Léonie Lousseau, Léonie tout court : une énigme haut perchée

Léonie Lousseau Léonie Lousseau, énigme haut perchée
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Musique Journal -   Léonie Lousseau, Léonie tout court : une énigme haut perchée
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Léonie ne s’appelle pas Léonie pour de vrai.
Léonie Lousseau non plus.
Léonie a chanté sur des 45 tours. 
Léonie Lousseau aussi. 
Et c’est la même. Et vous ne la connaissez sans doute pas.

Sauf si vous êtes à l’affût.

Si vous êtes fan de ces voix pop féminines françaises, des années 60, et 70 aussi, si vous cherchez dans tous les recoins des vide-greniers réels et virtuels ces pépites délivrées par tout un tas de chanteuses dans le sillon de Brigitte Bardot, Françoise Hardy, Jane Birkin, France Gall, Anna Karina… Anna Saint-Clair ou Victoire Scott aussi… Ces dizaines de chanteuses que l’on voit aujourd’hui sur des pochettes aux couleurs passées, carrés à franges et autres mi-longs, esthétique Bande à part et Jules et Jim, un soupçon des Demoiselles de Rochefort. Actrices chanteuses, chanteuses actrices. Muses des 30 glorieuses. Inspiratrices actives, comme prises dans le virage d’une féminité féministe à moitié qu’on n’a toujours pas fini de prendre. Un long virage sinueux emprunté par tant de chanteuses uniques à leur manière, comme Léonie.

Je l’ai connue ailleurs qu’en musique, Léonie. 

Dans une maison bretonne à grand escalier, souvenirs en confitures de framboises et autres cousins cousines qui cavalent, pléthore de tontons, tatas, grands-oncles et tantes, aux effluves distingués de parfum de Chanel descendu de la Capitale.

Parmi tous ces gens, une jeune femme ne ressemble à personne d’autre, et moi, petite fille, j’aimerais lui ressembler plus tard, quand je serai grande. Elle articule ses phrases d’une façon que je n’ai jamais entendue ailleurs  avec une voix si singulièrement douce et haut perchée. Elle fait partie de ce décor intérieur, figé, immuable d’une enfance. Ces voix, ces sons, comme des impressions tatouées sur oreilles. Bijoux cailloux genoux pour la vie.

Sur la platine, de temps en temps, le dimanche chez mes parents, c’est la voix de cette femme que je reconnais. Et son visage sur les pochettes de 45 tours.

Que des 45 tours, pas d’album ; pas l’occasion j’imagine, je n’en sais rien. 

Ce que je sais en revanche, c’est qu’ils valent vraiment le détour, ces 45 tours : voici donc une playlist de 5 morceaux pour découvrir Léonie Lousseau et Léonie.

En 1968, quatre premiers titres sortent chez Philips. La pochette du 45 tours a un fond marron sur lequel se détache le haut du corps de la chanteuse qui croise les bras et regarde droit dans l’objectif avec un sourire pas sourire. Les morceaux sont écrits pour elle par Sébastien Poitrenaud, cinéaste, chanteur et parolier qui a aussi travaillé avec Bashung et Christophe. Ils sont arrangés par Jean-Claude Vannier, qui composera plus tard avec Gainsbourg l’album Histoire de Melody Nelson.

Je me souviens que mes oreilles d’enfant aimaient ces mélodies sautillantes aux orchestrations classiques : hautbois, flûte traversière, percussion comme un tchou tchou de train de campagne, je me souviens que ma tête d’enfant ne comprenait pas bien les paroles de « Fleur de serre » que je connaissais pourtant par coeur presque à mon corps défendant.

Mes oreilles d’adulte sont toujours aussi sensibles à cette orchestration enlevée, à la légèreté du jeu musical qui entoure cette voix douce et pointue, ma tête d’adulte, quant à elle, a fini par saisir le double sens des paroles qui n’ont rien à envier aux sucettes d’Annie, sauf que. 

Zéro naïveté ici, la chanteuse affirme, au contraire, une sorte de frivolité assumée, revendiquée : « Je suis à mon aise dans les bars, je suis à mon aise dans les sous-sols… », la connotation sexuelle qui est le fil rouge du texte repose malgré tout sur une vision patriarcale de la relation : « Je suis une plante grimpante / Je suis une ser-pente / j’ai besoin d’un tuteur / D’un / Remonte-pente ». À la re-déchiffrer aujourd’hui, je me dis qu’elle est à l’image d’une posture complexe entre empowerment et difficulté à sortir de représentations séculaires – en particulier dans une chanson dont le texte a été écrit par l’auteur d’un court métrage appelé Erectus.

