La semaine dernière, le journaliste, DJ et acteur Maxime Jacob a posté un remix d’Alizée que je ne connaissais pas, signé d’un certain Jean-François Oricelli. L’original, « L’Alizé », extrait de son premier album Gourmandises, était sorti en single juste après le raz-de-marée « Moi, Lolita », et il avait même encore mieux marché puisqu’il s’était retrouvé numéro 1 des charts. À l’époque, même si Teki Latex lui avait écrit une élégie restée dans les mémoires pré-ADSL, je n’avais pas du tout adhéré au phénomène Alizée, sans doute encore marqué par des souvenirs d’enfance glauques de la paire Farmer/Boutonnat. Bref, vingt et un ans plus tard, voici que Maxime diggue sur YouTube ce remix et une heure plus tard je l’avais écouté 12 fois de suite avant même d’aller tester l’original. Je ne sais pas trop d’où sort ce Jean-François Oricelli (enfin si, il est corse, et semble basé à Vico, splendide village de montagne que je vous recommande si vous passez prochainement par l’île de Beauté) mais il a accompli un travail réellement fantastique : le résultat est un joyau de variété R&B avec claviers jazzy et drums à contretemps, un petit côté 2-step est même imaginable, au sens où on ne serait pas étonné de voir débarquer Craig David au coin du maquis. Ces arrangements me mettent déjà dans tous mes états mais alors ça devient irréellement beau quand surgit la voix de la chanteuse, son débit, sa ligne de chant, et sa façon d’interpréter les lyrics de Mylène, avec leurs fameux enjambements et jeux sémantiques, voire multisyllabiques. Et puis ça sonne très moderne, ça pourrait limite venir de sortir. Guitariste de métier, Oricelli a ensuite bossé pour d’autres artistes de variété française et accompagné des musiciens plus traditionnels, mais je me demande vraiment comment il a fabriqué ce chef-d’œuvre.
J’ai ensuite envoyé le morceau à mon ami et collègue Guillaume Heuguet qui m’a répondu que lui, en revanche, ne trouvait pas du tout que c’était un chef-d’œuvre et que sa couleur smooth le répugnait un peu, sachant qu’il était pour le coup, à l’époque, tombé en adoration face à « L’Alizé » original, que j’ai donc finalement écouté. Et là j’ai en effet compris son malaise : cette version de base n’a rien à voir, c’est du Boutonnat classique, avec tout ce que ça implique en termes de pompe et dramaturgie. Les stabs italo-dance, le breakbeat très européen, la brutale rupture entre couplet et refrain, les guitares, les cordes, on est clairement dans la gravité, voire la tragédie. C’est comme si Guillaume avait eu un crush de lycée sur une meuf émo peu loquace, qui écrit des poèmes dans son agenda, et qu’il croisait soudain sa sœur jumelle pipelette et pleine de fond de teint, qui traîne dans les carrés VIP avec son sac Vanessa Bruno (je vous rappelle qu’on est en 2000). Je comprends son choc et je le prie de bien vouloir m’excuser de lui avoir imposé cette vision.
