Partir d’une cassette vietnamienne d’Emmaüs pour finir chez un songwriter finlandais avec zéro likes sur son Bandcamp

The Rocks Minun Vietnamini
Panama-levyt, 2021
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Musique Journal -   Partir d’une cassette vietnamienne d’Emmaüs pour finir chez un songwriter finlandais avec zéro likes sur son Bandcamp
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Comme pas mal de mes compatriotes plus ou moins dans la dèche, il m’arrive de checker les Emmaüs. Étrangement, je fréquente peu les antennes proches de là où je vis, tandis que je teste à peu près toutes celles que je croise en voyage. Je ne sais pas par quel processus magique (enfin si, je sais un peu, mais faisons semblant deux minutes) l’itinérance augmente considérablement ma fascination pour des objets dont je me fous d’habitude, me persuade que cette fois-ci c’est la bonne c’est sûr, je vais trouver le veston de mes rêves, un ampli à lampe qui paye pas de mine, un skeud vraiment classe.

Évidemment, ça ne m’arrive pas si souvent que ça et malgré mon enthousiasme j’entasse plus les bêtises encombrantes que les items chic. Pourtant, lors de ma dernière visite à ma chère mère, en région parisienne, mon passage à l’antenne nocéenne (pour Neuilly-sur-Marne, 93050) de la structure montée par l’Abbé Pierre n’a pas été vain. Je me suis retrouvé avec de la sape classe (en l’occurrence une veste de prof de fac vert canard) et une chiée de cassettes audio, majoritairement de « Nhạc Vàng », ces chansons d’avant-guerre vietnamiennes super cheesy et nostalgiques, souvent centrées sur une perte colossale, d’une terre et/ou d’un amour, façonnant l’image d’un paradis perdu pour les expatrié·es de la guerre. J’ai aussi trouvé du Toto Cutugno ou cette compile déconseillée aux diabétiques mélomanes, mais c’était plus pour le fun.

Les pochettes sont certes merveilleuses mais je dois dire que sur la durée, le Nhạc Vàng, je trouve ça quand même un peu chiant. Je m’excuse auprès de Thiên Trang et de Che Linh, de Vũ Khanh et consort, mais cet hybride issu d’un syncrétisme colonial intense – une vibe à la fois variété franchouillarde nunuche, rock ricain des origines et vitalité du Sud-Est asiatique – à haute teneur mélodramatique finit par me peser sur l’estomac. Je préfère largement le Vọng cổ, cette autre forme traditionnelle contaminée organologiquement par la présence américaine, carrément plus mystérieuse. Mais je m’égare.

Le projet était au départ de réaliser une sorte de mixtape à partir de morceaux choisis de cette masse d’objets musicaux nouvellement acquis mais à dire vrai, même si certains trucs m’ont bien saisi l’oreille, je me suis déchauffé au fur et à mesure. Par contre, j’en ai profité pour continuer à creuser la musique vietnamienne, j’ai replongé dans ma discothèque et, comme d’habitude, fait des coucous appuyés à Discogs et à d’obscures chaînes YouTube. Et là, hasard aidant l’œil déviant, une merveille est apparue. Une merveille, ou plutôt un quadragénaire sympathique, grimé comme un vétéran, mais version Aldi Market, qui pointait sa guitare vers moi – il la pointait littéralement puisque celle-ci sort du cadre (en dentelle) dans lequel la pochette le place. En dessous est écrit en lettres strictes Minum Vietnamini – « Mon Vietnam » en finnois. Je ne sais pas du tout quel est le projet, mais j’y adhère absolument.

Ce visuel et ce titre franchement limites habillent le second album de The Rocks, projet du musicien finlandais Tuomas Toiviainen. Ces atours tendancieux cachent pourtant une musique lo-fi et super bien ouvragée, à l’ancienne et référencée, une sorte de pop-rock-folk-chanson (soit juste de la pop, en gros) qui m’a fait bien plaisir. Déjà parce que je me surprend à découvrir dans le finnois une langue vraiment agréable à l’oreille (et improbable, entre le portugais et l’allemand), qui roule et se brise, rythmique et mélodieuse. Même si je ne comprends rien aux paroles, ces courtes chansons catchy me donnent une foi totale dans ce conte improbable que raconte la pochette – je m’imagine les souvenirs du seul Finlandais ayant participé à la guerre du Vietnam, qui s’en est sorti sans trop de problèmes mais qui ne se prive pas pour raconter son histoire en faisant son kéké. Cependant, la traduction (Google trad, et donc à peu près incompréhensible) du texte présent sur le Bandcamp laisse évidemment entrevoir un propos un peu plus réfléchi qu’une simple blague, même s’il reste tout de même bancal :

Le test de virilité prolongé défie ses auditeurs : l’épreuve prolongée de la masculinité rend insurmontablement difficile le retour à ce qu’il était avant. L’incommensurabilité des destins inclus dans les paraboles tend à révéler le pathos avec lequel on aborde sa propre vie. La pochette de l’album fait également écho à son thème intertextuel en combinant une esthétique vietnamienne d’autodérision avec un motif de dentelle pastel.

Comprenne qui pourra, ou voudra. En tout cas, là où l’aventure aurait pu prendre un tournant Mac DeMarco (no comment) qui l’aurait pour moi d’emblée disqualifié, il y a une justesse de la composition, du choix de l’instrumentation, qui place paradoxalement cette musique à cent lieues de la rétromanie. J’avoue ne pas savoir vraiment expliquer le pourquoi de cela. Chaque chanson, expansive dans sa modestie, déroule des processus de composition en apparence basiques, des petites combines qui les rendent uniques et imparables : de jolies guitares électriques ET acoustiques – voir des lap steel il me semble, comme sur « Pahuus vallitsee » – qui lâchent des riffs parfaits et des bends dans tous les sens, des synthés pointillistes et sautillants (« Talvitakki », ce gros rock rigolo) mais aussi des pianos et des orgues qui donnent les émotions (« Pyöräilyhousut »), des batteries qui ne dépassent pas, des effets audacieux (les bips et la batterie sous flanger sur le tube interstellaire « Kusenhajuinen Cowboy ») ; et puis la voix de Tuomas, si simple et si belle, parfois emportée par d’autres (« Välisoitto », saudade maximum avec ces chœurs et ces discussions de comptoir), chantant dans cette langue mystérieuse qui arrive à faire cohabiter musique brésilienne et Schlager – à chaque fois que débute « Toteemipaalu », je crois que c’est une sorte de reprise osée d’une bossa, alors qu’en fait pas du tout.

Cette façon de faire cohabiter rock de stade un peu glam et chanson mélancolique (cf. « Varjokuva ») et fantasque (« Osasia », c’est pas trop les sims, franchement ?) sur des formats souvent très courts (rien ne dépasse trois minutes) me semble être un achèvement de la forme pop, même si cela sonne comme un contre-sens. Il y a la fois quelque chose de Neil Young, des Beatles, de Dick Annegarn, de Bowie, des Sparks, d’Harry Nilsson, de Warren Zevon, de tellement de choses qui m’ont bouleversé mais avec lesquelles j’ai pu prendre de la distance, et qui redeviennent ici totalement actuelles. Et c’est donc encore par un chemin sinueux qui, d’Emmaüs à Bandcamp, de la guerre du Vietnam comme trauma à la guerre du Vietnam comme improbable symbole ou signe, du Nhạc Vàng à la Finlande, nous a conduits, comme toujours, de la musique pop à la musique pop.

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