Ma première rencontre avec Vernon English date d’il y a une petite dizaine d’années. En zonant, comme à mon habitude, sur un YouTube alors bien plus erratique qu’aujourd’hui, je tombais sur la vidéo d’une performance « en direct » d’un certain Alias G. L’entièreté de cette vidéo est d’une classe sans égal, son contenu comme son montage. Un set-up ascétique (deux platines CD Denon, une mixette et c’est marre), des lunettes de bad boy et une kiffance VIP pour un DJ bien sur ses appuis. Fondus-enchaînés infinis, scénographie soyeuse et minimaliste, et cette femme rêveuse qui remue tranquillement, d’abord posée sur une échelle à l’arrière (wtf), puis sur une chaise, et qui à l’occasion converse de sa voix douce avec l’artiste. « You like that technique? » : le gars lui montre ses skills pour la charmer, on est dans une chambre d’ado, super intime ! Et puis la musique, évidemment. Une musique à l’opposé de ce que je croyais à l’époque être de la house : vivante, dure et un peu viciée, carrément sexy. Une sorte de ghetto-house élémentaire, dépouillée.
Je me souviens qu’à peu près au même moment, Le Drone (un média essentiel à l’élargissement de ma culture musicale, je ne remercierai jamais assez Olivier Lamm !) avait consacré un petit article au tube, toujours d’Alias G, « I Can’t Get Out the House », lui aussi débarqué de nulle part. Mais contrairement à ce qu’il y était affirmé, je n’y percevais pas une hype énigmatique et fabriquée, mais plutôt un gars simple, persuadé du cool de sa pratique, qu’aucune lame de fond tendancielle ne pourrait jamais décoller. Ces vidéos sont restées avec moi pendant longtemps et fonctionnent encore aujourd’hui comme des amulettes porteuses d’un mantra sous-jacent – continuer à faire son truc, sans rancœur et joyeusement, ne jamais flancher. Elles ont cependant dans un premier temps éludé la transversalité de la pratique de Vernon English, qui est donc la même personne qu’Alias G, je pense que tout le monde l’avait compris, mais je précise, on ne sais jamais. En effet, ce dernier semblait y agir en tant qu’invité performant à la demande, notamment dans la première vidéo produite par une équipe britannique, il me semble : allez voir leur chaîne, y a des trucs cools, visuellement et musicalement, genre Dj Spinn ou Sherelle.
Mais en fait non. Pas du tout. Il s’avère en réalité qu’English a bel et bien produit sa propre émission sur CAN TV, une chaîne de Chicago qui appartient à ce qu’on appelle aux États-Unis la public access TV, soit des réseaux de télévision locaux et non-lucratifs. Le show s’appelait Underground Vicious, il a été diffusé à partir de 1999 et ça a duré plus de dix ans. Il ne reste presque plus aucune archive en ligne du programme, mais parmi les rares à être encore visibles, on peut voir d’une part que Vernon n’est pas uniquement DJ, mais aussi musicien au sens plus conventionnel du terme, avec les instruments et tout (en fait, il l’était même à la base, comme il l’explique sommairement dans cette bio enjouée impliquant Farly Jackmaster Funk, Gene Hunt et des « croisières house ») et d’autre part que le montage et la scénographie, c’est aussi sa came, et qu’il s’y montre tout aussi fantasque que dans sa musique.
J’aurais pu vous parler de ses trois EP Delite Tonite, Attention & Natural Love, sortis sur les labels de DJ Haus, UTTU Recs et Hot Haut Recs, que j’adore follement : c’est toujours bien direct, souvent bancal, mais réalisé avec une fougue qui rend jaloux. Je préfère cependant vous recommander aujourd’hui quatre archives de Underground Vicious, donc, dispos sur les chaînes YouTube de Vernon lui–même, et qui concentrent ce que ce garçon symbolise pour moi : un engouement sans limite pour la musique de sa ville et les gens qui la font, une détermination de bulldozer. Au programme : des moves plein d’audace et du montage cataclysmique, du playback extrême et des couacs, de l’enthousiasme à la pelle et du sampling à la truelle, de la compression en cascade et même deux slow jams ! Je n’en dis pas plus, mais sachez juste que c’est extrêmement addictif, et qu’il existe quelques autres extraits vidéos de l’émission sur le web (notamment une incroyable session évangélique ou encore une spéciale Halloween).
Encore un dimanche, encore une contrebande qui tient plus de l’excavation et fait mentir le titre, mais c’est pas grave ! Il s’agit avant tout de kiffer la VIBE !