Au fond de l’Inconnu, pour trouver du nouveau ! [2]

Musique Journal -   Au fond de l’Inconnu, pour trouver du nouveau ! [2]
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Eh oui, il est déjà temps : en cette fin de semaine, voilà la seconde occurence de notre nouvelle rubrique consacrée à la nouveauté discographique. Comme à la grande époque où Télérama et Les Inrocks contribuaient à la vente de containers (j’amplifie à peine) de CD de Miossec, des frères Moutin ou de Wire ; un temps immémoriel où la presse musicale était un business lucratif et intéressé. Mais nulle inquiétude, pas de ça chez Musique Journal, l’esprit c’est circuit-court multi-territorialisé et court-circuit, du copinage local, pas le soupçon d’un ongle dans la facilité enfin ça dépend, rien n’est interdit et puis tout est disponible sur Internet de toute façon. Bref je divague, je me perds, allons-y, à cette sélection collective, je peux vous assurer que vous ne serez aucunement déçu·es, c’est Rungis, le bidule !

Emahoy Tsegue-Mariam Guebru Jerusalem (Mississipi Records)

Envolée à 99 ans, Emahoy Tsege-Mariam Gebru a enregistré ces quelques grammes de beauté sans limite au début des années 70. Née en Éthiopie il y a un siècle, formée à la musique en Europe à la fin des années 30, entrée en religion au début des années 50 (elle était nonne orthodoxe éthiopienne je crois bien), cette passionnante personne nous a offert une musique d’une clarté et d’une force qui ne se laissent pas décrire (à peine ai-je commencé à chercher des formules pour en parler, que j’ai l’impression d’être une poussière sur son épaule, qu’elle fait tomber d’un simple geste du dos de la main, et c’est très agréable de n’être qu’une poussière dans ces circonstances). Piano pour le XXIIIe siècle, un amour pour tout le monde, Addis-Satie-Abeba, musique des sphères infinies, transmission d’un autre niveau, palais de la langue, merveille, beauté. [TD2S]

Luh Tyler – My Vision (Motion Music/Atlantic)

Originaire de Talahassee, Luh Tyler a un genre de confiance en lui que seul un adolescent de 16 ans peut avoir. Il est placidement cool et paraît immunisé contre les ennuis de la vie. Une insouciance à l’opposé de ce que proposent d’autres jeunes rappeurs de son coin, dont il s’inspire pourtant. Luh Tyler a mélangé les cadences et l’esprit malicieux de Kodak Black au détachement affiché par des rappeurs de Detroit comme Veeze ou Babyface Ray. Il rend à la Floride son atmosphère de vacances, en allant chercher dans le son des productions comme dans ses intonations une palette d’émotions liées à sa géographie : on entend le bord de l’océan, on sent le soleil et les caresses du Gulf Stream. [NP]

Compilation Fécale Cathédrale (Le Puisard)

Cette compile, c’est tout un programme : un titre et une illustration chics comme un ongle incarné, la crème interstitielle des cramos·ses gravitant autour d’un axe Anderlecht/mairie de Montreuil/La Plaine avec détours par Rennes, Grenoble et au-delà : DWARF LIFT DWARF, Eugène « Sanchez » Blove, Or Or « la Debrance », deborahs hand on slot machine, Frankreich, Tzii, Catherine Danger, Trigger Moral, Officium, Marion Camy-Palou réuni·es pour 33 morceaux n’atteignant jamais les 2 minutes. Il y a du gros rock, des trucs qui vont très vite, d’autres trucs qui finissent en « core »,  des chansons et de l’électronique, bref je vous laisse la surprise mais musicalement on est quand même sur un grand écart multi-dimensionnel avec option concassage moral et normatif. C’est intense et improbable, on s’émerveille, on se fait terrasser, on rigole bien aussi, ce qui est quand même très important. Et bravo au Puisard, une jeune entité dynamique qui me semble promise à un superbe avenir précaire et qui n’a pas peur d’aller au bout de ses rêves (un peu crasseux, j’ai l’impression) ! [LP]

XV – On The Creekbeds On The Thrones (Ginko/ Pop Culture)

Qui n’attendait pas cet album de XV ? En 2019, le premier disque de ces trois meufs du Michigan avait convaincu tous les adeptes de free-rock lo-fi chelou qui avaient eu la chance de croiser son passage. On a ensuite eu droit à une cassette de répète en 2020, et aujourd’hui, à ce deuxième album plus calme, comme une version dream-pop des Mexicain·e·s de XYX, ou un bœuf déstructuré et planant des Argentin·e·s de Los Cripis. Fans de hard-rock à grosses guitares, fuyez ! Ici, c’est la basse qui mène la danse, et l’ambiance générale est poétique, méditative, tout en restant, n’en doutons pas, un brin trop bruitiste pour les oreilles non-averties. [AR]

Wiz Havinn – « New Wave » (YouTube)

