Chansons post-punk pour un printemps gallois [Datblygu]

Datblygu Wyau
Recordiau Anhrefn, 1988
Datblygu Pyst
Ofn Records, 1990
Datblygu Libertino
Ankst records, 1993
Datblygu Porwr Trallod
Ankstmusik Records , 2015
Datblygu Cwm Gwagle
Ankstmusik Records , 2020
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Le printemps n’est pas la saison la plus évidente à vivre pour moi. Je la trouve plus mélancolique que l’automne : elle a ce truc poignant où tout renaît et recommence avec plus ou moins la même forme, mais en ayant un peu vieilli, même si on ne le détecte pas d’emblée ; c’est là, et il ne faut pas trop regarder car ça fait de la peine. Les choses sont les mêmes, mais en diminuées, et tout ça nous est dit avec beaucoup de douceur. Et ce drôle d’alliage entre douceur et pesanteur, cette main invisible qui vous serre le cœur lentement, je l’entends très fort dans la musique d’un groupe gallois de l’époque post-punk, qui s’appelle Datblygu – ça se prononce « dat-bla-gui » et ça veut dire « en développement ».

C’est par leur chanson « 23 » que je les ai découverts, alors que j’étais saoul à une fête dans le salon d’amis auxquels je dois pas mal de découvertes musicales, ils se reconnaîtront. Je ne voyais plus grand-chose et les discussions se superposaient, lorsque je me suis soudain trouvé ravi par une petite mais puissante force. C’était cette sensation de printemps, une profonde mélancolie qui semblait couler des enceintes. Quand je dis profonde, je pèse le mot : la chanson donne l’impression d’avoir une épaisseur ou plutôt d’être habitable, d’avoir sa propre petite cosmogonie, sa faune et sa flore, son chemin sinueux. On s’enfonce dans un souvenir ou une contrée qu’on avait oubliée ; l’enfance sûrement, mais non en fait, autre chose, un endroit vraiment oublié, vite fait traversé il y a quelques années, auquel on avait donné peu d’importance mais qui en avait probablement davantage.

Le préambule de la chanson – une guitare avec un écho, suivie de quelques notes de piano – sonne à la fois comme un avertissement et une invitation, et rien que ça, c’est déjà poignant. Mais c’est la suite qui m’a définitivement emporté. Une guitare électrique pose un accord tout simple, entrecoupé d’une note dissonante venue de loin, invitée inattendue ; en fond, un piano ne cherche pas à la ramener ; des frappes de caisse claire installent une trame réduite. Ce qui m’a interpellé, du fond de mon ivresse et de ce salon plongé dans la pénombre, c’est la voix du chanteur, David R. Edwards : son phrasé lent, qui ressemble à une complainte psalmodiée sans trop de conviction. Ça, mais aussi la langue galloise dans laquelle cette balade nous est chantée. C’est chuintant, pas forcément très sexy, mais complètement envoûtant, comme le printemps – un moment lancinant, qui à force de lanciner me serre le cœur.

Je bloque sur cette chanson mais tout l’album est fou : il s’appelle Wyau, ce qui veut dire « œufs ». C’est le premier LP du groupe, sorti en 1988 après plusieurs cassettes autoéditées dont l’incroyable et extrêmement lo-fi Trosglwyddo’r Gwirionedd. Il y a un morceau, sur leur première cassette, qui s’appelle « Blas cas » et qui m’a remué autant que « 23 » mais d’une façon plus fulgurante. Plus rêche, il dure un tout petit peu plus d’une minute : une guitare frénétique, un synthé nasillard et la psalmodie à bout de souffle d’Edwards qui fonce comme un train dans le brouillard. À la fin, je me suis senti comme Holly Hunter qui pleure sans raison dans l’extraordinaire Broadcast News de James L. Brooks : une émotion indéterminée qui monte et explose, alors que tout semblait aller, en apparence.