Ce « Sweet Brise Slow » m’a donné envie de trouver des trucs semblables de la même époque, sans grand succès pour l’instant, même si j’ai eu un espoir en tombant sur un house mix d’Amina signé Yarol Poupaud, qui n’est pas mal mais pas renversant non plus. Mais je me suis pris à repenser au R&B français de la compilation Indigo – Versions R&B sortie en 1999 par le Secteur Ä sur le label Särcelite Mizik. C’est un disque qui vaut vraiment le coup d’être écouté aujourd’hui si on veut comprendre les origines du style et ses particularités, notamment l’influence antillaise, marquée par la présence d’artistes et producteurs martiniquais et guadeloupéens, et notamment de deux stars du zouk en la personne de Tanya St-Val et Jean-Michel Rotin. Certes, il y a des sonorités datées, des façons de chanter un peu forcées et des textes pas toujours très bien écrits. Mais ça n’empêche qu’on ne zappe pas trop et qu’il y a un vrai élan créatif dans cette collection, qui se remarque par exemple dans la collab entre Matt (qu’on n’appelait pas encore Matt Houston) et Natali Lorio. Je ne suis pas du tout le premier à dire que « Lizy » est un vrai classique, lent et sobre, avec des paroles pour le coup très réussies et une mélodie imparable, qui s’insinue sans se faire remarquer dans les draps de notre mémoire, laadyyy. La voix androgyne et si délicate de Matt devrait figurer au patrimoine national et Hafsia Herzi ne me contredira pas, elle qui a choisi un de ses morceaux dans son excellent film Tu mérites un amour et dit avoir été bercée par la musique de ce chanteur injustement réduit à son « R&B de Rue ». Et ce qui est marrant dans ce duo, c’est que la voix de Natali Lorio est plus grave que celle de Matt – il doit bien y avoir d’autres occurrences de ce genre de cas, mais ils ne me viennent pas à l’esprit tout de suite. Il y a d’autres tandems atypiques sur Indigo : ainsi celui entre Tanya et les Neg’Marrons, sachant que la première est déjà trentenaire à l’époque et qu’elle chante d’un ton déter et désabusé qu’elle n’a que faire des dragueurs « tout en muscles » et des « plaisirs sans lendemain », qu’elle cherche une situation plus sereine, alors qu’en face Jacky et Ben-J se positionnent en jeunes gens fougueux voire roublards, que je vois mal coller aux exigences de la diva du zouk mais qui pour la convaincre sont prêts à dire n’importe quoi (mais toujours « calmement »), notamment cette phase : « Du plaisir comme du sexe/Je t’en donnerai à l’excès ». Il y a aussi la combinaison entre le trio vocal masculin Trade Union et la déjà impressionnante Casey, où on a un cas rare de femme qui rappe aux côtés d’hommes qui chantent.
Après ce retour aux sources du R&B français j’ai repensé à une jeune femme qui quelques années plus tôt avait fait un album là aussi en partie raté mais tout de même super intéressant : un disque qui essuyait les plâtres, comme on dit. Il s’agit de Mèlaaz, que le grand public connaît surtout pour ses interventions parlées sur « Bouge de là » de Solaar en 1991 (« MC Solaar viens là que je te donne du réconfort ») mais qui avait ensuite tenté une carrière solo et sorti en major ce LP portant son nom en 1995. Un projet qu’elle avait sans doute voulu très ambitieux et surtout très représentatif de ses talents multiples, puisqu’elle savait à la fois rapper, chanter et « toaster ». Ça donne donc un ensemble parfois confus mais dans le lot on retient quelques chansons mémorables. La production millésimée de Philippe Zdar doit jouer, c’est assez certain, et d’ailleurs le disque a probablement dû être conçu à la même époque que Pansoul, et Etienne de Crécy est crédité comme ingé son, donc il ne faut pas s’étonner d’entendre des similitudes, avant tout dans ces fameuses nappes chaudes et sexy, peut-être fabriquées à partir de samples à l’envers, qui ont fait la réputation de La Funk Mob. Et donc, sur le titre « Novice », Mèlaaz chante dans un registre pas évident à situer, à la fois soul et reggae, et qui finalement dans son phrasé me fait penser à ce que fera Erykah Badu deux ou trois ans plus tard. Une tendance à sur-articuler et à allonger certaines syllabes, je ne sais pas, mais ça me paraît évident, à vous de me dire si ça résonne aussi comme ça chez vous. Je vous encourage aussi à tester d’autres pistes de l’album, notamment « Les ghettos croulent« , qui est une sorte de jam de Zdar avec des vocalises de Mèlaaz par dessus, ou le ragga-hip-hop hyper enlevé de « De père en paix« , agrémenté d’un sample fatal des Mary Jane Girls.
Bonne écoute à tout le monde et soyons fiers de notre pop, peu importe son époque.