Incredibly strange nineties françaises : Alibi Montana à 15 ans, Mirwaïs en junglist, Ophélie Winter en anglais

ALIBY (ALIBI MONTANA) "Lisa"
Carrère, 1993
ANN'SO "Tu m'jures tu l'répètes pas" (Dans la jungle des pouffes mix)
Mercury, 1998
OPHÉLIE WINTER "When I Got the Mood"
Carrère, 1992
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Musique Journal -   Incredibly strange nineties françaises : Alibi Montana à 15 ans, Mirwaïs en junglist, Ophélie Winter en anglais
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Récemment je suis tombé sur quelques morceaux français bien oubliés au fond des années 1990. Trois morceaux que j’ai trouvés étranges, d’une manière ou d’une autre, et qui m’ont rappellé encore une fois que la pop sait fabriquer de belles anomalies, perdues entre amateurisme et commerce, esthétique random et singularité pas toujours volontaire. Et ça m’a fait penser à ces deux compilations de bizarreries sixties et seventies sorties, en 1993 et 1995, via l’enseigne de la revue Re/Search, sous le titre Incredibly Strange Music. Musicalement, ces anthologies proposent des choses qui n’ont certes rien à voir avec les trois morceaux que je vais vous proposer de découvrir aujourd’hui : il s’agit pour l’essentiel de curiosités easy listening, rock’n’roll, novelty, et sont régulièrement le fait d’artistes outsiders ou disons marginaux, ce qui n’est pas le cas des musicien·nes dont il va être question ci-dessous. Mais ça n’empêche qu’il y a un charme très freestyle, très nimp, très toiture qui ondule, dans les titres que j’ai sélectionnés, une vibe qui, si vous voulez, vous donne presque l’impression de regarder des gens en train de faire des trucs qu’ils ne sont pas censés montrer en public – ou qu’ils regrettent peut-être d’avoir faits. Mais ce n’est pas pour me moquer que je vous les présente aujourd’hui, au contraire, car avec le temps ils ont pris de la matière et résonnent autrement que ce qui était prévu. Voici donc trois trésors exhumés de ce qu’on pourrait appeler les Incredibly Strange Nineties Françaises.

ALIBY (ALIBI MONTANA) – « Lisa » (extrait de la bande originale de la série Seconde B) – 1993

Alibi Montana est l’une des figures les plus respectées du rap de rue des années 2000. Originaire du 93, il s’est fait connaître avec des projets aux titres qui laissent rêveur : Mandat de dépôt, Numéro d’écrou, ou encore 1260 jours (le temps qu’il a passé en prison pour tentative d’homicide). Il a également signé deux mixtapes en collaboration avec une autre légende du rap français street, le Boulonnais LIM. Et en 2014, il s’est même amusé à accepter un featuring parodique avec Max Boublil. Bref, la réputation d’Alibi n’est plus à faire, si on peut dire, mais ce qu’on sait un peu moins c’est qu’avant tout ça, au début de son adolescence, le rappeur avait fait une apparition dans la série France 2 Seconde B, laquelle suivait les aventures d’une bande d’élèves d’un lycée de banlieue parisienne, qui entre autres choses animaient une station de radio dans leur établissement. Dans un épisode, l’équipe reçoit donc en studio un groupe appelé « Aliby et le TMC », dont le principal vocaliste se trouve donc être le futur auteur de Prêt à mourir pour les miens.

Pas encore Montana, et pas encore avec un I, Aliby déroule dans la séquence visible sur YouTube un freestyle ragga-hip-hop très convaincant avec deux copains à lui. Mais sur la bande originale de la série, éditée à l’époque par Carrère (et aujourd’hui très dure à trouver), on a un autre track d’Aliby, « Lisa », plus strictement rap et surtout beaucoup plus sentimental. Le jeune homme s’y adresse à cette Lisa qu’il a visiblement déçue et qu’il voudrait reconquérir. Les textes sont hyper mignons, et l’instru très love et mélancolique me plaît beaucoup : elle n’est pas tout à fait rap, ou alors ce serait du rap à la PM Dawn, sans doute pas composée par des vrais beatmakers rap (qui n’étaient pas très nombreux à l’époque) avec des nappes limite new age. On est dans le chill romantique, un chill romantique basse définition, et Aliby a l’air de bien se sentir dessus. Si je compte bien, il avait alors 15 ans, et c’est déjà incroyable d’avoir réussi ça, et ça m’a rappelé le très court extrait (que je ne retrouve pas hélas) d’une vidéo qu’on voit dans le docu sur Biggie, où celui-ci rappe sur un son pareillement love, alors très jeune et très mignon lui aussi.

NB : il existe une autre vidéo, tournée je pense à peu près à la même époque, sur le début de carrière du jeune Alibi, avec ses producteurs visiblement issus de la variété qui pensaient en faire un rappeur gentil à la MC Solaar, ha ha ha ha. À la fin de la séquence, Alibi est interviewé séparément, dans le RER, et n’a pas l’air tout à fait d’accord sur cette direction.

