Gaël Segalen nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne connaissent que trop bien

Gaël Segalen Différé / Delayed
2005
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Bandcamp
Musique Journal -   Gaël Segalen nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne connaissent que trop bien
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Il y a une bonne vingtaine d’années – disons vingt-quatre, pour être précis – le monde subit une transformation inédite. Les États-Unis subissent sur leur sol une attaque terrifiante dont l’ampleur résonne avec la politique impérialiste généralisée et intempestive que mène le pays depuis… et bien sa création. Alors s’engage la déchéance inéluctable et meurtrière d’une bête folle, humiliée et blessée, qui va, sous couvert de combattre la terreur, en répandre toujours plus, un peu partout sur la planète. Avec les meilleures intentions du monde, bien sûr. Je parle des États-Unis comme le monde parce que, pour une bonne partie du XXème siècle, les États-Unis sont le monde, ou plutôt son image médiatique partagée – ils le sont d’ailleurs toujours, en grande partie. Un nouveau siècle s’entame, l’environnement technologique mute de manière spectaculaire, et dans sa chute, un empire entraîne ses vassaux.

Je parle des attentats du 11 septembre 2001 et donc forcément de la seconde guerre du Golfe, de l’Afghanistan, de la Libye, parce que ces évènements ont jalonné mon existence. Les ingérences et atrocités réalisées par et pour le camp de la liberté (ou plutôt : de la libre circulation des biens à sens unique) sont légion, avant et après cela. Les échos de cette défaite qui n’en peut plus de s’éterniser fondent notre quotidien et notamment celui de minot·es qui, bien qu’iels n’aient pas connus ces événements, vivent une période façonnée par ceux-ci. Fameuse causalité qui fait marcher le monde, celui de l’auto-proclamée raison et du capital carnassier. Et de déflagrations en répliques, nous subissons donc un écroulement que certai·nes voudraient téléologique, car incapable d’accepter une égalité perçue comme une déchéance.

C’est ce visage fier et pourri du pouvoir hégémonique, au moment crucial de cette fameuse bascule et juste avant la nécrose, que figure en creux la musicienne (et preneuse de son) Gaël Segalen dans Différé / Delayed, une pièce de 2005 qu’elle décrit comme « un dialogue entre la baie de San Francisco (Bay Area), le désert du Nord Niger (région Touareg), et des lieux plus intimes ». Elle en propose trois longs extraits écoutables sur Bandcamp. Segalen a travaillé le son pour RFI ou le cinéma et se sert ici, entre autres, de son travail sur un documentaire TV5 Monde tourné à l’époque au Niger ; elle fabrique là, avec grâce mais sans préciosité mal placée, une musique qui sort d’elle-même, qui va à la rencontre. Est-ce électroacoustique, de la phonographie ou du plunderphonic, on ne sait pas et ce n’est pas grave ; plus que cela, ce n’est même pas vraiment pertinent. Pour Gaël, ce qui compte ce sont les sons bien sûr mais surtout les êtres qui vivent, communiquent, s’aiment, se reproduisent, intriguent et meurent. Le sujet est moins la structure de ce pouvoir que la vie, réelle, soumise et/ou résistante que celui-ci enserre.

Gaël parle d’un « duplex fantasmé » pour parler de ses agencements poétiques et durs ; sampling, collage, zapping même pourrait-on dire, en tout cas c’est un récit où l’on se perd sans cesse, une errance dynamique et poétique, portrait à la fois onirique et cauchemardesque de l’Amérique de Bush, une allégorie des temps à venir. Bien sur le spectre crasseux de l’illbient (ça faisait longtemps, hein?) sourd à chaque recoin, mais il apparaît sans brouillard ni ténèbres, dans une clarté terrifiante ; ce sont d’autres façons de dire l’effroi et de le regarder en face.

Les sources sont documentaires mais leur juxtaposition est éminemment musicale, sans jamais perdre cette qualité première d’apparaître comme traces du réel. Des traces innombrables, des médias qui parlent au sein d’autres ; des langues qui se choquent, des voix qui adressent, récitent, s’insurgent, célèbrent. Des personnes, étasuniennes beaucoup, mais pas seulement, afro-descendantes en majorité ; des poétes·ses, des enfants, des fantômes ; une radio, des discours. Dans un tumulte transversal et exaltant, un organisme aural, relationnel et médiatique prend vie ; il relie des espaces plus ou moins intimes, des histoires (avec et sans majuscule) et des vécus, des situations, mais sans jamais en faire la démonstration. Tout le truc est là : on ressent, dans cette expérience d’expériences, palpiter le monde d’alors, mais surtout un amour profond pour celui-ci, et non pour sa représentation idéalisée.

Gaël est là, toujours, à la première personne. Sa présence se confond très souvent avec celle des microphones, mais on peut aussi l’entendre se déplacer, marcher un peu. Elle ne se gomme pas ni ne s’impose, ce qui revient un peu au même je trouve, mais est juste là, dans le flot, comme on dit. Je trouve cette forme simple et très bien foutue, encore super d’actualité, sûrement parce qu’avec elle Gaël anticipait un mode narratif qui infuse depuis fortement beaucoup de choses à la frontière de la pop. Il y a par exemple ce moment – un parmi beaucoup d’autres : ces trois extraits ne sont que des assemblages de moments situés – à peu près au milieu de la seconde piste, vers la sixième minute, où la pluie fait son entrée, puis une guitare, puis un muezzin au fond peut-être, on arrive sur la version de Billy Paul de « Me and Mrs. Jones » qui se met à voyager dans la stéréo, puis à glitcher.

Le contour de la ville est sensible (on sent dans ces trames le poids de tout ce qui entoure), mais on ne sait plus vraiment le but de tout cela, où va l’histoire, qui la raconte, si vraiment s’en est une. C’est sacrément beau, c’est juste aussi, ce qui en musique est équivalent. Je ne sais pas quelle forme prend Différé / Delayed dans son intégralité, c’est-à-dire 52 minutes. Ça doit assurément prendre plus le temps, mais je ne sais pas si la vigueur de cette trilogie réduite s’y retrouve. Je l’espère, mais perso cette métonymie me va très bien.

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