Erratum : la pop-ambient n’a pas été inventée à Cologne, mais à Buenos Aires

Estupendo Bistro Malaga
Sonoridades Amapola, 1994
ESTUPENDO Antenna
Sonoridades Amapola, 1995
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Ça fait un petit moment que je me passionne pour la musique produite par une clique basée à Buenos Aires qui gravitait autour de Daniel Melero (dont j’ai déjà parlé dans MJ, ici) et de Miguel Castro, le leader d’un groupe shoegaze-electro appelé Victoria Abril. À partir du milieu des années 1990, cette bande de musicien·nes – bon, soyons honnêtes, surtout des mecs – porteños a inventé un son unique, enfumant le rock national dans une brume psychédélique très épaisse aux contours électroniques. Ce n’est pourtant que récemment que je suis tombé sur le travail d’un groupe Estupendo, duo composé de Fernando Lamas et Sebastián Mondragón et affilié à cette scène de la capitale argentine. 

Leur discographie court de 1994 à 2004 et elle est globalement épatante. Mais s’il faut commencer quelque part, les deux premiers disques me semblent incontournables. Ce sont des merveilles technopop injustement méconnues de ce côté de l’Atlantique, malgré la réédition en 2022 de Bistro Malaga par le label berlinois The Pressure Company. Deux albums qui donnent envie de foutre à la déchèt’ tout ce qui a pu être dit sur le grand continuum électronique, pour enfin envisager une histoire connectée et décentrée de la musique faite avec des machines.

Surtout, je trouve qu’à travers cette paire de CD, on peut suivre de très près la bascule vers une nouvelle musique assistée par ordinateur, plus hermétique, emblématique du début de notre siècle. On voit sous nos yeux se jouer le crépuscule des jams hardware, qui font progressivement place à des rêveries digitales qui jouent d’imaginaires neutres, mais pas stériles. Si on trouve une technopop synthétique et ludique sur Bistro Malaga, notre duo argentin va ensuite aller vers une sorte d’ambient-pop éthérée préfigurant le son Kompakt sur Antenna. Sur les albums suivants, Montevideo en 1997 et Lio en 2001, l’approche a complètement changé : la pop a été quasiment évacuée au profit de vignettes ambient/IDM, de très bonne facture mais bien moins accessibles.

Le groupe, basé à l’époque en banlieue de Buenos Aires, à Banfield, expérimente principalement à partir du studio situé au fond du jardin de la maison de Fernando Lamas. Dans Pagina 12,  le Libé argentin, on peut lire qu’on trouve là une sorte de laboratoire rempli de synthés, de consoles, et de machines en tout genre, surveillés par une vieille boule disco qui pend au plafond. On imagine volontiers, en écoutant Bistro Malaga, les jam-sessions épiques qui ont donné naissance au disque. De la techno opulente et urbaine du morceau d’ouverture «  Gatos serie 3 », émaillé de bruits de klaxons farceurs, au hit « HiFi » qui sonne comme un remix de Sabres of Paradise, on sent l’énergie de deux compères qui délirent avec leurs machines en pleine témon. Il n’y a d’ailleurs pas de doute quant à l’importance de la prise de substances illicites pour les deux zozos, puisque le nom de leur label, sur lequel les deux albums du jour ont été publiés, peut se traduire par « sonorités opiacées » – au catalogue duquel on trouve d’ailleurs de nombreuses sorties excellentes, comme les disques expérimentaux et ambient de Leandro Fresco ou de l’inévitable Daniel Melero.

