Cette époque oubliée où un membre de la famille Chédid faisait de la bonne musique

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À vrai dire, je ne comptais pas spécialement « clasher » Mathieu Chedid, ni son père, ni sa fille, ni même sa cuisine, mais vu le contexte ça aurait été curieux de parler de cet extraordinaire album de Louis sans évoquer une seconde le « live @ home » de -M-. Voilà, c’est maintenant chose faite, comme on dit. Mais ce que je voudrais surtout dire ici, c’est que l’on a beau ne pas aimer l’œuvre de l’auteur de « Machistador », il faut bien reconnaître que son paternel moustachu a eu un vrai moment de génie entre la fin des seventies et le début des eighties.

Dans les années 70, Louis avait sorti plusieurs disques fort réussis, dans un esprit folk tendrement psyché, avec un certain sens du groove et de la chaloupe, et cette personnalité vocale très distincte, un mélange doux-amer de gentillesse et de gravité, d’intimisme et de fantaisie (jeux de mots, histoires loufoques, imitations) qui pouvait troubler mais qui a connu un petit succès. Et il sortait vraiment du lot avec certains morceaux plus « modernes » comme « Hold-Up » en 1974 ou les deux versions de « Danseur Mondain » en 1979, que j’avais découvertes sur le blog Lovefingers.

Et puis 1981, Louis Chedid décide de renouveler son instrumentarium et d’investir dans des appareils high-tech – une Linn Drum et un Prophet 10, j’imagine qu’à l’époque les gens de CBS avaient dû lui dire que « ça coûtait bonbon » – et dans quelques requins de studio de haute réputation, notamment Janick Top à la basse et Denis Lable à la gratte. Le résultat, c’est un disque super cohérent et franchement radical esthétiquement vu ce que Chedid avait fait jusqu’ici. C’est très propre, presque clinique ou claustro par moments, même si la douceur de sa voix fait qu’on reste très loin de la synth-wave ou que sais-je. C’était un sacré geste de sa part, lui qui avait jusqu’ici cultivé une image de chanteur romantique et enfantin (voire limite pour enfants, en fait), baignant dans les eaux encore un peu chaudes du baba-cool refusant de regarder vers le futur.

Honnêtement, le disque est parfait à l’exception du troisième titre, qui surfe plus ou moins sur le revival rock’n’roll / boogie woogie qui marchait fort au début des années 80. Mais sinon, c’est un festival de mélodies imparables, d’ambiances d’appartements eighties, à moquette gris-beige et à balcons en plexiglas fumé, et aussi de placements vocaux hyper subtils. Chedid développe un parler-chanter bien particulier, qui semble statique alors qu’il suit en réalité une dynamique très précise, on pourrait croire à un simple talk-over alors qu’en fait ses phrases enlacent les rythmiques et s’enroulent autour des nappes de synthé avec une grâce qu’aucun Français n’a jamais atteint, à part peut-être Bashung et Areski dans des styles totalement différents. Évidemment, la chanson titre « Ainsi soit-il » est plus qu’un simple tube, c’est sûrement l’une des dix ou vingt plus belles chansons françaises jamais écrites, avec ce texte au charme mystérieux, ce surprenant passage à la tierce – ou est-ce à la quinte ? – qui arrive dès le deuxième couplet, et ce son parasite du clavier à chaque changement d’accord, que je trouve sublime, émouvant, comme une trace de maladresse et d’humanité, de médiocrité touchante au milieu d’un truc qui se voudrait tourné vers l’ère des machines – c’est vraiment trop la France, dans l’esprit.

Ce qui est bien dans cet album, c’est que si vous aimez le tube, vous n’allez pas être déçu par les autres morceaux puisqu’ils déclinent à peu près tous les mêmes couleurs, quoique selon des nuances variées. Il y a une instru très forte, « Fontana », en fin de face A, qui pourrait être un indicatif idéal pour une émission de radio rêvée ; j’aime aussi beaucoup la chanson d’ouverture, « SOS », avec Janick qui slappe comme un fou, « Chanson pour une emmerdeuse » et ses paroles un peu démago – un trait qui deviendrait par la suite un vrai problème dans les textes de Chedid, qui écrira de façon pas super légère sur les thèmes d’époque type racisme, sida, etc. –, et aussi « Dans les jardins de la villa rose » qui est sans doute aussi belle que « Ainsi soit-il », sauf que cette fois-ci les paroles abordent un vrai sujet (la dictature en Argentine, « tous ces gens qui sont morts pour rien ») mais qui étonnamment dégage une atmosphère plus proche d’une chanson d’amour ou d’une chanson de quadra désabusé qui reste quand même optimiste – enfin, disons que c’est mon ressenti.

Chedid laisse traîner un bout de son ancien style « rigolo » dans « Le musée des horreurs », avec des voix déformées et des textes satirico-régressifs plutôt sympathiques. J’adore aussi la conclusion, « Voulez-vous danser », où Louis parle de la musique qui joue derrière lui, « cette grosse caisse qui bat », et de « cette impression de quitter la terre », et ainsi s’achève ce disque à la vibe étrange bien que chaleureuse. Une sorte de variété synthétique aux paroles souvent poétiques sinon abstraites, avec une direction musicale pas très franco-française, un côté touriste permanent, limite « citoyen du monde », qu’ont certains chanteurs français de gauche de cette époque – Lavilliers, Maurane, Voulzy aussi bien sûr – mais ici guidé par une orientation électronique inédite.

Je vous conseille aussi le disque d’après, Panique organisée, qui démarre par « Pouvoir, pouvoir », gros boogie rappé de façon assez classe par Chedid, et qui garde à peu près la même teneur soft-rock cosmopolite. Mais comme je disais plus haut, les paroles commencent à poser problème, ça vire à la contestation subventionnée typique de l’ère Mitterrand, ou à la méditation assez prévisible, teintée de poésie publicitaire, sur la mort ou l’amour, mais ça marche quand même par moments, notamment sur « Illusions perdues » et « Les absents ont toujours tort » (en hommage à Dewaere), qui me font toujours un sacré effet. À la fin des années 80, sur Bizarre puis Zap, Louis continuera à s’intéresser à la technologie, mais j’aime moins le son qu’il développera, c’est moins homogène que le minimalisme d’Ainsi soit-il, ça a souvent mal vieilli, même si à certains moments ça passe pas loin d’un truc super. Et puis il approfondira aussi son registre « conscient » à gros sabots, et perdra cette poésie hors-sol que j’aime beaucoup dans les chansons évoquées plus haut. En 1992, il fera en revanche une chanson géniale, « Ces mots sont pour toi », qui ouvrira l’album du même nom (un disque inégal mais plus réussi et plus épuré que ses deux prédécesseurs). C’est une balade digne de Voulzy et Souchon – Chedid a d’ailleurs écrit plusieurs chansons pour Alain – mais avec une touche yacht-rock, néo-Compass, digne des plus grands moments de la variété internationale pour yuppies mélancoliques que j’aime tant. Bref, ne serait-ce que pour ça, et pour Ainsi soit-il, je vous dis bravo, Louis Chedid.

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