Le Zaag Kick passe le mur du son et pose beaucoup trop de questions

Lil Texas Concert au Defqon
2023
Dimitri K Concert au Reverze
2023
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Musique Journal -   Le Zaag Kick passe le mur du son et pose beaucoup trop de questions
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Parfois je me demande ce qui peut encore me surprendre, me saisir, alors que j’entre dans l’âge blasé, que je trouve mes enfants et les oiseaux improvisateurs suffisamment intrigants pour ne plus me soucier du frisson de la nouveauté. J’en viens à me figurer en grand sage, qui, enfin, s’est détourné de la musique prétentieuse des hommes pour vibrer avec le monde. Et en plein milieu de mon délire, lorsque je commence carrément à faire référence à la sagesse antique, ou pire, à Hartmut Rosa, je me prends un zaag kick en pleine poire.

La furie futuriste du zaag kick, dans son contexte de fête foraine plutôt mainstream, est comme un rappel, pour moi, que l’on a pas fini d’explorer la contrée de l’art des bruits. Sauf qu’ici, on n’embarque pas au GRM ni au Non-Jazz, mais à Tomorrowland. Le zaag kick, le kick scie en néerlandais (merci Lulu pour la traduction et la prononciation, du genre zaaaaaaaaaaag), est donc la nouvelle et très massive tendance dans le milieu de la musique électronique hardcore grand public, les franges les plus suantes de l’EDM. C’est le truc de 2023, l’ingrédient de tout bon set ayant lieu dans les festivals géants entre l’embouchure de l’Escaut et la Frise, du Defqon.1, au Dominator.

Le principe de ce son est dans la continuité des expérimentations, dans la techno hardcore, autour de la distorsion du kick. Le Frenchcore et le hardcore britannique proposaient déjà des kicks salement triturés – et je me rappelle avec émotion de ma première écoute de l’album Bastard Sonz of Rave de Hellfish and Producer à sa sortie en 2006 sur Planet Mu. Je devais encore être dans un plan foireux de pétard mal roulé à la sortie des classes, quand avec des amis nous avons pris cette immense claque avec ce cocktail de musique industrielle et de techno extrême et distordu, servi sans glaçons. 

Sauf qu’aujourd’hui, le hardcore est une industrie qui n’a rien à voir avec l’esthétique rave et revendicative de Micropoint ou de Hellfish & Producer. Regardez ce footage d’Atari Teenage Riot balançant des bruits de casseroles de l’enfer pendant une émeute pour la fête du premier Mai 1999 à Berlin, et n’importe quelle vidéo qui fait la part belle au zaag kick en 2023 (par exemple ce clip de Dimitri K, une des figures du genre). Le format Thunderdome a définitivement gagné, et rend encore plus dingue l’irruption d’un phénomène comme le zaag kick dans ces fêtes géantes et populaires. L’irruption du zaag kick doit être mise à la suite des mutations du hardstyle ces vingt dernières années. Alors que la scène hardcore et son esthétique bas du front tournaient un peu en rond au milieu des années 2000, le hardstyle est venu remettre un peu de gaité et de mélodie dans le cœur des danseurs les plus excités, tout en formatant un genre plus bankable. Or, peut-être qu’une pulsion viscérale vers le bruit l’a porté à se renouveler d’une façon extrême. Le genre uptempo a fait son apparition au début des années 2010 pour devenir presque hégémonique à la fin de la décennie. Très rapide, très agressif, le son uptempo fait la part belle aux drops. La structure d’un set de techno hardcore se métamorphose alors en une série d’évènements très courts, entre pause atmosphérique, montée musclée et drop saisissant – une évolution qui marque les musiques électroniques en général. Sauf que dans le contexte de la techno hardcore, cette recherche du drop le plus fou a abouti au zaag kick, ici illustré par un des hits du genre, un morceau de Vertile et Rebelion samplant Linking Park.

Car le zaag kick est d’une violence inouïe. L’espace d’expérimentation sur la distorsion et la production d’overtones, d’harmoniques inattendues, a été facilité par des logiciels comme Serum qui permettent d’utiliser des formes d’ondes plus complexes qu’une onde sinus, triangle ou rectangle. L’idée d’enrichir harmoniquement une onde à l’aide de la distorsion, et de jouer sur la forme même de l’onde pour créer des tons supplémentaires, n’a rien de nouveau dans la musique électronique. C’était le cheval de bataille de Donald Buchla notamment. Mais des programme comme Serum ou Massive ont depuis longtemps ouvert la voie à l’utilisation des ces techniques de productions de sons mutants dans la musique club fabriquée sur ordinateur. La Dubstep est évidemment l’exemple le plus frappant de cette esthétique. Mais le Zaag Kick concentre une vingtaine d’années d’exploration Dubstep dans le kick seul, à 200bpm sur l’autoroute de la rage.

Et donc, je vous laisse apprécier ces images incroyables des sets de Lil Texas au Defqon.1 ou de Dimitri K au Reverze. De contempler la foule un brin lambda d’un mégafestival de techno hardcore en train de se la donner au max sur des bruits de micro-onde, de meuleuse ou de scie pas vraiment musicales. Et voilà, je ne croyais plus en rien, j’étais blasé, et on m’offre un mélange entre Merzbow et Cascada, phénomène de l’été 2023. Je vous laisse spéculer sur la prochaine frénésie qui s’emparera des festivals en 2024…

Merci BEAUCOUP à Pierre aka Meggido pour m’avoir aidé à faire la généalogie du phénomène, et à Lucien pour la mise en relation.

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