Tout au long de ce premier disque, ça joue du synthé, ça chantonne (malheureusement les voix sont sous-mixées, c’est un des gros défauts du disque), et on est dérouté par l’inventivité vraiment pop du groupe. Par exemple, au rayon des trouvailles du duo, on trouve l’idée de mélanger, sur «  Abon » , une flûte à la King Crimson (« I Talk to the Wind » , c’est pour vous très cher·es lecteur·ices septuagénaires), un chant variétoche à côté de la plaque et une sorte d’électro lounge downtempo : une réussite. Sur «  Mentol » , on a une forme d’illbient sauce jazz vocal avec un scat éclatos aux portes du k-hole et une instrumentation dubby simple mais envoûtante, j’adore. On est pas loin du sans-faute, c’est toujours extrêmement malin, accessible mais curieux, dans une vibe pop-techno-breakbeat pas si éloignée du son britannique de l’époque, mais pour autant foncièrement singulière. 

Le plus gros défaut de Bistro Malaga, c’est sa longueur. C’est l’effet jam session. On a donc un «  Fui hecho para marte »  de plus de quatorze minutes pas totalement déplaisant, mais quand même relativement ennuyeux. Certaines introductions sont bien trop longues et plusieurs morceaux s’éternisent sans que cela soit nécessaire. Normal pour un disque conçu en enregistrant directement les synthés via un multipiste ADAT, avec des possibilités limitées d’édition. Sur Antenna, le groupe va réussir à contenir un peu mieux cette tendance à se chauffer et transformer toute idée en impro techno hypnotique. 

Dix-huit mois après ce premier disque, Estupendo amorce un virage ambient-pop, lunaire et déconcertant. La maîtrise progressivement acquise de leur matériel leur permet de bien mieux dompter leur son et leur énergie, alors que les objectifs ont, de manière subtile, changé. La technopop devient plus raffinée, limite guindée, dans une démarche analogue à celle de Wolfgang Voigt et ses compères, au même moment, à 11 443 kilomètres de là, à Cologne. Il y a une connivence évidente entre le son de ce deuxième disque d’Estupendo et la première compile Kompakt, sortie en 1996 sur le label Profan, qui donnera bientôt naissance à la célèbre institution allemande. Ce qui est stupéfiant, c’est le côté prophétique du second opus de Fernando Lamas et Sebastián Mondragón. On trouve en effet là tous les ingrédients de la pop-ambient telle qu’on l’entend à travers la série de compilations du même nom et publiée chaque année par Kompakt depuis 2001. Atmosphère ultra éthérée, mélancolie douce, chanteur rêvasseur et synthétiseurs extatiques, tout y est. Les morceaux chantés d’Antenna sont tout simplement géniaux. « Borneo »  s’écoute en boucle, véritable hit injustement méconnu, porté par la voix touchante de Fernando Lamas, alors que sur « Binoculares », on est dans un pur délice de balade synthétique. Dans tout les cas, un seul objectif : égarer l’auditeur dans un espace de flottement et de rêveries digitales.

Les instrumentaux ne sont pas en reste, élégants et subtils, comme « Porte inst. » ou « Manpara AC », mais ce qu’ils ont d’étonnant, c’est que bien que tout soit joué avec des instruments électroniques enregistrés à la volée, on trouve une forme de son proto-digi-MAO des années 2000 (ou de studios des années 1990 bien mieux équipés). Tout est maîtrisé, contenu, comme si notre duo avait réussi à prédire le son à venir, en plein crépuscule du hardware, depuis leur brumeux palais de la défonce. Purée, pour du 1996, en termes de programmation de synthé, d’instrumentation et d’inventivité, on est quand même vraiment pas mal. 

Poussés par leur intérêt pour les univers digitaux et les nouveaux modes de composition, nos deux Argentins vont finalement acheter un ordinateur peu de temps après la sortie de ce second effort. À partir de Montevideo, sorti l’année suivante, ils vont opérer un virage drastique, permis par les outils informatiques, vers une sorte d’IDM obtuse, mais vraiment charmante, en germe dès 1994-95 comme en témoignent les deux morceaux bonus d’Antenna. En deux disques, on voit donc se jouer la fin d’un monde, et se dessiner le début d’un autre. Mais là, ce ne sont pas des monstres qui surgissent, comme chez Gramsci, mais bien deux disques technopop remarquables et singuliers.

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