Tiens, ça faisait longtemps, non ? De la musique qui fait vibrer l’hippocampe et palpiter l’enveloppe ? Je veux dire : un de ces engins tout abrupts, traçant à coup de sinusoïdales plus ou moins pures son sentier dans les replis du grand compost universel ? Sans déconner, j’ai l’impression qu’il y a une éternité que je ne me suis pas penché sur un disque chelou dont l’hermétisme fait tout le charme. Me voici donc de nouveau en prise directe avec la matière qui crise et couine, en mettant encore une fois le cap sur la magnifique cité libre de Bruxelles et plus précisément sur la commune de Forest, où tiennent encore les vestiges d’un paradis aujourd’hui disparu. Et puis faites pas la gueule, il y aura quand même des chemins harmoniques, à peine discernables mais quand même, et de la grandiloquence émotionnelle pour sûr.
Je n’ai que très peu fréquenté ce lieu appelé ATOMA, en tant qu’auditeur ou musicien, mais mes souvenirs y sont impérissables. La première fois que j’ai mis les pieds dans cette ancienne et immense usine occupée par une équipe de joyeux·ses hybrides, en 2021, je séjournais alors pour la première fois à Bruxelles sur une période un peu plus longue que le temps d’un concert. En fait, il s’avère que trois jours après une journée de concerts dont je vous ai déjà parlé à deux reprises, ici et ici, je me retrouve embarqué pour une nuit musicale d’une durée de douze heures, entre 18h et 6h du matin, avec matelas et soundsystem en multidiff : le pied. Une longue et magnifique dérive qui m’a par exemple permis d’assister à une performance de Quanta Qualia, puis de découvrir teubé puis de… tomber dans les limbes, incapable de me mouvoir et bercé par les remous de diverses performances sans vraiment les différencier. La cause : un space-cake dosé pour le poids d’un stégosaure, et préparé par la musicienne dont il va être question aujourd’hui : Célia Jankowski.
Comme par hasard, l’effet de son Fontis paru sur Grammaire Vacante est proprement hallucinant. Rien d’étonnant à cela : à l’hiver 2022, Célia improvise au violon à roue – un prototype du luthier Léo Maurel, qui a bossé avec Kali Malone, Yann Gourdon, Golem Mécanique ou Clément Vercelleto – dans les gigantesques hangars d’ATOMA. Un fontis, c’est un effondrement du sol en surface, si j’en crois mon moteur de recherche. Un trou quoi, du genre Tex Avery mais en plus concret, géologiquement au moins. L’image marche super, d’autant qu’il est possible de la retourner dans tous les sens. Peut-être sommes-nous effectivement pris, fossilisé·es dans cet affaissement compact ; peut-être que le glissement de terrain a déjà eu lieu, et que nous évoluons avec la musicienne dans cet éboulis énorme et composite.
Ou peut-être que rien ne croule ici, si ce n’est l’auditeur·ice, assailli·e par un fongus corrupteur. La musicienne ronge notre écoute, en ça aidé par Valentin Noiret – avec Célia, iels sont des protagonistes importants de l’aventure artistique et humaine que fut ATOMA –, chargé ici non seulement de l’enregistrement mais aussi de la spatialisation. Les amples espaces réverbérants de l’ancienne usine sont maniés avec subtilité et une fièvre auto-alimentée. Ainsi les sons, rudes, intenses, se font maigres et pleins ; ils grésillent, saturent, grincent et battent, percutent aussi. Nus ou lourdement modifiés à l’aide de pédales, ils peuplent non seulement l’oreille mais aussi le reste du corps. Cette physicalité immédiate et élémentaire, tranchante se retrouve d’ailleurs dans les autres projets de la musicienne, que ce soit osilasi, son duo avec Léa Roger (ATOMA, toujours : quelle équipe !) qui a lâché sur OKVLT un PHUEIN hautement recommandable, ou l’ensemble féminin de haut-vol C-IME, que je conseille à toutes les personnes un peu réticentes aux musiques pour quinquas dégarnis à lunettes fantaisistes.
Dans les silences aussi, sur lesquels une traîne plane toujours plus ou moins pesamment, je sens le froid, mais aussi la précarité d’un endroit arraché, momentanément mais avec une férocité contagieuse, à l’ankylose. ATOMA n’est plus occupé, mais l’était alors. la communauté qui y musiquait, faiblement disséminée, se prolonge de différentes manières. Dans Fontis, je veux voir des souvenances de cette histoire, une proclamation peut-être : les bourdons d’un cordophone métamorphe rencontrent le son du courant électrique, l’intérieur d’une table de mixage semble terreuse ; le proche se bagarre avec le lointain, les fréquences valsent et menacent ; ça bouillonne et ça crépite, comme une forme de vie indocile. C’est ce qu’on appelle encore, moi le premier, musique expérimentale, pour les convenances. Un élan, où le maniement des artifices se trouve renversé pour renverser le monde, qui me touchera toujours ; un geste vers.