NB2 : dans les premières minutes d’une récente interview d’Alibi sur la chaîne Enlivedufer/Carversation, l’intéressé revient sur cette histoire de Seconde B, dont il a apparemment gardé de bons souvenirs ! Ça fait plaisir.

ANN’SO – « Tu me jures tu le répètes pas » (1999)

Anne-Sophie Crantelle est une chanteuse au parcours pas simple à résumer, qui a oscillé entre le mainstream et des sphères beaucoup plus underground. Elle a été dans des comédies musicales et fait des premières parties pour Pascal Obispo ou Maxime Leforestier, mais s’est également retrouvée en featuring avec Donkishot (pour celles et ceux qui se souviennent de ce rappeur transgressif, limite outsider pour le coup) ou le hardcoreux Saoulaterre. On apprend aussi sur sa fiche Wiki qu’elle s’est rebaptisée YXXY depuis 2007 et qu’elle a signé une exposition à Tbilissi en 2020, présentant des œuvres en lien avec la destruction de la planète. Et au milieu de tout ça, elle a enregistré avec Mirwaïs dans les années 1990, avant que ce dernier ne fasse son retour avec Madonna et ne soit encensé à chaque numéro de Technikart. C’est un très curieux track produit par celui-ci que nous allons écouter ici (pour être exact c’en est le « Dans la Jungle des Pouffes mix »), avec un clip qui fait tout le sel de l’expérience : mis en scène dans un salon de coiffure où règne une ambiance extrêmement propice aux commérages (d’où son titre « Tu me jures tu le répètes pas »), Ann’So y joue tous les personnages et nous offre une performance plus théâtrale que musicale, mais néanmoins mémorable, sur un beat drum’n’bass qu’on qualifiera de sincère mais quelconque. Fallait être là, comme on dit (je n’y étais pas), et on a beau dire qu’on recycle tout et n’importe quoi aujourd’hui, honnêtement je serais très perturbé de voir cette esthétique entre esprit Marais nineties et Jeunet & Caro faire l’objet d’un revival. Mais qui sait, il faut s’attendre à tout. 

NB : j’ai fini par apprendre que, par une coïncidence diabolique, Ann’So avait elle aussi joué dans un épisode de Seconde B. Mais pas dans le même épisode qu’Alibi Montana.

OPHÉLIE WINTER – « When I Got The Mood » – 1992

En 1992, Ophélie Winter avait déjà une petite carrière de chanteuse-enfant derrière elle, avec deux 45 tours, « La chanson des klaxons » (1984) et « Poil de carotte » (1987). Devenue majeure, mais n’ayant pas encore explosé avec le tube « Dieu m’a donné la foi » et l’album No Soucy, on la retrouve donc cette année-là avec son premier morceau adulte, « When I Got The Mood », déjà produit par une partie des gens qui la suivront ensuite vers le succès. La particularité de ce single, c’est qu’Ophélie y chante en anglais, langue qu’elle maîtrise plutôt bien (peut-être parce que son père vivait aux States). La particularité du clip qui accompagne ce single, c’est qu’on ne sait pas très bien ce qu’il s’y passe. L’action se déroule au bord d’une piscine, Ophélie apparaît presque exclusivement seule mais les autres plans montrent une bande de beaux gosses assis sur les gradins, certains ne font rien, semblent la mater hors-champ, d’autres chantent un peu ou font des percus sur les bancs, c’est pas clair. Seul un personnage semble avoir un rôle défini : un Noir locksé qui fait l’intro en talk-over puis qui revient un peu ensuite, mais qu’on ne voit pas aux côtés des beaux gosses blancs. À un moment, un des beaux gosses embrasse Ophélie dans le cou, mais est-ce qu’elle parle de lui, rien n’est moins sûr, il est pour ainsi dire anonymisé, objectifié. À la fin, Ophélie arrose ses espèces de prétendants avec un jet d’eau, et tout le monde finit dans le grand bassin, sauf elle (et étrangement quelques filles qu’on avait pas du tout vues jusqu’ici débarquent dans la flotte). La chanteuse a déjà certains de ses petits gestes signature : haussement de sourcils épilés, inclinaison de tête « groovy », regards par en dessous. Le morceau est super, on est en plein dans le R&B light, plus anglais qu’américain, les claviers sont chouettes et planants, et à certains moments la ligne de chant me paraît pompée sur « Come Into My Life » de Joyce Sims ainsi que sur « Outstanding » du Gap Band, mais peut-être que je me trompe ou que je confonds avec d’autres classiques funk eighties. Je vous laisse faire votre propre histoire, tout en vous invitant donc à essayer de ne pas comprendre ce clip balnéaire plein de pseudo-insouciance et de male gaze intériorisé. 

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