de son temps, une somme de producteurs très forts (Akufen, Sutekh, Donnacha Costello…), de la grâce, du sentiment, de la recherche, un disque deep qu’on peut écouter dix fois de suite. »
« Orchestré par Baby ford et Thomas Melchior, avec leur groupe Soul Capsule qui y signe quelques morceaux, ce double maxi sorti assez confidentiellement et en vinyl uniquement est vite devenu un objet de convoitise pour les DJ. On pourrait utiliser encore une fois le terme minimal, entre la techno et la house cette fois, ni l’un ni l’autre même si la base est groovy, Il s’agit de la veine typique de Soul Capsule, du swing et une basse lourde et ronde, à l’anglaise… »
Carsten Jost – You Don’t Need A Weatherman To Know Which Way The Wind Blows
« Dialrec, maison de Hambourg, a vraiment été une pièce capitale du son de cette époque, révélant des artistes comme Lawrence, Efdemin, Pantha du Prince et Carsten Jost, le fondateur du label, qui signe cette compilation de maxis. Jost est l’une des figures de ce « style » Dial, qui a posé sa marque romantique, mélancolique et sombre dans la house de cette période. Ne pas rater le morceau « Elmenreich », une sorte de house industrielle au parfum de tragédie. »