Le disque de guitariste qui plaît aux gens qui n’aiment pas les disques de guitaristes

MAURICE DEEBANK Inner Thought Zone
Cherry Red, 1984, réédition augmentée 1993
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Musique Journal -   Le disque de guitariste qui plaît aux gens qui n’aiment pas les disques de guitaristes
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Si vous avez déjà écouté ne serait-ce qu’un ou deux morceaux de Felt, vous aurez remarqué que derrière la voix et les textes du fameux Lawrence coulent tels des ruisseaux (ou parfois déferlent tels des torrents) d’inimitables arpèges de guitares. Ce son néo-Byrds à la fois cristallin et anguleux, guilleret et assombri, est resté la marque de fabrique du groupe-culte de Birmingham et son inventeur s’appelle Maurice Deebank, virtuose voire génie de son instrument, doté d’une formation classique, et qui après son départ en 1985 ne pourra guère qu’être imité par ses remplaçants au lead, qui seront d’abord Lawrence lui-même, puis un certain Marco Thomas. C’est en fait le clavier Martin Duffy qui compensera brillamment l’absence du prodige démissionnaire.

Inner Thought Zone, l’unique album solo sorti par Deebank en 1984, ne doit sans doute pas plaire à tous les fans de Felt. Il y a certes quelque chose d’exaltant à entendre Maurice jouer seul, sans être en train d’accompagner ou de suivre son chanteur, ni même ses autres camarades en devant respecter la contrainte du format chanson. Mais il se trouve par ailleurs que c’est un disque qui sciemment ou non parle aussi aux fans de guitare instrumentale au sens large et qui peut espérer convertir ou du moins assouplir les « gratteux » traditionnels qui jugent l’indie-pop comme un désert technique. Je n’ai jamais joué de guitare, mais on devine instantanément à quel point Deebank maîtrise ses six cordes, comme il sait les faire chanter à sa façon, sans tellement chercher à reproduire ce qu’il joue quand Lawrence est au micro à ses côtés, même si parfois on s’attend vraiment à voir débarquer le charismatique vocaliste. Inner Thought Zone tient donc en tout cas un peu du « disque de guitariste », même s’il vient d’un background moins phallocentré que les œuvres du virtuose moyen, qu’il soit hardos, folkeux ou jazzeux. Disons que ça se rapproche plus d’un poète comme John Fahey que d’un compétiteur comme Joe Satriani, mais en même temps, Deebank ne cachait pas son admiration pour des seigneurs de la guitare prog comme Steve Howe de Yes ou Steve Hillage.

Il faut en outre préciser une chose importante, c’est que la version dix titres disponible sur les plateformes est en fait une édition augmentée de quatre titres enregistrés huit ans après, en 1992, ce qui change forcément un minimum la couleur générale de l’album. Sur les nouveaux titres, on entend plus de synthés mais aussi des effets qu’on devine digitaux. Mais ça n’empêche que le jeu de Deebank ne s’est pas non plus métamorphosé entre-temps et que dans l’ensemble, c’est le même garçon très libre qui joue sur chaque piste. Derrière leur classicisme d’exercice, les compos révèlent des petits chemins pas simples à arpenter, avec des fausses pistes, de légers cahots qui par moments évoquent les instrumentaux si fous de Zoot Horn Rollo pour Captain Beefheart (« Golden Hills » notamment sonne comme une version light de « Peon » sur Lick My Decals Off, Baby).

Il y a beaucoup d’air qui passe et qui s’échappe dans Inner Thought Zone, là où chez Felt les rythmes souvent frénétiques avaient tendance à précipiter (non sans style, d’ailleurs) les lignes exécutées par Deebank. Le fan-club hardcore de Felt (très très actif en France depuis trente ans, on le rappelle, via l’équipe de Magic et aujourd’hui de Section 26) avait peut-être trouvé ça plus « dilué » qu’aéré (toute la première partie de « Dance of Deliverance » rappelle l’intro de « Money For Nothing » de Dire Straits) et je pourrais comprendre cette critique, mais personnellement ce LP en deux temps me captive, je dirais même qu’il me fait du bien car c’est beau et bon d’observer ces notes de guitare se perdre, se dissoudre comme des formes s’éloignant vers l’horizon, ou comme des lumières qui cessent peu à peu d’y scintiller. Ce qui fait son charme, c’est qu’il est dur à situer et ne s’écoute pas ni comme un bloc de guitare classique, homogène et bien fini, ni comme un vrai essai expérimental qui voudrait renverser les cadres imposés par l’instrument. Son projet est entre-deux-eaux.

Mention spéciale au très FM « So Serene », entre John Martyn période Compass et « Ordinary World » de Duran Duran, mais sans voix, donc, ainsi qu’au susmentionné « Golden Hills », et au cinématique, synthétique et très beau « A Tale From Scriabin’s Lonely Trail ». Mais le vrai tube du disque, son cœur sincère, c’est le coquin mais mélancolique « Silver Fountain of Paradise Square », que je pourrais écouter en boucle pendant des jours si je ne devais pas remplir la mission de recommandation musicale quasi-quotidienne à laquelle je me suis engagé auprès de vous. J’en suis même à faire du air-guitar quand le thème revient vers 1.50, après le passage du DX7, c’est vous dire ! Ah ces prodiges de la gratte, ils nous auront vraiment tout fait.

PS : j’adore aussi Durutti Column, mais même si c’est le même principe de guitare solo dans un contexte britannique post-punk/indie, c’est quand même très différent, voire ça n’a rien à voir, mais ça ne vous empêchera pas d’apprécier quand même.

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