Wiz Havinn vient de Talahassee, comme Luh Tyler, et comme chez ce dernier, on entend dans sa musique des motifs ondulants et filtrés, rappelant le flux et le reflux des vagues qui viennent se briser sur les rochers des côtes de Floride. Mais chez Wiz Havinn, dans l’articulation lourdaude, dans le grain de voix crapoteux, il y a un petit supplément vicelard. On a l’impression d’entendre Birdman qui essaierait de retrouver la sensation d’apnée et d’extase sous-marine de Barter 6 ou de Drip Season 3. [NP]

Graham Lambkin Aphorisms (Blank Forms Editions)

Le nouvel album de Lambkin arrive, il est en train de se matérialiser sous nos yeux sur un plateau de téléportation avec un petit bruit de bulles comme dans Star Trek (trivialement, « il est en pré-commande », cette pénible variation du capitalisme tardif dématérialisé autour de la notion d’impatience). Le monsieur fabrique une musique captivante depuis pas mal d’années maintenant, perdue quelque part entre de la folk qui n’habiterait plus à l’adresse indiquée, de l’improvisation PR (poste restante), et une pratique du collage dont le numéro de téléphone n’est pas attribué. Il laisse derrière lui un petit chef-d’œuvre désormais achevé d’édition musicale, Kye (quelques dizaines de sorties, ça partait dans tous les beaux sens, de Lambkin lui-même à Vanessa Rosseto, en passant par Losoncy et Joe McPhee). La piste qui est déjà en circulation fait rêver, sirène avertisseuse brise-glace vers le centre du monde de la musique bricolée (c’est un voyage périlleux, il faut un bateau puissant), ombilic du presque rien. [TDdS]

FAUCHEUSE – Démo (Oscuridad En Mi Vida)

Dans une certaine frange de la scène hardcore punk hexagonale, dire que Bordeaux est la capitale du d-beat fait aujourd’hui figure de lieu commun, et ça ne va pas changer avec Faucheuse. Ici pourtant, pas question d’hommage millimétré à Discharge, et si la batterie en contretemps est bien de la partie, on a aussi droit à des solos plus épiques que la moyenne, avec un son de guitare évoquant tant les Suédois de Totalitär que les New-Yorkais de Hank Wood & The Hammerheads, et un chant en français qui cligne de l’œil vers la riche histoire du hardcore punk international à chant féminin, de Post Regiment à Electric Deads en passant par Rainbow Of Death. [AR]

RXK Nephew – « Show Me How » et « Forever 21 » (YouTube)

En un mois, Neph a enchaîné Neph Crocket puis Not Fin Be On No Streaming Services puis Ready 2 Ball. Un marathon qui rappelle le dernier âge d’or de la mixtape, quand French Montana et Max B engloutissaient NYC, quand Gucci Mane s’apprêtait à remodeler le rap à son image. Comme ces derniers, RXK Nephew se révèle capable de naviguer entre tous les styles en restant absolument le même rappeur. Son dernier trio de mixtapes fait la part belle au rap de rue naturaliste et à l’introspection, pour le versant hédoniste, il faut urgemment s’abonner à sa chaîne YouTube, afin de l’entendre improviser au kilomètre sur des samples grillés de Michael Jackson et de Men I Trust. [NP]

Arlette – Arlette (Grammaire Vacante)

Barbara Falson, Gaëtan Arhuero, Gildas Bouchaud, Paul Cossé et Valentin Noiret sont Arlette. Le nom est trop classe déjà, et la musique aussi, bien évidemment. Ce truc, paru sur le label de Valentin, grammaire vacante, c’est un chavirement de l’être entier, qui vient nous percuter non par sa puissance mais par son instantanéité. Arlette est sauvage et obstinée, imprévisible sans être laissée au hasard, sature à fond aussi, transmet ce qui n’est accessible qu’à celles et ceux qui se mettent tout·e nu·e dans la musique – et se décollent bien la tête pour y arriver, accessoirement. Des voix qui déraillent, un violon et une guitare, une chiée d’effets, des appeaux et des trompes, des percussions et de la batterie, des samples et un orgue ; la beauté de cet album est presque logique. Mention spéciale à « La table avec », ce bon rock’n’roll qui  décolle le sébum. Et à « du Beurre » aussi, ode rituelle sans concession à la popote, l’amitié et au tartinable. Et à « Cuidado », cette entrée si juste et émotionnellement dévastatrice. En fait, mention spéciale à tout Arlette, à tout Arlette même. [LP]

Oishi Live recording at Spanners, 09.03.23 (auto-produit)

Voici un très dense petit numéro de prestidigitation anti-musicale qui nous arrive en ligne directe (chacun son téléphone rouge pré-guerre mondiale, n’est-ce pas) d’une géniale petite salle de concert sise sous les arcades de la Brixton Station Road. Paradis, paradis, paradis… quelque part entre les quatre murs glacés et le toit en tôle recourbée de Spanners (la salle en question). C’est de la musique de criquets et de savantes, du n’importe quoi et en même temps une sérieuse bibliothèque ultra-spécialisée dévolue à la voix comme puissance de parasitage et d’accumulation jouissive (le complexe cordes vocales gorge bouche dents c’est pas spécialement fait pour communiquer). Festin pantagruélique, guide touristique, la radio déconne et passe par toutes les fréquences, ah Londres, ah Brixton. [TDdS]

Dj Quik – « Class »

Ce sample que je pourrais qualifier de connu voire de grillé a été utilisé de manière déraisonnée pendant la glorieuse période des mixtapes qui dominaient qualitativement (et parfois commercialement) les sorties rap en proposant des projets gratuits. Les illustres représentants de cette ère se sont tout à coup trouvés des origines texanes avec le Country Rap Tunes. Impulsé par Freddie Gibbs, L.E.$ ou Big K.R.I.T., ce sous-genre a permis de lancer un nombre incalculable de superstars qui dominent encore les charts en 2023. 

