Demain c’est le weekend et c’est peut-être pour vous l’occasion d’écouter des podcasts, même si je sais que beaucoup de gens n’attendent pas le samedi pour s’y mettre et en consomment en masse au cours de la semaine, notamment pendant leurs trajets en métro – ce sont ces gens, vous en voyez peut-être vous-mêmes, voire vous en faites partie, qui ont un casque sur les oreilles et qui parfois sourient les yeux dans le vague au milieu de la rame, parce que le présentateur ou l’invité vient de dire un truc marrant.
Bref je voulais donc vous conseiller trois programmes assez différents les uns des autres qui ont le mérite de parler de musique en profondeur, ce qui n’arrive pas forcément tous les jours dans le paysage du podcast francophone. Le premier c’est Faya, un format d’une trentaine de minutes conçu par Renaud Brizard pour la nouvelle webradio Nique La Radio montée par Christophe Payet, lequel participe également à l’émission. Full transparence : Renaud a bossé pour les Siestes électroniques lorsque le festival organisait une édition au Quai Branly et il a donc comme moi été « formé » par l’indescriptible Samuel Aubert. C’est un expert en ethnomusicologie, mais s’il connaît donc très bien le domaine traditionnel il maîtrise aussi à fond les genres contemporains, en Afrique, aux Caraïbes, aux USA ou ailleurs, et c’est précisément ce dont il parle dans Faya. Réalisés par le brillant Malo Williams, les trois épisodes déjà en ligne abordent le rap ivoire, l’amapiano sud-africain et le Jersey Club. Le principe c’est de raconter l’émergence de ces styles en intégrant au récit des voicenotes de leurs principaux artisans, avec lesquels Renaud est en contact sur Whatsapp. Il y ajoute quelques pertinentes analyses, à la fois socioculturelles et audio (sur les caractéristiques propres à ces styles, leurs inspirations, leurs innovations, etc) et évidemment des extraits de tracks. Franchement c’est mortel, à la fois accessible et exigeant, je suis très fan. Les doublages des anglophones sont très bien foutus, le rythme est bien géré vu la durée du truc, et j’aurai juste une petite réserve sur la mise en scène « dialoguée » qui ponctue le propos, mais j’imagine que c’est un choix à visée pédago que j’ai du mal à apprécier puisque je suis snob et vieux. Mention spéciale, dans l’épisode Jersey, à DJ Slow qui a jugé bon d’enregistrer sa note vocale dans la rue, à l’heure de pointe, genre il a dû faire ça vers 19 heures à Jaurès, et à Sam Tiba qui, lui, parle du fond de son canapé pour expliquer que, lorsqu’il a découvert la scène de Newark, il a assez vite voulu « contacter les man ». Je me moque gentiment, et tout ce qu’il dit par ailleurs est super pertinent. En tout cas voilà, allez écouter tout ça, ça vaut vraiment le coup, bravo Brizard, on attend la suite avec impatience.
Le deuxième podcast, Cargo Cult, n’a pas grand-chose à voir avec Faya, puisque c’est un podcast monologué (voire une monographie audio), consacré aux albums-culte, écrit et présenté par Jean-Philippe Renoult. Alors, par albums-cultes, ne vous attendez pas à des trucs rabâchés partout genre les Stones ou Zappa ou Taxi Girl : Jean-Philippe ne mange pas de ce pain-là. Les deux disques les plus connus dont il parle sont 1999 de Prince et 3 Feet High and Rising de De La Soul, mais pour le reste il explore en longueur des choses comme l’extraordinaire Turiya Sings d’Alice Coltrane (sorti en cassette private press à l’origine, rappelons-le), Queen of Siam de Lydia Lunch, I Hear A New World de Joe Meek ou It’s Spooky de Jad Fair & Daniel Johnston. Pour celles et ceux qui ne savent qui est Jean-Philippe, sachez que c’est un personnage charismatique et passionné, dont l’apparence physique se situe entre le hacker d’extrême gauche, l’acteur X et le moine tibétain. Il a longtemps été rédacteur en chef du premier magazine techno français, Coda, et co-animé avec Jean-Yves Leloup l’émission quotidienne d’access prime-time sur Radio FG , qui s’appelait « L’Happy Hour », puis « Global Techno ». En gros, c’est un des tout premiers défenseurs de la musique électronique dans l’Hexagone et c’est au-delà de ça un mec hyper curieux et cultivé : Jean-Yves et lui formaient vraiment un sacré binôme, tous deux très intellos malgré leur statut de journalistes radio sur une station plutôt fun, mais pas des intellos pontifiants qui ricanent d’embarras quand ils entendent une 808, plutôt des intellos autodidactes qui prenaient des taz, les vrais intellos qu’on aime, soyons francs ! Aujourd’hui Renoult est producteur, artiste sonore et il enseigne à la faculté d’arts d’Amiens – la vingtaine d’épisodes qui constituent ce podcast est ni plus ni moins la version « confinement » de ses cours. Bref, j’aime beaucoup sa façon de présenter la musique, là encore c’est à la fois didactique et pointu, c’est le bon équilibre, le bon ton, presque à l’anglo-saxonne dans le mix journalistico-universitaire, on découvre plein de choses et puis bon c’est quand même, à une certaine échelle, un vrai achievement de faire entrer Arthur Russell, Throbbing Gristle, Carl Stone ou Metal Machine Music dans l’université française. Bravo Jean-Phi !
