En 1994, M.C. Rivé & The D.Joyce Spirit emmenaient la teuf dans une autre dimension

M.C. Rivé & The D.Joyce Spirit Yé Very Body
VDE-Gallo Records / Future Tell, 1994
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Musique Journal -   En 1994, M.C. Rivé & The D.Joyce Spirit emmenaient la teuf dans une autre dimension
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Au commencement, je n’ai pas les mots, littéralement. L’objet ne se dévoile pas, demeure cryptique. Il ne laisse filtrer aucune information, si ce n’est son nom. C’est un épisode type Forsi Live 2000 qui se profile (d’ailleurs je n’ai pas de nouvelles du label, mais je garde bon espoir). Qui sont ces gentes ? D’où viennent-iels ? Comment remonter la piste ? Faut-il le faire ? Peut-être que cette absence d’information est volontaire, qu’iels ne veulent pas être retrouvé·es, garder le secret ? Démêlons les fils au fur et à mesure. Un label de Lausanne, VDE-Gallo Records, que l’on qualifiera d’éclectique, est impliqué, mais aussi un autre, aujourd’hui défunt, québécois et obsédé par l’italo-disco bien vulgos, la house et l’electro-funk gratiné, Future Tell. Ce que j’entends-là pue la francophonie (seuls des locuteurs de la langue d’Édika peuvent assumer un titre comme Yé Very Body), l’Amérique aussi, mais surtout les années 90. Il m’est impossible de localiser pour de bon ce mélange de house, d’eurodance, de new-beat, de hip-hop et d’un funk Princesque super fier.

Ce que je sais : le groupe s’appelle M.C. Rivé & The D.Joyce Spirit et comprend un « maître de cérémonie », M.C. Rivé donc, une chanteuse, Dulce Batista, et un danseur (comme à la grande époque, je suis fan), Drissi Jilali. Et voilà, pas plus, un mystère. Ce que je comprends (très, très, très vite) : ce truc est taillé pour la teuf, survitaminé, un véritable bulldozer hédonistique. Iels en font trop, beaucoup trop et pourtant on en veut toujours plus « Nayé » ne ne fait qu’aligner les trouvailles accrocheuses d’oreille jusqu’à l’anéantissement de l’esprit, le tout en 4 min 12. Les chansons s’enchaînent, toutes me semblent à même d’enflammer les dancefloors les plus hétéroclites et réfractaires de l’univers en 4 secondes, de Hagenau à Saint-Vincent-de-Paul. C’est gimmick sur gimmick (la très justement nommée mais mal orthographiée clôture « Gimick Non Stop » donne juste envie de remettre le disque), tube après tube, de l’énergie pure. Je les rêve étincelant·es et frondeur·euses sur les Champs-Élysées ou la Canebière, en 98 la France black-blanc-beur sans la Nation ni la différenciation raciale, la Coupe du monde sans la FIFA, l’État sans les pourri·es , entraînant une communion telle que l’on se trouverait fièr·es d’être terrien·nes et non plus français·es ; ou mieux, sauveur·euses divin·es terrassant les forces réactionnaires pendant la Commune (oui, c’est anachronique, mais c’est le but des rêves non ?)

Les paroles sont parfois difficiles à comprendre, tant les langues se mêlent dans une sorte d’espéranto-yogourt sous acide pas mal de lingala et d’anglais, de l’arabe et de l’espagnol ponctuellement, il me semble, mais pas vraiment de français, bizarrement. Cette rencontre d’idiomes, de timbres, de façons de forger la mélodie nous projette littéralement dans le futur, encore aujourd’hui. Je veux que vous écoutiez « Spirit » et que vous me disiez, droit dans les yeux, que ces « It’s feeling feeling feeling feeling » et ces refrains gloubi boulga où se devinent « reggae music » et « techno music » ne portent pas en eux l’espoir d’une sortie par le haut pour notre planète. Franchement, on dirait que ce groupe est revenu du futur en 1994 pour nous dire de ne pas nous inquiéter, que tout va bien se passer ; on va avoir quelques péripéties et des moments pénibles, c’est sûr, mais tout va se résoudre dans une gigateuf abusée et infinie. Et dans cette grande convergence collée-serrée tant attendue, on parlera un argot fait d’occitan, de gaélique, de cantonais et de langues bantoues.

