Je vous propose aujourd’hui une nouvelle rubrique, qui s’appellera « À la recherche de divers aspects de la musique contemporaine », où on l’on se contentera de parler de quelques morceaux (plutôt que d’albums) découverts récemment, dans tous les genres et toutes les époques, sans lien entre eux, et sans longue explication à leur sujet. Voyez-ça comme un aide-mémoire, un bloc-notes. J’espère que ça vous plaira et que l’on arrivera à entretenir la régularité de cette colonne.
YANU – « Chutes and Ladders 1.0 »
Direct Beat était une division de 430 West, label de Detroit managé par les frères Burden du groupe Octave One. Le duo Aux88 en était le fleuron, et son catalogue est donc dominé non par la techno à proprement parler, mais par ce son néo-electrofunk très riche en 808 qu’on appelait techno-bass et qui se rapprochera un peu de la ghettotech, sans le côté salace. Ce disque de Yanu, l’une des premières reférences de Direct Beat, est en revanche un maxi de vraie techno droite et dure, enregistré par ce producteur originaire du Wisconsin, qu’on imagine donc plutôt affilié à la scène du Midwest (Woody McBride, DropBass Network, etc) qu’on sait être plus plus rave et plus brutale que la techno raffinée des différentes vagues de Detroit. Sur ce track, Yanu (alias Dave Janu, respect pour ce choix de pseudo très clairement « balec ») fait démarrer sa TB-303 dès la première mesure et pratique l’art de la montée permanente avec une telle pugnacité qu’il finit carrément par se lancer, vers 03.30, dans une sorte de « solo » acid, qui oscille entre le scratch et le didgeridoo. Yanu (aujourd’hui devenu ingénieur en R&D dans l’industrie de l’acier) avait vraiment la TB qui le démange, son solo robotique, fun et mental à la fois a vraiment de la gueule et quand on l’écoute à l’envers on entend distinctement le message suivant : « Rentre chez toi, AIROD ».
À signaler que deux ans plus tôt, la face A de la première sortie de Direct Beat, « Guerilla Warfare » de Rich Lee, autre saccage techno avec des gros stabs qui fauchent à tout va, avait figuré parmi les sélections de l’émission The Scene à Detroit – pour ceux qui n’ont jamais vu d’extraits sur YouTube de ce programme légendaire, disons que c’est un version electro/techno de Soul Train. On constatera qu’à l’époque, à Detroit du moins, tout ce qui était booty dance était encore très informel chez les meufs qu’on aperçoit dans cette séquence et qui doivent peut-être aujourd’hui regarder d’un drôle d’air leurs filles, voire leurs petites filles occupées à twerker à tout va sur TikTok. Mais ces jeunes femmes avaient néanmoins l’air de bien s’amuser même si, comme dans la plupart des vidéos de The Scene, ce sont les hommes qui dansent le mieux ou qui en tout cas se la ramènent le plus, tant en termes de moves que de sapes. L’occasion de rappeler que chez les paons, c’est le mâle qui montre ses belles plumes bleues.
FAY LOVSKY – « Columbus Avenue »
J’ai découvert il y a quelques jours cette musicienne hollandaise – on connaît d’ailleurs mal la pop batave, me suis-je fait remarquer – qui depuis les années 80 a sorti plusieurs albums inégaux mais toujours au moins intéressants, sous son nom ou en collaboration avec divers artistes. Alors qu’elle était encore étudiante en art, Fay Lovsky a appris à servir de synthés et à enregistrer et sur son troisième album, Origami, elle a sorti ce petit tube sophisticos proche de Basia, qui mêle un superbe chant jazzy-folk à la Joni Mitchell / Rickie Lee Jones et une production très « bohème urbaine », qui suit une construction complexe mais envoûtante. Et j’aime bien l’accent néerlandais en anglais, contrairement à l’anglais des Suédois, par exemple, qui souvent m’agace. On notera par ailleurs une coupe de cheveux proche de celle de Maurane à la même époque, sachant que la similitude ne s’arrête pas au niveau capillaire puisque la Belge avait elle aussi donné dans cette variété jazzosynthétique à ses débuts chez Saravah. Par ailleurs, Lovsky co-signera dans les années 90 trois disques avec un auteur de BD que j’adore même si je n’y connais rien en BD : c’est son compatriote Joost Swarte.
