Entre ambient plugg et indie sleaze : quelques chimères du nouveau rap Soundcloud

Musique Journal -   Entre ambient plugg et indie sleaze : quelques chimères du nouveau rap Soundcloud
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Ces derniers temps j’ai parlé ici de deux tendances récentes : d’un côté, la cinquième vague emo et son lien complexe à l’emo des années 2000, et de l’autre le phénomène indie sleaze et sa variante d’inspiration hyperpop, que j’ai appelée hypersleaze. Deux esthétiques qui ont en commun de puiser dans les sonorités d’il y a quinze vingt ans, ce qui m’a fait me dire qu’il me fallait désormais aussi vous parler d’une troisième forme de revival fin 2000s, qui lui touche le rap de manière plus ou moins profonde.

J’ai donc sélectionné des morceaux glanés ici et là, certains clairement « branchés », cool, sleazy, porteurs de ce qu’on appelait jadis la HYPE, d’autres plus nerdy, plus « Soundcloud rap », qu’on réunit parfois sous le terme d’ambient-plugg. On précise tout de suite que les deux camps se mélangent parfois, ajoutant à la confusion déjà palpable de ces scènes que je vais quand même tenter d’explorer !

D’abord, un peu de remise en contexte. En 2020 a émergé la trend new-jerk sur Soundcloud. Cette énième bulle spéculative rap prête à exploser a depuis été portée par le succès d’artistes comme xaviersobased, Nettspend ou Yhapojj. L’idée, vous l’aurez peut-être compris, consistait à faire revivre le jerk, sous-genre de rap californien de la fin des années 2000, associé à une danse spécifique et à une musique portée sur la fête, les beats efficaces et les rimes simplistes. C’est déjà un drôle de concept de revival, sachant que cette espèce de sous-crunk enfantine n’a pas non plus été un mouvement musical essentiel qui aurait, à l’ère post-subprimes, marqué durablement les esprits. Mais j’en suis moi-même assez fan, par exemple des pionniers du style, le groupe Cali Swag District – franchement qui peut résister à cette instru ?

Au fil des mois puis des années, la trend new-jerk s’est de plus en plus éloignée de son inspiration stylistique originelle, au point de devenir la succursale festive de la plugg. La plugg, vous le savez peut-être, c’est un genre qui, pour faire simple, est le rap alternatif qui sur Soundcloud a succédé dans la deuxième moitié des années 2010 au cloud rap des pères fondateurs, celui de Yung Lean ou de XXXTentacion. Un son aérien et langoureux, aux reflets jazzy voire funky. Le son new-jerk s’en est emparé pour en façonner cette version curieuse et énergique, qui a donné des essais très prometteurs, même si, globalement, les influences jerk se sont donc estompées, au profit d’une approche qu’on peut qualifier d’accélérationniste, parfois synonyme d’ambition cynique.

Et c’est là qu’a opportunément surgi une autre trend : l’indie-sleaze britannique. En traversant l’Atlantique, le new-jerk semble s’être transformé en mémorial des late 2000s, avec pour piliers les fêtes Skins et le site worldstarhiphop.com à son heure de gloire. Le brillant journaliste Alphonse Pierre a parfaitement résumé sur Pitchfork cette drôle de situation (ici). Quant à moi, j’ai été particulièrement interpellé par deux morceaux.

D’abord, il y a le dernier clip de fakemink, « Easter Pink » . J’avais adoré les premiers morceaux de cet Anglais, notamment ce très bon « Givenchy », dans une vibe plugg introspective et abrasive qui m’avait vraiment convaincu. En revanche, l’opportunisme de sa collaboration avec Suzy Sheer, proche de l’infâme duo Snow Strippers, m’a fait froncer les sourcils, même si cela peut se comprendre dans le cadre de cette scène UK rap visiblement très art school, qui cherche à surfer sur ce croisement esthétique tendance et tendancieux. Le clip est à regarder comme un manifeste du crossover rap/indie-sleaze, ça vaut le coup d’oeil, même si on n’est pas obligé d’adhérer à ces espèces des fantômes de The Teenagers (on ne vous a pas oubliés) qui se seraient mis à rapper.

Je tiens également à vous présenter ce fantastique morceau du Londonien Feng. La posture est toujours présente, mais elle me paraît plus naïve, le son beaucoup moins cadré par la plugg Soundcloud. Le jeune rappeur propose un hommage à ce swag vulnérable qui marchait si fort vers 2010. Et puis l’instru fait penser à l’habillage de la météo sur TF1 entre 2004 et 2007, donc RIP Catherine Laborde.