Les phases rappées sont bien dans leur époque et efficaces af je veux dire, qui peut résister à « Leki Yaka » sans amulette, franchement ? « MOVE YOUR BODY, FEEL YOUR BODY, EVERYBODY » ! Si les chansons suivent assez souvent le schéma très genré « monsieur scande/madame chante », il faut dire que Dulce Batista, que je ne peux pas entendre sans penser à Paradisio, n’est pas du tout manchote rythmiquement. Et comme elle le rappelle assez justement sur le proto-hip-hop « Nothing » (on dirait une instru de Nougayork, jpp), personne ne peut la contenir et elle fait CE QU’ELLE VEUT, n’en déplaise aux vieux cons. De même, MC Rivé lâche des mélodies super-lourdes qui, si elles ne s’inscrivent pas forcément dans une tempérance harmonique occidentalo-clinique, détiennent un pouvoir de chavirement immédiat.

Ces morceaux me donnent souvent l’impression d’avoir été enregistrés en une seule prise, à l’envolée, après une irruption de l’équipe dans le studio le danseur est là, et il se la donne ! , à bloc, les pupilles démesurées. On est sur le fil, et c’est là le génie de cette production signée Raphaël Toiné, le seul dont on sache quelque chose (un Martiniquais établi en Suisse, notamment connu pour son album Ce ta Ou / Sud Africa R​évolution, réédité en 2019 par Glossy Mistakes) : elle cadre, enrobe et propulse sans aseptiser, ce que je trouve infiniment classe. L’album est une véritable rencontre : sur le plan humain, je ne sais pas, mais sonorement, les voix sont souvent traitées comme des instruments, échantillonnées et séquencées avec grandiloquence, dans un sampling à la truelle acceptant difficilement la contradiction. Il y a évidemment toujours les synthés qui vont bien, une rythmique housey rigidement salace, des cocottes de gratte folles et des petits arrangements coquins, c’est la kiffance totale, sans compromis !

Quelques fragments choisis qui me dévissent la tête, alors que j’écoute, pour la septième fois, l’album : l’éponyme ouverture « Yé Very Body » qui démarre par un ostinato-scat de Rivé spatialisé, auquel un très à propos « yéhéhé » étiré et fractal de Dulce emboîte le pas (le premier couplet, j’ai les pieds qui partent inexorablement en freestyle) ; « Anybody Can Be Famous » à partir de 2 min 25, indépassable ; « Arabizare » (SALAM ALEYKOUM, ALEYKOUM SALAM) qui nous fait passer la porte des étoiles, Natacha Atlas et Arabian Prince sur scène dans un club d’Anvers, quand soudain Wesley Snipes rentre avec fracas par la grande porte.

Les slow jams de l’album, gorgé de funk et de top 50 outernational, me mettent les larmes aux yeux. J’aime tout cet album, mais les morceaux plus calmes (tout est relatif) sont pour moi de vrais trésors. « Nalingi Yo » (je te veux, en lingala) avec ses lignes de voix qui en fond des caisses et semblent se casser la gueule dans une gloire étincelante, raconte le désir simplement et sans détour ; et je l’avoue, Dulce m’y trouble un peu. Et avec « I Feel You » (cette guitare, le riff de piano à 1 min 30, la montée modale extatique à la fin !), je pourrais conquérir votre monde, chacun de ses détours me rend meilleur avec mon prochain, me donne envie de sentir avec un amour fraternel mes semblables.

De la musique totalement noire et totalement blanche, totalement tout : cela ne veut absolument rien dire, on est d’accord, c’est même une aberration ethnomusicologique de sortir un truc comme ça, mais vous cernez à peu près le feeling qui se loge là-dedans. Madonna et Papa Wemba, une fiction impossible mais pourtant bien là, le monde qui vient et qu’on nous refuse, mais que parfois l’on entraperçoit ou plutôt, que l’on « entrentend ».

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