Dernier podcast, qui est à la fois écoutable en audio et visible en vidéo, c’est Tier List, un format consacré au rap français qui consiste à établir, au fil des épisodes, un vaste classement des meilleurs albums du genre depuis ses débuts – 4 ou 5 disques par épisode, déjà cinq épisodes, donc là ils ont déjà un top 20 mais c’est voué à monter jusqu’à l’infini, un top 500, un top 1000, je ne sais pas ce qui est prévu. Au micro, le jury est composé de Neefa, truculente journaliste et twitteuse rap que vous aviez déjà peut-être entendue dans le podcast bilan années 10 de l’Abcdr dont j’avais parlé en début d’année, de Sandra Gomes, photographe et visiblement bousillée de rap depuis l’enfance, ainsi que de Yerim Sar qu’on ne présente plus et de Mehdi Maïzi, qui décidément ne doit pas beaucoup se reposer vu qu’il gère déjà trois autres émissions par semaine, sans compter les 3000 personnes qui chaque vendredi lui demandent son avis sur les 50 sorties de la semaine. Je ne répéterai pas ce que j’avais écrit dans ledit article et je me contenterai juste de dire que le niveau de passion et d’analyse est toujours au rendez-vous, et que le fait de parler de disques pour la plupart sortis il y a longtemps donne à leurs propos une vraie profondeur de champ. Ils débattent de leurs définitions respectives d’un classique, de l’évolution de tel ou tel artiste et de leur attachement à celui-ci au fil des années, de l’impact de tel ou tel disque sur telle ou telle génération… Tout est super intéressant mais j’ai trouvé un passage qui sortait particulièrement du lot, c’est sur La Fierté de nôtres de Rohff, au sujet duquel Neefa et Sandra parlent de façon hyper juste et intense, ça m’a fait saisir des trucs essentiels au sujet de cet album que j’avais clairement zappé voire méprisé à sa sortie (et qui, depuis, n’est pas non plus devenu pour moi un classique, je ne vais pas mentir). Et puis ils évoquent le troisième album de NTM, et là je ne suis tellement mais TELLEMENT pas d’accord avec ce qu’ils disent sur le niveau supposément moyen des textes de Joeystarr que j’en suis presque à lancer un thread Twitter pour débattre.
Voilà ce sera tout pour aujurd’hui, je vous souhaite un bon weekend à toustes, écoutez ces podcasts et écoutez aussi ce morceau d’amapiano infernal, tout en cris et onomatopées, qui s’appelle « Semi Tee ».
5 commentaires
Merci pour toutes ces recommandations, il ne manque plus qu’une émission made in Musique Journal !
ahaha oui ça arrivera bien un jour 🙂
C’est vrai qu’un podcast sur la fortune critique des albums ou artistes des trente dernières années (comme l’excellent tier list) dans la camaraderie du podcast vidéo en noir et blanc d’audimat d’il y a quelques années ça serait cool 😋
faut d’abord qu’on économise pour racheter de la pellicule noir et blanc !
Mettez tout le blé pour la 3D dans Fortnite. Mais ouais un tier list ça coûte un peu de blé au vu de la qualité technique du truc. Peut-être que c’est dans les cordes de France Culture ou Arte Radio ? En tout cas j’ai trouvé ça super rafraichissant d’avoir dans la rap la profondeur de champs dont vous parlez dans l’article, ça change du rock et des indépassables beatles ou beach boys qui sont importants mais qui ont moins de sens aujourd’hui que kraftwerk ou james brown par exemple. C’est intéressant de questionner l’impact historique original, l’actuel ainsi que son propre rapport personnel.