Léonie Lousseau a d’autres activités que le chant, elle est illustratrice, elle peint, joue dans des films, elle vit et donc plus de trace discographique jusqu’à ce qu’elle réapparaisse en 1971 sous le nom raccourci de Léonie. Elle sort alors deux morceaux extra-terrestres, comme des caresses astrales d’un rare raffinement, créées avec l’aide toujours fidèle de Jean-Claude Vannier auquel vont s’ajouter Christophe et Etienne Roda-Gil : « Wahala manitou » et « En Alabama ».

Les paroles de « Wahala manitou » ont été écrites par Roda-Gil, et elles sont tout aussi mystérieuses que la voix de Léonie. Un rêve, cette chanson. Les mots de cette amorce, vraiment : « Vers les terres magiques vont tous les Indiens… » comme une prière lointaine… Une humanité vient vibrer là, entre les côtes, grâce à la puissance éthérée que tissent les arrangements musicaux. Chakra du cœur. Et amen. Du cœur baigné dans les chœurs de Christophe, mais oh quelle beauté.

« En Alabama », quant à elle, a été écrite et composée par Jean-Claude Vannier, on reconnaît son style si singulier de riffs de guitares qui dessinent une course dans un espace désertique avec les nappes de claviers. La voix égale à elle-même susurre avec force, mais comment fait-elle ? Elle émane.

Ce mystère, c’est Léonie, c’est là qu’on voit ce que ça signifie d’être une muse, c’est elle qui impulse le désir créatif et donne le ton qui lui est propre, les arrangeurs et créateurs alentour finissent par créer un univers cohérent puisque c’est elle qui est aux commandes.

D’ailleurs, elle inversera les rôles de temps en temps. En prenant par exemple Christophe pour muse : elle a écrit  pour lui les paroles de « Main dans la main » : « Je t’aime et t’aimerai toujours mon presque premier amour… » Assez beau non, ce « presque premier amour » ?

Léonie, c’est l’Alabama, une terre lointaine, une forte présence, une évocation inaccessible. Cette chanson est une réserve inépuisable de questions. Que dit le texte ? Ce que vous avez envie qu’il dise : « En Alabama, très loin là-bas, il ne sait pas pour qui pour quoi… » Mais qui le sait ? Chanson bas les masques sur nos troubles profonds, sur cette existence que personne ne maîtrise.

Toujours dans ce même univers terrifiant et charmant, Léonie va écrire et composer aussi pour elle et chante « Lilith ». Lilith, déesse mésopotamienne liée au vent et à la tempête :

« Lilith sans vie à vie, s’ennuie des vents (et)
De la pluie, aux vents de la pluie

Lilith, Lilith, sourit et puis se perd
Dans la nuit claire d’un autre univers
Lilith, Lilith est elle enfouie au fond
D’une rivière pour la vie entière, pour la vie entière»

Versant tragique de la vie, la fleur est sortie de sa serre et elle s’est perdue. « Sur un petit fil sur un petit fil de folie / Sur un petit fil sans vie », à l’image de cette voix funambule, prête à tomber, plus on se montre léger, plus on est sombre parfois. 

On la retrouve pourtant, la trace vocale de Léonie ça et là, par l’intermédiaire de Karl-Heinz Schäfer par exemple, compositeur, arrangeur pour Adamo ou Charles Aznavour, qui va faire appel à elle et à son timbre mélancolique et aérien pour interpréter « Couleurs », sur la bande originale du film Les Gants blancs du diable de László Szabó, dans lequel jouent Bernadette Lafon et Jean-Pierre Kalfon. On y retrouve ces nappes de mystères vocaliques et instrumentaux à dimension onirique, on plane un peu : « Tu rêves en couleurs d’un ciel orangé (…) mais demain, il fera jour, puisque c’est écrit ». Le réveil est dur, toute une époque, toujours, aussi.

Chansons comme des cailloux dorés, semés cahin caha par une petite poucette qui ne veut pas vraiment qu’on trouve son chemin, qui apparaît puis disparaît à sa guise, parce qu’elle fait ce qu’elle veut, Léonie, avec ce prénom qui n’est pas le sien.

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