In extremis, ce critique musical mal organisé livre son top albums français de 2020 !

Musique Journal -   In extremis, ce critique musical mal organisé livre son top albums français de 2020 !
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Je n’ai pas eu envie de faire un top albums international, mais en revanche je voulais mettre en avant les artistes français dont j’ai aimé les LP sortis en 2020. Parce que comme je le disais pour introduire mon top singles, la musique de mon pays m’a beaucoup plu et rendu très fier cette année. Il y a des choses dingues qui se passent chez les indépendants de tous bords qui parsèment l’immensité Bandcamp, et je sais bien qu’il y en a d’ailleurs plein d’autres que celles et ceux que j’ai choisis ici et que j’espère découvrir, puis vous faire découvrir en 2021. Et puis il y a aussi des artistes plus confirmés qui réussissent néanmoins à me frapper par la qualité de leur voix, de leurs chansons, de leur personnalité, et qui mériteraient selon moi, en dépit de leur situation déjà favorable, d’être écoutés par des gens qui seraient au départ tentés de les zapper.

Je n’ai pas fait d’ordre parce que je trouve ça vain et si j’en ai fait pour les singles c’était essentiellement pour signifier que « Gabadiya » sortait du lot. Bref je vous laisse écouter tout ça et me dire ce que vous en pensez, même si c’est pour déclarer, tel Arnaud Sagnard, que vous trouvez que c’est du « grand nawak ». En tout cas je pense avoir été plus subjectif et moins « hors-série des Inrocks » (je dis ça sans mépris, d’ailleurs l’actuelle équipe musique du mag est sans doute la meilleure qu’ils aient eue depuis leur passage en hebdo il y a vingt-cinq ans) que dans le classement albums du XXIe siècle que j’ai posté au printemps sur le site de GQ et qui, je vous l’accorde, était vachement prévisible et finalement peu conforme à ce que j’écoute vraiment.

ABI2SPEE – Le roi des rats (Milfranc suisse/Distrokid)

Troisième fois que je parle de ce rappeur d’origine suisse aujourd’hui installé à Marseille, j’ai l’impression qu’il ne fait pas l’unanimité mais je le trouve tellement fort que je continuerai à crier son nom partout jusqu’à ce que le monde se dise « ah ouais Abi2spee c’est vraiment du sérieux ». Les excellentes instrus mélangent la tristesse, la violence et le moelleux, mais je pourrais écouter le gars rapper sur n’importe quoi, il s’en fout de passer pour qui que ce soit, il a l’élan et les pauses qu’il faut, personne n’écrit comme lui, avec un style lo-fi à l’arrache, mais qui sait très bien ce qu’il fait, et puis son amour pour les rats achève de me le rendre hyper respectable. Écoutez aussi son projet Wavy Summer sorti l’an dernier, c’est tout aussi beau, le talent de ce type est immense et scandaleusement pas assez reconnu. Morceaux favoris : « Œdipe » et « De Gaule ».

ORGANIZATSIYA – À l’ombre des roches (Knekelhuis)

De la musique d’Organizatsiya (groupe formé de Léo Peinturier et Zoé Couppé, rejoint par différents invités, et à la basse Maxime Bisson, qui – full transparence – par ailleurs écrit pour Musique Journal) se dégage une telle grâce et une telle rareté que je n’arrive même pas à identifier ses influences. Ou plutôt je ne peux qu’en entrevoir la source avant de les entendre se dissiper, et ne plus vraiment pouvoir les isoler : ce sont des flashes, des soubresauts, des rayons verts, et c’est en fait à cette beauté volatile et fuyante qu’elle se résume, et non à ses sources. Des sources multiples qu’il faut quand même évoquer pour attirer le chaland : un peu de dub avec plusieurs faux passeports, de la folk direct-to-studio, du néo-NEO-GEO parsemé de mallploitation et de musique de Zelda. En fait, le résultat m’évoque par moments ces quelques disques européens nomades des années 80 comme il en sortait chez Nato, ReR, Crammed ou Crépuscule, des trucs plus ou moins affiliés au jazz et/ou au contemporain alors qu’en fait pas vraiment, mais qui ne collaient pas pour autant à un autre genre. En général, quand un jeune groupe sort son premier album, on aime bien dire que c’est « prometteur », mais là en l’occurrence ce disque ne porte aucune promesse particulière puisque ce qu’il offre est déjà éblouissant. Et si vous passez le 31 en solo, je pense qu’il assurera la parfaite bande-son pour dire au revoir à cette année qui n’a eu qu’à moitié lieu, avec une bouteille de bon saké ou de vin de riz, voire d’un vin autrichien comme celui-ci. Titres préférés : « We cannot promise you privacy » et « Une comptine pour Jeanne ».

