Dix ans de post-club (5/5)

MAGIC FADES Obsession
MishkaNYC, 2012
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Musique Journal -   Dix ans de post-club (5/5)
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Magic Fade est un duo dont le travail est passé relativement inaperçu. Leur premier album Obsession, sorti il y a presque huit ans, mettait le RnB à l’heure du net art et des feeds Tumblr sans fin. Si l’on s’en tient aux dires des deux membres du groupe, Mike Grabarek et Jeremy Scott (un homonyme du styliste), le projet fut réalisé sans concept particulier. Obsession ne ferait que compiler leurs meilleurs morceaux enregistrés durant neuf mois en studio. Difficile à croire… Comme souvent, ceux qui argumentent le moins sont ceux qui ont le plus à offrir.

Si la pochette, aujourd’hui, ne choquera sans doute personne, elle avait à l’époque de quoi surprendre. Enclavée sur un fond blanc, agrémentée de quelques fioritures vectorielles, on distingue une photo. Au premier coup d’oeil, on identifie un étrange assemblage mécanique à la stature humaine : il s’agit d’un exosquelette. On pense immédiatement aux prophéties transhumanistes de Max More et l’on entrevoit un monde fait de surhommes augmentés de prothèses, des corps-machines merveilleux, tandis que hors champ l’homme fait de chair est exterminé. Pour beaucoup, le transhumanisme est une hérésie.

Mike et Jeremy ne sont pas technophobes. Obsession est une lettre d’amour à l’homo digitalus, un album de RnB conçu uniquement par des producteurs, qui domptent la technologie du studio et ses mille circuits. Le nerd et la machine s’unissent et, main dans la main, chantent leur amour. Les timbres sont clairs, sans aspérités, d’une propreté synthétique quasi angélique. Les cordes vocales résonnent dans la machine, traversent autotune, filtres, et effets pour émettre une forme de brume digitale. Le style n’est pas sans rappeler celui Bladee ou de Eco2K, et autres posthumains qui à l’époque nous parlent depuis le nuage de Soundcloud.

MishkaNYC, le label à l’origine de l’album, définit le projet comme du « old R&B, made new ». Les productions sont maximalistes, multi-couches et impeccablement mixées. Le spectre sonore est ample, vibrant, dense. Les samples sont légion : les diverses boucles instrumentales empruntées à Brandy, Prince ou R Kelly se fondent dans la réverbération ambiante. Chaque bribe est augmentée, sa texture optimisée. Le résultat c’est ce romantisme édulcoré, verni et cotonneux à la fois. Un éther de synthèse habité par une mélancolie douce. Obsession pourrait ainsi être écouté comme un album de teen-pop alternative pour le début des années 10. Mais les choses sont à mon sens plus complexes.

Mike Grabarek et Jeremy Scott ne sont pas n’importe quels nerdss et on peut même dire qu’ils font partie de l’avant-garde de l’Internet de cette époque, notamment porté par DISmagazine. Dans le sillage de ce fameux site, leur domaine de compétence ne se limite pas à la musique et s’étend informellement à la mode ou aux arts visuels. En 2014, le groupe ouvre ainsi une page Facebook qui lance le concept de Health Goth. En piochant dans des banques d’images, le duo constitue une esthétique où sportswear début 2000s, équipement paramilitaire et techwear se rencontrent dans la plus grande sobriété. Le Health Goth imagine un esprit straight edge et monochromatique, adapté à un lifestyle urbain et accélérationniste.

Musicalement, Obsession est pourtant loin de la cybernétique froide et percussive généralement associée à l’esthétique Health Goth. Il emprunte davantage à la vaporwave, en témoignent certains morceaux (« Maxed Out » ou « Basically Us ») comportant des résidus de sonorités de l’âge du bronze de l’informatique : James Ferraro n’est pas loin. Le septième morceau intitulé « #1-P.O.L » est une slowjam acidulée qui évoque la pop trance de la fin des années 90 ou le générique de « Ushuaia Nature ». Il ne s’agit pourtant plus ici, comme avec la vaporwave, de synthétiser des ambiances corporate afin dresser une (pseudo ?) critique de la société de consommation. Sur Obsession, le pastiche se confond avec le sérieux. Le passé n’est pas une relique que l’on regarde avec cynisme ou ironie, mais une base à partir de laquelle il est possible d’extrapoler, pour produire quelque chose de sincère.

Obsession est aussi un disque important parce qu’il se situe à un carrefour dans le paysage des avant-gardes électroniques du début des années 10. Alors qu’à la même période, dans le prolongement de la vaporwave, se développe une nouvelle art-pop, celle de PC music, AG Cook ou encore Princess Bambi, Obsession bifurque. Il annonce la brèche qui s’ouvrira autour de 2014 dans le monde de « l’Internet music ». Aux sarcasmes colorés des musiciens d’écoles d’art s’oppose alors, de façon de plus en plus claire, une musique de club expérimentale, à la fois consciente et politisée. Obsession se situe quelque part entre ces deux pôles, ou du moins tend à se distancer du premier sans pour autant céder au sérieux parfois étouffant du second.

Ce ne sont pas tant les vertus musicales de Obsession qui font son intérêt mais bien sa démarche et les questions qu’elle soulève. Le parodique ne peut-il être sérieux et le sérieux n’est-il pas une parodie de lui-même ? C’est bien souvent lorsqu’une culture alternative affirme ses revendications que la sincérité de celles ci commence à se faner.

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