On pourrait dessiner une arborescence autour de Datblygu : il y a d’abord la figure de l’Écossais Benedict Roger Wallers aka The Rebel, et de son groupe Country Teasers, mais aussi celle de Mark E. Smith de The Fall, référence essentielle pour le groupe et l’opaque poésie d’Edwards. Le parler-chanter, les dégaines nonchalantes de vieux poivrots anar, les textes ésotériques mais qu’on devine engagés politiquement, marqués par une haine féroce du thatchérisme… On retrouve tout ça chez les deux formations. À chaque fois, c’est la musique d’un Royaume-Uni désenchanté où chacun tente, d’une manière abrasive, de montrer les dernières lueurs perçant par les fissures des cités ouvrières. Une rage commune et polymorphe – tempérée chez Edwards, brûlante et fractale chez Mark E. Smith –, permettant aux deux groupes de passer d’une balade nostalgique au tabassage en règle.

La chanson « Merch Ty Cyngor », qui se trouve sur la compil Datblygu 1985–1995, résume bien la chose. Elle parle d’un amour perdu, connu il y a longtemps dans des council houses ; le chanteur s’y demande simplement où il est, cet amour perdu, ce que devient cette fille rencontrée il y a longtemps. Le sujet est banal mais c’est la voix d’Edwards, son timbre grave, son ton presque geignard, sa voix trop proche du micro qui appuie là où ça fait mal. Le beat lointainement funky et l’orgue cheap qui l’accompagnent participent à cet étrange désespoir.

Deux autres albums suivent et complètent Wyau : Pyst et Libertino. Le premier est aussi beau et entêtant que l’opus inaugural, et il suffit de l’hypnotique « Nofel o’r Hofel » pour s’en convaincre : l’histoire d’un voyage interminable en voiture pour aller déposer des bouteilles de whisky vides à la consigne, qui se situe loin de la ville, les autres automobilistes qui ont tous l’air con, et les nouvelles affligeantes qui passent à la radio. Les notes de piano produisent un tintement entêtant et continu, les oscillations mélodiques d’Edwards nous drapent dans une étrange ambiance : c’est typiquement le genre de chanson qu’on écoute en boucle jusqu’à atteindre un état de transe proche de la nausée.

Libertino, sorti en 1993, m’a moins intéressé , et c’est également l’avis de plusieurs proches du groupe, que l’on peut entendre dans un beau documentaire sur Datblygu sorti en 2012 et visible sur Youtube – mais écoutez-le et faites vous votre propre avis. Peu après, en 1995, le groupe se sépare : traversée du désert (intérieure aussi : galère pour le chanteur, qui bataille avec une maladie mentale et une épilepsie qui l’handicape de plus en plus) avant de revenir brièvement, en 2008, avec une courte chanson, un psaume presque, « Can y mynach modern », parlant d’un moine luttant contre l’obscurité impie (une allégorie de la situation d’Edwards face à sa souffrance psychique). Une tentative de reformation, le temps d’une chanson qui donne des nouvelles pas très bonnes, une façon d’y croire une dernière fois, ou alors tout simplement de se dire adieu pour toujours. Puis de nouveau le silence.

Le groupe se réunit tout de même quelques années plus tard, en 2014, et sort deux autres LP, le beau Porwr Trallod puis, juste après le premier confinement, au printemps 2020, Cwm Gwagle, qui m’a moins touché.

David R. Edwards est mort l’année dernière, à 56 ans, de « problèmes de santé » qu’on imagine liés à son épilepsie et son alcoolisme. Je ne sais pas bien quoi dire d’autre, c’est triste mais c’est vraiment ce qui s’est passé. Ça me donne juste envie de citer ces vers du poète américain Charles Reznikoff : « L’après-midi nuageux est aussi agréable que le silence. Qui imaginerait qu’on en aurait assez du soleil ? Une belle épitaphe serait, je crois : il aimait le soleil ; encore mieux : il aimait marcher. Et pourtant le mort, s’il pouvait parler, dirait peut-être : je m’étais lassé de marcher, oui, et même du soleil. »

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