Benat Achiary et Bernard Lubat : basque c’était lui, basque c’était moi

BENAT ACHIARY Lili Purprea
Silex, 1991
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Musique Journal -   Benat Achiary et Bernard Lubat : basque c’était lui, basque c’était moi
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D’ici quelques semaines, je vais quitter Paris pour retrouver le Sud-Ouest d’où je viens. J’ai un rapport tendu avec ces racines somme toute très peu profondes : j’ai grandi là-bas mais je suis fils d’immigrés. Ces terres à l’ombre des Pyrénées n’ont donc jamais représenté pour moi qu’un point de chute temporaire dans une destinée familiale en transit.

Pourtant j’y retourne, toujours. À la poursuite d’une vague mélopée de l’enfance, que je chéris autant que je fuis. Dans cette histoire, le jazz fusion qui parle occitan tient une place très particulière. Plus précisément, le jazz de Bernard Lubat, que je ne suis pas certain que vous ayez envie d’entendre. Mais puisque vous n’avez peur de rien, voici Scatrap Jazzcogne pour vous donner une idée du tableau : un jazzman blanc en tenue « ethnique » bredouille un semblant de rap. Nous sommes dans les années 1990, et j’ai l’impression de faire un bad trip ligoté dans le camion sono de SUD RAIL. 

Mais bon, il serait très injuste de réduire Lubat à ce genre de jazz-malaise qui m’a tant marqué (et que j’ai tant aimé). C’est aussi un percussionniste génial, qui a produit de superbes disques d’illustration sonore pour Tele Music et collaboré avec Pierre Vassiliu, Maurice Vander ou le moins célèbre Benat Achiary, aux côtés duquel il a enregistré le disque dont il est question aujourd’hui : Lili Purprea, édité en 1991 .

Beñat Axiari (en basque) est un chanteur-improvisateur qui exerce aux lisières du free-jazz et de la poésie, également grand défenseur de la culture basque. Il travaille à l’Institut Culturel Basque de Bayonne, organise un festival de jazz à Itxassou (Errokibo Festibala) et reste surtout connu pour ses interprétations de chants basques. Lili Purprea est son disque que je préfère mais bon nombre de ses autres enregistrements valent le détour : sur Temps Couché, par exemple, il a pu s’entourer de pointures de la musique improvisée comme Michel Doneda et Kazue Sawaï.

Si je vous ai parlé de Lubat, c’est que je pense que sa présence sur Lili Purprea est pour beaucoup dans la réussite de cet album. Au synthé et aux percussions, il semble en effet tout faire pour empêcher que le free se prenne trop au sérieux, tout en accompagnant à merveille la voix terriblement poignante de Benat. 

Je ne sais pas bien quelle histoire raconte Benat le long du disque, à travers ses expérimentations vocales virtuoses et étranges. Apparemment il s’agit d’une adaptation de Bertolt Brecht. Il y a bien quelque chose de Brecht dans l’étrangeté de la diction, et l’émotion provoquée par cette distance entre les mots et la manière dont ils sont prononcés. 

Benat chante en basque, en espagnol et en français, mêle les traditions, à l’intersection de sa propre identité, avec une singularité et une obstination stupéfiante. Je crois que ce qui me touche le plus avec ce disque, c’est que la tradition n’est jamais figée, elle s’incarne toujours poreuse et altérée. C’est le Sud-Ouest que je connais et que j’ai envie de retrouver, imprévisible et impur, bien loin du mirage des origines qui anime nombre de propositions de musiques traditionnelle depuis les années 1970.

« Indien », plutôt loin de Bayonne justement, est le premier morceau qui m’a accroché, et je crois que je n’avais jamais rien entendu de tel. Comment cette émotion trouve son chemin entre les acrobaties vocales de Benat et les facéties de Lubat au synthé ? Je ne sais pas, mais il y a là une sorte d’urgence débordante et mystique qui m’a rappelé Scott Walker circa « Epizootics! » (sur Bish Bosch). D’ailleurs la comparaison avec Walker est assez évidente : je ne sais pas si Benat cache derrière lui une carrière de chanteur de variété, mais il est certain que ces deux-là partagent le goût des expérimentations risquées et singulières.

Deux autres morceaux se distinguent. Sur « Cancion de Jinete » et « Lili Purprea », on entend de la vielle à roue, jouée par Dominique Regef, et ici le rapport aux musiques du passé se déplie encore différemment, et en transe bien sûr ! Si, souvent, la musique traditionnelle tente de reproduire des zones de confort fantasmées, ici Benat et consorts procèdent à l’inverse, et se servent d’éléments trad pour faire des pas de côté, et briser les lignes trop ordonnées du temps.

Pourtant, je dirais que l’écoute de Lili Purprea est raide, complexe, parce que la personnalité de la voix de Benat prend beaucoup de place, et que les choix artistiques sont risqués. Mais c’est précisément ce qui fait tout l’intérêt du disque : inconfortable et exigeant, il  nous emporte dans un torrent pyrénéen bordélique et baroque.

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