Hélas, on devine vite l’opportunisme latent de ces productions. Disons que pour l’instant, les gestes de ces musicien·nes manquent de mise en perspective. Ce rap de moodboard semble en effet schizophrénique, à osciller entre accélérationnisme flashy et replis dans les limbes de coton.

Les artistes qui ont retenu mon attention ont en général un pied dans les deux sensibilités, jouant tantôt sur l’abrasif tantôt sur le ouaté. Un rappeur new-yorkais comme Aceii peut ainsi produire ce genre de morceau vraiment démoniaque, tout en sortant quelques mois plus tard une mixtape ambient plugg divinement diaphane avec Marlon DuBois. L’ambient plugg peut être décrit la continuation liquoreuse et éthérée de la plugg des années 2010, qui se replongerait, de manière analogue au new-jerk, dans une esthétique y2k non plus sleazy, mais cette fois-ci orientée rooibos et canapé Vladimir Kagan. On parle aussi d’ambient rap, ou d’ambient cloud rap, on ne sait plus trop, et j’ai hâte que Plon sorte le petit dictionnaire amoureux du rap soundcloud.

Aceii · Imaginary Conversations (Aceii & Marlon DuBois)

D’Aceii, il y a donc cet EP parfaitement sédatif, porté par des instrus abstraites et joueuses, clairement dans une ambiance Nintendo DS au coin du feu.

𐎫𐎨𐎦𐎧𐏂 · xang – sacrifice (cutspace)

Au pays de la plane et des salons de massage Sims, on trouve ce morceau de Cutspace et Xang, sur lequel le sound design nous laisse imaginer René Pawlowitz, alias Shed, se mettre à la plugg pour faire délirer ses enfants, alors que la voix se noie dans les multiples processeurs de délais.

· i’m over this level of life, my love babyxsosa

Babyxsosa joue sur tous les tableaux. La très productive rappeuse de 24 ans, figure éminente du rap branché contemporain, a récemment sorti un EP un peu sleaze, un peu electroclash, « Bling Bling », qui vaut bien une écoute. En 2023, elle avait aussi essayé un morceau ambient plugg que je trouve assez réussi, de plus de 8 minutes, dont l’ambition et la facture fait clairement référence au Kanye de 808s & Hearbreak, avec juste un peu plus de goût et de classe.

iokera · vines +Jedwill (histarkey/iji)

Une des signatures sonores facilement repérables de cette nouvelle niche internet du rap, c’est la reprise de tics IDM et electronica. Un exemple avec ce très bon morceau de iokera et Jedwill, le premier étant une figure centrale du genre dont la page soundcloud est un vrai fil d’actu ambient plugg, au même titre que le compte du collectif Shed Theory, catalyseur du genre.

Izaya Tiji, autre figure du rap Soundcloud contemporain, donne dans des mixtapes outrageusement saturées et paradoxalement introspectives, parsemées de quelques titres plus éthérés (pour exemple, « i touched a spaceship », sur sa dernière mixtape). Il y a trois ans il sortait ce morceau hyper gracieux qui a pesé lourd dans le vortex ambient rap de le Gen Z. Un titre aux influences quasi baléariques sur lequel il rappe comme saisi par le coup de foudre.

ricky chix · girls&Boys

milkreset · East Coast Jug

Ce qui me semble aussi très amusant, ce sont les allers-retours entre une signature sonore ambient très marquée par la texture sonore de jeux vidéo années 2000, et des morceaux plus sexy, plus dansants, plus jerk. On retrouve ici toute l’ambiguïté de l’enchevêtrement des affects club et ambient, ce qui produit une sorte d’hydre dub-jerk. Ainsi, ricky chix joue avec la sexyness pseudo rock en poussant les curseurs jusqu’à l’absurde, mais il le fait sur une instru extraite de la série de jeux Professeur Layton. Pour boucler la boucle, le « East Coast Jug » de milkreset reprend les marqueurs du jerk originel, mais on est en 2025, et le rappeur américain n’a vraiment pas l’intention de pointer le nez hors de son lit.

Pour finir, je ne résiste pas à une toute petite note sur une certaine tendance des instrus rap à pousser jusqu’à l’absurde l’autoritarisme et la prédominance du kick invasif de la 808, pour créer, par exemple, un genre de Zaag Kick rap ultra distordu : ici ce n’est plus du tout de l’ambient plugg, c’est du terrorplug comme disent les experts. Je crois pouvoir avancer que cette évolution est analogue à la manière dont des kicks toujours plus abrasifs sont venus envahir TikTok, via la Phonk ou carrément la « baile phonk » (je ne me suis jamais vraiment remis de cet edit).

Je vous laisse en vous souhaitant une joyeuse immersion dans les vapeurs parfois toxiques du rap ultra contemporain.

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