Je me rappelle une scène de télé-réalité française où un mec disait à une fille qu’il kiffait : « En fait je crois que je suis en train de falling in love ». On sait que l’expression « être in love » est entrée depuis un moment dans la francophonie mais j’avais bien aimé le fait que le gars ajoute « falling » et c’est vrai que la sonorité du mot colle bien à l’intensité du sentiment. Je m’étais fait remarquer en le voyant que j’avais moi-même en tête pas mal de morceaux qui disaient « falling in love ». Je les ai réunis ici, et dans l’ensemble mes choix sont davantage orientés vers la disco ou la house que vers l’indie-rock ou la noise, mais si vous avez des idées de titres dans ces genres-là ou d’autres, je vous écoute – mais attention, « I Can’t Help Falling In Love » n’est pas autorisé, c’est trop facile !
SURFACE – “Falling in Love” (1983)
Le premier morceau qui me vient en tête quand j’entends les mots falling in love est un classique disco-funk sorti chez Salsoul, signé par le groupe Surface et édité par un Shep Pettibone alors en début de carrière mais déjà hyper fort. Vous l’avez sans doute déjà entendu, c’est une chanson inusable, non seulement en termes de son mais aussi en termes de mood. La chanteuse Karen Copeland dit qu’elle tombe amoureuse sur un ton d’abord enchanté (« I’m falling in looove ») puis semble vouloir marquer une nuance plus douce-amère ensuite quand elle prononce « with yooouuu ». Ce que j’en comprends c’est que l’amour c’est génial, tomber amoureux c’est trop beau, mais que la réalité de l’objet d’amour est elle sans doute moins euphorisante – comme la réalité tout court, d’ailleurs. Il est néanmoins possible que je surinterprète puisque le couplet revient à un discours et un feeling plus explicitement positifs. En tout cas, cet amalgame subtil de joie et de mélancolie résume bien l’idée de confusion des sentiments qui caractérise l’état amoureux : on voit le début et la fin se superposer, l’extase et le manque, l’élan et les problèmes. La prod est ultra classique de cette époque mais brille par sa perfection, sa clarté, sa fluidité d’exécution, la noblesse des textures. L’air chanté par Karen a aussi ce petit fruité qu’ont pas mal de chansons post-disco, une vibe adolescente estivale qui se fredonne sur le trottoir en rentrant de l’école en fin d’année scolaire. Je l’entends aussi dans deux autres chefs-d’œuvre new-yorkais : « Over Like a Fat Rat » de Fonda Rae, édité par Larry Levan, et l’irrésistible et tellement tendre « It Ain’t No Big Thing » de Donna McGhee, produit par Patrick Adams, sur lequel je vais revenir plus bas.
Je tiens aussi à souligner, même si ça ne voudra peut-être pas dire grand-chose pour vous, que le morceau de Surface plaisait énormément à feu David Sandoval, un ami très cher et très difficile en musique, qui souvent ne prenait même pas la peine de commenter les choses que je lui envoyais en me disant que ça pourrait éventuellement l’intéresser. Or, quand je lui avais fait un CD gravé avec une sélection disco-funk, il avait réagi avec un enthousiasme inhabituel et m’avait dit avoir écouté et dansé sur le track en boucle chez lui. Il dansait très bien, comme vous pourrez vous en rendre compte sur cette vidéo d’une chorégraphie accomplie sur un titre qui pour le coup ne ressemble pas du tout à « Falling In Love ».
En bonus vous pouvez découvrir dans la playlist un morceau sorti trois ans plus tard par une chanteuse nommée Sybil, dont se dégage plus d’angoisse urbaine mais qui néanmoins claque vraiment comme pas possible, notamment dans le vocal, proche du latin freestyle, puis une reprise lovers rock du tube de Surface par Sheila Hynton, ainsi qu’un autre morceau lovers avec le même titre, qui n’est pourtant pas une cover mais que je trouve excellent.
B.M.E. (aka RHEJI BURRELL) – “Falling In Love Again” (1993)
Morceau deep house tout simple avec une voix samplée qui dit « It feels like I’m falling in love with you… again ». C’est super intéressant de parler de ré-amour, de retour du sentiment dans ce contexte plein de fraîcheur et d’intimité. J’avais gardé ce titre en mémoire après l’avoir enregistré dans un mix de Deep ou Grégory « à la grande époque », sans savoir ce que c’était. J’ai posé la question il y a six mois sur Chineurs de house et on m’a d’abord répondu à peu près n’importe quoi, jusqu’à ce qu’une vraie source fiable arrive, en la personne de Nick V, qui nous a donc informés que c’était une référence du label Bottom Line signé sous pseudo par Rheji Burrel, frère de Ronald avec lequel il formait le binôme à l’origine d’une bonne partie des plus beaux maxis de Nu Groove. Merci Nick, merci Rheji, merci la house lumineuse qui sortait alors de New York.