Après un album mitigé sorti en 2014 et une escapade avec le rappeur Problem avec l’excellent EP « Rosecrans », DJ Quik est donc de retour avec le single « Class » où il  fait donc le choix de sampler « This Loves for Real » de The Impressions. Connaissant sa soif inaltérable d’innovation, je suis perplexe dès les premières écoutes mais peu à peu je commence à être conquis par cette production singulière qui maltraite gentiment ce morceau célèbre sorti au début des années 70 avec des scratchs omniprésents tout au long du morceau. Car avant d’être un multi-instrumentiste de génie qui peut exceller à guitare mais aussi au piano, DJ Quik est également un excellent DJ qui n’usurpe pas ce statut comme d’autres rappeurs. 

L’auteur du célébrissime Safe + Sound nous avait déjà offert cette version de lui-même où il écarte son G-Funk pour des sonorités sombres et déroutantes. Sorti en 2009, BlaQKout est un album commun avec Kurupt qui expérimente d’autres sons qui sortent des sentiers battus avec une prédominance aux musiques indiennes et arabes. Le tout est accompagné de la dextérité hors du commun du meilleur producteur/rappeur de l’histoire où le but premier est dérouter l’auditeur avec un son novateur sans renier les racines bien ancrées dans le G-Funk californien. 

Pour fêter la sortie de son dixième album prévue l’été prochain, DJ Quik s’est entouré de légendes de la Westcoast comme Mack 10, Warren G, Kid Frost, tha Dogg Pound et Suga Free pour une tournée qui a débuté il y a quelques jours au Texas mais qui se déroulera principalement sur la côte californienne. [MM]

VEEZE – « GOMD » (YouTube)

Veeze fait ce qu’il peut pour avoir l’air indifférent à tout ce qui lui arrive. Il ne se presse pas pour sortir Ganger, arlésienne attendue depuis bientôt cinq ans, et alimente l’impatience avec des démonstrations de flegme toujours plus cool les unes que les autres. « GOMD » réussit encore le tour de force d’être à la fois une performance en apesanteur, rappée sans effort ni gravité, tout en dégageant une euphorie qu’on ne peut ressentir qu’après avoir remporté le Super Bowl. [NP]

Tenshun Continuous Probability (auto-produit)

Tenshun ! Comme un visage tout de suite familier dans le bus, c’est un nom que j’avais presque oublié, mais qui me fait remonter instantanément aux oreilles (comme un embouteillage surgissant en quelques secondes sur le périph) un bloc de hip-hop (avec beaucoup de points d’interrogation) très énigmatique qu’un ami m’avait fait écouter il y a quelques années (c’était une cassette de l’an 2000, ça mérite le détour, ça aère). Tenshun « le beatmaker » a l’air à son aise dans une zone complètement désaxée du paysage sonore (avec sa table de mixage et de très nombreux câbles, peut-être qu’il fait le hip-hop d’une autre époque, dans très longtemps, ou bien plutôt il y a très longtemps, ou les deux). « Je veux, dit-il, [que l’auditeur] devienne fou, qu’il casse des trucs et provoque le chaos et en même temps qu’il réfléchisse à la vie. » San Diego, perplexité, mais qu’est-ce que c’est, et en passant vive le site archive.org. [TDdS]

Silence et hospitalité : Didier Lasserre est votre nouvel ami taciturne

Aurore Debierre nous raconte comment elle est sortie de sa zone de confort pop en allant rencontrer un album à la fois free et « post-baroque », Silence was pleased, œuvre du batteur-compositeur Didier Lasserre emplie de sons épars mais surtout de beaucoup de silences, hantée par l’esprit de John Milton.

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Musique Journal - Le premier EP de Marie Audigier est une ode aux sentiments contrariés de l’été (mais aussi du printemps, de l’automne, de l’hiver)

Le premier EP de Marie Audigier est une ode aux sentiments contrariés de l’été (mais aussi du printemps, de l’automne, de l’hiver)

Notre contributeur Marc-Aurèle Baly revient nous faire un petit coucou et en profite pour nous parler du premier EP de Marie Audigier, découvert par lui dans un contexte fluvial et posé. Un disque de pop ambivalent, à la fois solaire et vespéral, dont la non-voix de sa protagoniste principale magnifie les compositions.

Wickedpédia : le goût du funk et de la soul dans les sounds londoniens de la fin des années 80

Le label Death is not the end vient de sortir une sorte de mixtape/compilation composée d’incroyables archives de soirées « blues » londoniennes, où l’on entend des MCs ambiancer la piste sur des sons soul et funk déjà « à l’ancienne ».

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