NOVANOVA – « Bewildered (Piano mix) »
NOVANOVA « Rosalie (Canblaster remix – Piano Version ) »
Je ne suis jamais trop rentré dans les productions du label F Comm en dépit de leurs belles pochettes et de l’importance historique incontestable de Laurent Garnier. Ça devait sonner trop adulte, trop propre, trop graphiste pour moi, je ne sais pas trop, mais en tout cas un groupe comme NovaNova, par exemple, m’était totalement passé au dessus de la tête. Et ce n’est qu’en début d’année que je suis tombé sur ce titre d’eux, un track pas du tout techno présent sur la compile Mégasoft Office 98. Clavinova épais et dégoulinant, motif néoclassique démago mais irrésistible, cordes synthétiques qui pointent comme une aube à l’arrière-plan : c’est un authentique trésor d’after, si possible dans un appartement pas trop mal meublé, ou du moins pas trop mal éclairé. Le duo rennais était connu, visiblement, pour mélanger techno, néoclassique et musique ancienne, mais le reste de ce que j’ai entendu d’eux, vingt-cinq ans après, passe toujours assez mal à mes oreilles. En revanche, on peut se réjouir que le fougueux Canblaster ait repéré leur goût pour les pianos digitaux héroïques puisqu’il a réalisé en 2018 trois remixes d’un de leurs tracks, « Rosalie », dont le premier, très orienté piano, comme son titre l’indique, me parle tout autant que ce « Bewildered Piano Mix »
SALLY – « Corps à corps »
Pour terminer, je voulais parler de cette nouveauté d’il y a six mois qui a connu son petit succès puisque la chanteuse, Sally, est un peu passée à la télé et qu’elle cumule 260 000 vues YouTube pour ce seul morceau. À vrai dire, j’avais reçu son EP au bureau, mais très vite renoncé à l’écouter après avoir lu dans le dossier de presse que la jeune femme se réclamait entre autres de Lomepal. Je ne nie pas l’existence du monde qui m’entoure, j’ai bien conscience que, vu le succès du skateur-rappeur, il est normal que d’autres artistes se revendiquent de son influence. Mais le fait de le lire noir sur blanc, franchement, ça m’a mis un coup, c’en était trop pour moi ce jour-là, je pense. Et il m’a donc fallu six mois pour rencontrer la musique de cette diva soul française très à part, puisqu’elle n’a pas, notamment sur ce morceau extrêmement bien produit par Ateph Elidja, les tics et les maniérismes de la plupart des jeunes chanteuses et chanteurs de son secteur, qui souvent me donnent l’impression de ne déployer que des émotions « posées », des sortes de tricks vocaux purement techniques, même quand les traitements vocaux sont limités. On dirait qu’ils et elles évacuent tout ressenti intime, singulier, éventuellement honteux. Alors que la voix de Sally offre au contraire un rendu très personnel, très rêche, qui rappelle Macy Gray mais auquel elle ajoute une intonation très française, impudique et juvénile, presque à la façon d’une chanteuse réaliste titi parisienne, qui la distingue aussitôt de tout ce que j’ai pu entendre ces dernières années sur ce créneau (après, je ne me tiens pas non plus au courant de tout ce qui sort et je serais ravi que vous me donniez des conseils d’écoute). Elle parle de désir et de péché, de « tension chaude » et de remords, et d’ailleurs, je vais être relou deux minutes, mais elle emploie à tort ce mot de « remords », puisqu’elle parle d’avoir des remords en imaginant qu’elle cède à la tentation de la chair, et non en y cédant concrètement, alors qu’en théorie on éprouve des remords après avoir cédé à la tentation, pas avant – mais à vrai dire ça n’est pas très grave vu l’intensité et la sincérité qu’elle met dans son truc. En tout cas, ça sonne vraiment comme certaines femmes de la soul vintage dont les chansons tournaient parfois entièrement autour de cette problématique morale, le vice ou la vertu, Jésus Christ notre seigneur versus notre corps ce démon, Apollon contre Dionysos, etc. J’ai aussi adoré son apparition dans le Planète Rap de Lord Esperanza même si je ne suis pas allé jusqu’à écouter la musique de ce rappeur controversé du 18e arrondissement. Et donc, dorénavant, je ne lirai plus les bios des disques que je reçois, ça m’évitera de louper d’aussi bonnes chansons.
Un commentaire
Pour les titres mentionnés, « Novanova » s’appelait « Nova Nova »…