KYLIE MINOGUE – “Falling” (1994)
Une chanson de l’Australienne extraite de son album sorti en 94 que je n’avais pas du tout entendu à l’époque mais dont m’a parlé mon ami Lionel Vivier voici quelques années. Le LP n’a pas que des bons moments mais “Falling” est un bijou méticuleusement taillé dans les pierres les plus rares du minerai house le plus deep – ça pourrait être le prochain drop Tiffany pour celles et ceux qui suivent la joaillerie ici. Morceau écrit et composé par les Pet Shop Boys, qui si j’ai bien compris n’ont qu’à moitié réussi à s’entendre avec Kylie, “Falling” resplendit surtout par sa production signée Heller & Farley, duo britannique plus royaliste que le roi en matière de house ligne claire New Jersey. L’assemblage, ou disons la mise en chœur des éléments lors de l’intro m’enchante particulièrement : la basse typique, les synthés hypnotiques mais généreux, les murmures multimixés de Kylie, les chœurs qui enveloppent puis se dissipent, les FX, les drums, tout ça forme une communauté organique qui donne l’impression d’avoir toujours été là. C’est tellement magnifique qu’une dizaine d’années plus tard Michael Mayer samplera (remixera ? reprendra ?) la chanson sur la compile Total 4 du label Kompakt de Köln, et ce sera tout aussi beau même si ça penchera cette fois-ci davantage vers cet alliage de dureté et de drame tout en retenue propre au son des années 2000. Un track qui a dû parler très fort à Tim Finney, un Australien fan de house et de Kompakt, que j’embrasse au passage.
MAGNETIC TOUCH – “Falling In Love With A Dream” (1978)
Un morceau à tomber par terre, produit par le duo Patrick Adams/Greg Carmichael, dont j’adore le son disco quasi lo-fi mais en même temps très touffu, jamais dépourvu d’ambition, voire de mégalomanie. Dans sa version originale, la chanson est folle, ça sonne limite live, tout en proposant des solutions de mixage et d’harmonies qui peuvent laisser perplexe mais qui personnellement me transportent : le pied prend vachement trop d’espace, les chœurs occupent presque davantage le devant du mix que la lead chanteuse (non-créditée, sympa !), qui elle-même envoie une émotion digne d’un titre conclusif, d’une sorte de scène finale de comédie musicale alors que c’est la première plage de l’album (qui est super, si ça vous intéresse). J’adore cette intensité qui s’impose comme ça, sans préparation, et puis cette ligne de chant qu’on sent compliquée à rentrer : dès le début de son couplet, elle prend son élan, les chœurs la chauffent comme pas possible – genre “allez vas-y ma chérie ! on est tous avec toi, tu peux le faire !” – et quand elle arrive à “the only reason for my behaviour” on pourrait presque imaginer les gens l’encourager comme si elle caracolait seule en tête en pleine ascension du Tourmalet mais qu’elle commençait à fatiguer. La version plus clean, sortie dans les nineties, est très très bien aussi, avec un pattern de batterie plus enlevé mais toujours cette mélodie qui demande pas mal d’implication, interprétée cette fois-ci par une chanteuse créditée, du nom de Shelly Montanez.
DEESHA – “Falling in Love” (2007)
Un peu de UK garage limite bassline/“niche”, ça fait toujours du bien un lundi matin, avec cette chanson de Deesha dont je vous suggère deux versions : la première réalisée par Delinquent, qui clique sur tous les boutons de l’utopie élaborée par le genre, faite de petits frôlements et de puissants sous-entendus, transformant l’universalité du R&B en une espèce de langage codé uniquement audible par les jeunes filles et jeunes gens amoureux entre l’avant-dernière journée de la Premier League et l’ouverture du carnaval de Notting Hill. L’influence de Todd Edwards se ressent ensuite beaucoup sur le mix de Misty Dubs, qui offre une orchestration qui me met dans tous mes états, avec une profondeur de champ qui j’espère fera taire ceux qui pensent que ces morceaux vocaux UKG ne sont que des “bluettes” et voudront bien enfin les comprendre dans toute leur monumentalité.
THE MACKENZIE feat. JESSY – “Falling In Love” (1998) / DELERIUM feat. LEIGH NASH – “Innocente (Falling in Love)” – DJ Tiesto remix (2001)
Je ne vais pas vous faire croire que j’aime la trance et la “hard dance” comme j’aime la house ou la disco, mais quand c’est chanté je crois que ça réussit à me parler. Sur ces deux hits fin 90 début 00, l’expression et l’expérience de l’amour semblent entièrement relevée de la détresse et de l’impuissance, dominées par des sonorités sans pitié : c’est vraiment un kidnapping, une emprise. The Mackenzie est un trio dont les membres ont des noms français, mais je les sens plutôt belges puisque le disque est sorti sur un label hollandais, et le morceau est chanté par Jessy, vingtenaire blonde dont on sent qu’elle a bien la patate. Le style du titre nous rappelle que la trance descend en partie de la hi-NRG qui elle-même descend en partie de la Northern soul, et sans pouvoir exactement formuler toute la théorie de l’histoire que je vois poindre à l’horizon, je me dis qu’il y a quelque chose d’essentiel et de superbement persistant dans cette musique qui méprise les nuances pour ne se concentrer que sur la pratique du martelage.
Le titre de Delerium remixé par Tiesto se rapproche plus de cet agrégat electroémo/poptrance/stadiumrock/bigbeat qui faisait beaucoup de bruit autour du millenium, monstrueuse galaxie que je détestais alors. Aujourd’hui, je trouve que la chanson a beaucoup de charme, et puis le clip vaut le détour si vous voulez connaître la différence entre le revival Y2K et la réalité esthétique de 2001.
Voilà, je vous souhaite une bonne journée de soleil, et peut-être même de joie et de légèreté, et je vous dis à demain !