La bande originale de Much Ado About Nothing, en français Beaucoup de bruit pour rien, ne vous enchantera pour de vrai que si vous l’entendez d’abord en regardant le film, car ce n’est pas le genre de B.O. d’auteur qui peut s’écouter sans image. Mais ça vous permettra de découvrir, si vous ne l’avez jamais vue, cette comédie romantique en costumes de 1993, adaptée d’une pièce de William Shakespeare et réalisée par Kenneth Branagh, dont on a un peu oublié le statut de jeune prodige dont il bénéficiait à l’époque. J’espère que vous apprécierez autant que moi les vertus méga-feelgood de ce long métrage anglo-américain, dispo en VOD sur Orange ou Canal. Mais si je parle néanmoins de sa B.O. aujourd’hui, ce n’est pas juste pour vous conseiller le film, c’est surtout pour souligner à quel point la musique y embrasse l’action, l’image, la mise en scène et surtout comme elle épouse (c’est le cas de le dire puisqu’il est beaucoup question de mariages dans cette histoire) les dialogues hyper vifs et le flow général des acteurs, la jubilatiooonnn évideeennte et si palpaaable qu’ils prennent ainsiii à déclamer le texte shakespearien (voilà, c’était mon imitation de Fabienne Pascaud, hélas moins convaincante que celle de Didier Bourdon).
Le compositeur s’appelle Patrick Doyle, c’est un boss dans le milieu de la soundtrack puisqu’il a notamment travaillé sur L’impasse, Donnie Brasco, Harry Potter et la coupe de feu ou Thor (réalisé par Branagh, il faut le rappeler). Il joue d’ailleurs un petit rôle dans le film, et son personnage interprète la version masculine de la sublime chanson-thème, « Sigh No More ». Sa déclinaison féminine est assurée par Emma Thompson, qui elle ne la chante pas, mais choisit plutôt de la réciter avec la grâce et la précision qu’on lui connaît, ce mélange si sain de mélancolie et d’amusement. Son incarnation du personnage de Beatrice, sa voix et sa diction me rendent très heureux, quelle actrice de dingue, quand même ! Elle se sert de ses yeux, de ses pommettes ou de son sourire comme s’il s’agissait d’instruments de musique et c’est bien ce qui me rend si enthousiaste quand je regarde Much Ado About Nothing : c’est de la musique sous forme d’images. À vrai dire, avant de le revoir il y a quelques semaines, j’avais gardé le souvenir d’une comédie musicale mais en fait non, c’est juste que la mise en scène et la dynamique entre les comédiens et comédiennes sont tellement réussies qu’on a l’impression qu’ils chantent tous ensemble, c’est vraiment magnifique une telle osmose, on a envie de les rejoindre gambader sous le soleil toscan (l’action est censée se dérouler en Sicile, à Messine, mais le tournage a eu lieu dans les hauteurs de Florence).
Au-delà d’Emma Thompson, le casting a d’autres gros atouts. Il y a Kenneth Branagh lui-même, dans le rôle de Benedick, qui à l’époque était le mec d’Emma dans la vraie vie, ce qui rend donc très drôle le constant « negging » de leurs personnages dans le film. Il y a aussi surtout Denzel Washington, qui est plus qu’excellent dans le rôle de Don Pedro, officier charismatique quoique modeste qui revient d’une campagne victorieuse, là aussi je dirais qu’il met beaucoup de musicalité dans son interprétation de la langue shakespearienne : le timbre médium-haut de sa voix, son petit cheveu sur la langue, la solennité souple de son débit, l’intensité impassible de son visage, c’est exceptionnel un tel niveau d’acting. À noter qu’il s’agit d’un cas caractérisé de color-blind casting puisque dans la pièce originale le personnage de Don Pedro est espagnol, et n’est donc pas censé être noir (contrairement à l’un des plus fameux personnages de Shakespeare, Othello). Il y a aussi Michael Keaton dans le rôle d’une sorte d’officier débile qui, je trouve, annonce sa performance en « Number 4 », dans Multiplicity/Mes doubles, ma femme et moi, un des films qui me fait le plus rire de toute l’histoire du cinéma. Keanu Reeves, dans le rôle du méchant, est très mauvais mais comment dire, il est comme souvent très bon dans sa manière d’être mauvais. Ce sont aussi les débuts de Kate Beckinsale, qui incarne la jeune Hero et doit avoir 17 ou 18 ans, elle est toute mimi, toute joufflue, on dirait qu’elle sort de chez la Mie Dorée (c’est hélas aussi à cette époque que cette sous-merde de Weinstein commençait à s’attaquer à elle) et en face d’elle son amoureux Don Claudio est joué par Sean Robert Leonard, beau gosse romantique de l’époque, révélé par Le Cercle des poètes disparus.
Je ne suis pas bon pour résumer les intrigues, surtout par écrit, alors je dirai juste qu’il y a deux histoires d’amour en parallèle. Celle, d’abord, entre les deux jeunes, qui joue sur des histoires d’usurpation d’identité et de mort simulée, qui ont sans doute dû faire l’objet d’un bon petit dossier « Classique Larousse » à potasser en première L. Et puis celle, d’apparence plus légère et plus secondaire mais en fait non, entre Emma et Kenneth, deux trentenaires qui ont jadis été ensemble mais ça n’a pas marché, et qui donc aujourd’hui passent leur temps à se taquiner, voire à mal se parler, alors qu’en fait ils se kiffent encore. Leurs amis s’en rendent bien compte et décident donc de mettre au point un stratagème pour les faire se remettre ensemble, et ça donne une double scène hyper drôle qui déploie une mécanique où le rire se conjugue au bonheur : on rigole non pas pour se défouler dans le genre « politesse du désespoir », mais au contraire pour accompagner l’arrivée de la joie dans les cœurs, c’est vraiment superbe, ça me touche beaucoup.
Pour la musique, eh bien vous constaterez qu’il s’agit de choses en général classiques, des cordes et des cuivres, c’est souvent héroïque, le thème d’ouverture accompagne ainsi exactement ce qu’il suggère quand on n’a pas encore vu le film : l’arrivée glorieuse de beaux cavaliers en uniforme, à flanc de colline. Le vrai tube de cette B.O., je le répète, c’est la chanson « Sigh No More », qui après avoir été interprétée par une femme puis par un homme est finalement, dans un bouquet réconciliateur entre les genres, repris en chœur par tout le monde, et j’espère que ça vous donnera un peu d’espoir et d’enthousiasme gratuit en ce samedi midi mi-gris mi-jaune. Ne soupirons plus, les enfants ! Et surtout, bonne toile !