Ce disque m’a été, une fois n’est pas coutume, conseillé par mon ami Lionel. Ce vigoureux garçonnet originaire de Haute-Corse, par ailleurs trafiquant d’érables, ne cessera jamais de m’étonner par ses ressources musicales inépuisables. Il m’a présenté cet album de l’Anglo-Gallois Brian Protheroe comme une œuvre de soft-rock, et Stephen Thomas Erlewine du site Allmusic utilise le même terme, même si ce n’est pas tout à fait l’idée que je me faisais de ce genre, que j’associe plus à la Californie et à des attitudes un peu plus assurées que celle de ce fragile artiste, très influencé par Paul McCartney et plus généralement par tout ce qu’on qualifie rétrospectivement de chamber pop ou baroque pop. Mais bref, je ne suis pas non plus expert en nomenclature rock et si vous me dites que c’est du soft-rock, et bien allons-y, après tout, ce qui compte c’est que ça me plaise, ça on est bien d’accord.
L’histoire de Protheroe est plutôt sympathique. Né en 1944, il fait un peu de musique dans les années 60, passant presque pro en intégrant un groupe appelé Folk Blues Incorporated. Mais le milieu des zicos, on l’imagine sans peine, se révèle assez bouché à l’époque à Londres et le jeune Brian décide de plutôt tenter une carrière dans l’art dramatique. Ça marche bien, il se produit beaucoup sur les planches, fait aussi de la télé et semble donc avoir tiré un trait sur ses projets musicaux. Et puis en 1973, il trouve un rôle dans une pièce baptisée Death On Demand, dans laquelle il doit jouer, comme par hasard, une star de la pop. L’auteur de la pièce, un certain William Fairchild, lui fournit les textes d’une chanson à interpréter sur scène en lui demandant d’essayer d’en composer la mélodie. Protheroe s’exécute et le résultat est si bon que le dramaturge va voir les gens du label Chrysalis, qui sortent en 45 tours la chanson « Pinball », laquelle atteint la 22e place des charts, et proposent l’année suivante à l’acteur de signer un contrat plus costaud pour enregistrer un album, qui portera le nom de son single « porteur ». Là encore, Brian accepte et le résultat est super bien foutu, je crois qu’on peut le dire.
La principale qualité de Pinball c’est que Protheroe ne tire que les bons côtés de son expérience d’acteur : il incarne très bien ses chansons, mais sans trop en faire. Il y a une légère distance, on sent qu’il n’est pas en train de jouer sa vie, et puis s’il mettait trop en scène trop son histoire « méta », il risquerait de passer pour un mauvais pompeur de Bowie, voire de Phantom of the Paradise qui date justement de 1974. Il fait donc le choix de prendre la voie inverse, c’est-à-dire de ne pas trop se prendre au sérieux, mais sans non plus appuyer le côté déconne et parodique, parce qu’au fond il aime réellement faire la musique qu’il est train de faire. Ça donne quelque chose de mignon et de soigné, sans être précieux ou maniéré, qui peut s’écouter comme un petit spectacle avec ses personnages, mais qu’on apprécie tout autant sans savoir quoi que ce soit du parcours du jeune homme. Clairement fan de « Macca », mais aussi, on le devine, même si c’est un peu plus lointain, de 10CC, d’Elton John, de Todd Rungren ou de l’axe Bowie/Roxy, Protheroe a vraiment l’air de s’éclater dans son espèce de faux pastiche. Le détail le plus chou, c’est qu’il aime tellement les chord changes et les tonalités mouvantes – sur « Goodbye Surprise » entre autres – qu’il écrit carrément une chanson, « Changing My Tune », qui parle de ça, ou plutôt qui parle de ses coquetteries de compo que personne ne capte. « I wrote a key change for you/Nobody could hear/I heard a harmony/That I thought you might understand ». C’est clairement de la blague de niche, mais personnellement ça me fait bien rigoler – car j’adore l’autodérision ! Mais donc, je me répète, ce qui est vraiment savoureux dans tout ça, c’est que l’ironie qui plane sur les chansons ne les empêche jamais, par ailleurs, de s’épanouir librement, dans toute leur grâce. Et puis comme une partie des acteurs, surtout en Angleterre, où ils ont la chance d’échapper à la formation Francis Huster, l’Anglo-Gallois a une très bonne technique de chant, qui épouse parfaitement l’interprétation, au sens théâtral, de ses paroles et de ses personnages.
Brian sortira ensuite trois autres albums chez Chrysalis, où pour le coup il donnera plus explicitement dans le registre de l’acteur-chanteur qui fait une sorte de comédie musicale sur disque, avec des arrangements Broadway (mais à l’anglaise, ce qui fait toujours plaisir) et un côté « tour de chant ». À la fin des années 70, Chrysalis finira par lui dire bye bye et Protheroe reprendra, même s’il ne l’avait jamais tout à fait quittée, sa carrière d’acteur professionnel. Il a poursuivi sur les planches – notamment dans un intrigant musical adapté du Seigneur des anneaux – et dans divers téléfilms. Récemment, il a été le narrateur en voix off d’une émission de téléréalité qui s’appelait First Dates. On aimerait bien savoir si parfois il croise au pub d’autres seconds couteaux du soft-rock ou de la baroque pop traumatisés comme lui par les Beatles, avec lesquelles ils échangent des anecdotes sur les folles soirées du Londres d’alors, chez Richard Branson ou Andrew Loog-Oldham. Et en tout cas on tient à le féliciter, presque cinquante ans après, pour ce Pinball, un vrai bijou de délicatesse décontractée.
Un commentaire
Belle découverte, merci Etienne et Lionel. La voix bien posée m’évoque de loin Eric Woolfson, d’Alan Parsons Project. Hervé