LOUANE – Joie de vivre (Universal)

On savait que Louane était capable de sortir des choses qui s’adressaient à un public bien plus large que ses fans enfants ou adolescents, notamment « Nos Secrets », mais avec ce disque elle renouvelle clairement sa direction artistique et c’est dans l’ensemble super convaincant. On a évoqué la présence de Damso et Dinos à l’écriture, et en effet ça donne à ses textes et son débit une couleur trap qui parvient à n’être jamais forcée, et même parfois carrément sublimée. Il y a aussi un featuring de Soolking, mais au-delà de parti-pris c’est surtout l’influence de Dua Lipa qui s’entend, et Louane n’a pas caché qu’elle écoutait beaucoup la chanteuse anglaise (dont je vous conseille le Tiny Desk). Le résultat c’est un disque plein de hits modernes, des hits assez sains, je sais pas comment dire, ça reste dans la tête mais c’est pas pénible, et puis je suis fan de la voix de Louane, riche, expressive et texturée, mais toujours « honnête », sans jamais en faire des tonnes comme Angèle (dont je n’arrive pas à écouter un couplet entier), et de son phrasé super précis et nuancé. Morceaux préférés : « Poésie indécise » et « Sans ta voix » (à ne pas écouter seul au réveillon, pour le coup, sauf si vous aimez chialer comme une merde).

PEREZ – Surex (Étoile distante)

J’aimais bien Cavernes, son précédent album, mais avec ce disque Julien Perez a trouvé un rapport liberté/concision que personne d’autre que lui n’a en France dans cette catégorie fourre-tout de « jeune chanteur pop ». C’est Strip Steve aka Theo Pozoga à la production, et ça donne un résultat qu’on entend presque jamais dans ces mélanges entre chanson et « électro », à la fois très savant, très simple et très varié (il y a même un miraculeux passage broken-jazzifiant –sur « Du lait dans les yeux », qui pourrait plaire à Gilles Peterson alors que je l’imagine mal chercher dans ce genre de zones). Je peux comprendre que sa voix et ses textes, pris à part, ne plaisent pas à tout le monde, mais en l’occurrence je trouve ici que l’entente est si bien établie entre lui et ses sons que ça transcende les composants et fait ressortir l’éclat impudique de ses mots. Et puis une fois qu’on a apprivoisé les structures façon « carrousel », on se rend compte que la moitié des chansons sont des tubes ou du moins qu’elles tournent longtemps dans la tête. Il y a aussi un vrai soin dans la construction de l’album, qui réussit à briller jusqu’à la fin (ce qui n’est par exemple pas le cas de celui de Louane qui s’essouffle légèrement dans les dernières plages) Dernière chose : je disais que « Cool Colorado » de La Femme était la seule occurrence réussie de rap par un non-rappeur mais j’oubliais de dire Perez y arrivait aussi ici à chaque fois qu’il s’y essayait. Morceaux préférés : « Hiroshima » et « Spam ».

DÉTENTE – Life is life (Slagwerk)

Détente n’est pas un artiste français : il est belge mais peu importe, ce disque est une splendeur émo, avec d’innarrêtables tourbillons de mélancolie réparatrice à chaque morceau ou presque. C’est de la musique électronique d’aujourd’hui, disons « post-club », mais elle est entourée de halos des décennies précédentes, tout aérant ces influences de vapeurs plus « traditionnelles », un peu ECM (sur « Fear Faith Fun »), je sais pas trop comment dire. Un disque qui s’écoute plutôt seul.e, mais qui peut rendre heureux d’être isolé, avec son cœur pour seul guide et éventuellement quelques Chouffe « Houblon » voire des Duvel Tripel Hop si on veut vraiment se la donner (désolé pour l’amalgame bière/Belgique mais je trouve que ça s’y prête bien). Tracks préférés : « Song of Songs » qui rappelle volontairement ou non l’une de mes chansons préférées (« Diabaram » de Youssou N’Dour et Sakamoto) et « I Pass By », que je serais ravi de voir devenir un classique de synchro au même titre que « An Ending (Ascent) » de Brian Eno.

TÔLE FROIDE – La Redoute (Le Turc Mécanique)

Trois Lyonnaises qui font une sorte de post-punk dansant avec un synthé à la place de la guitare, mélangé à du Stereolab et aux Calamités (et à plein d’autres choses encore mais c’est pour donner une idée aux gens qui ne lisent que la première ligne et que je ne juge pas), tout en chantant des textes évoquant les menstrues, le harcèlement ou Gérard Collomb. Ça démarre par un morceau qui s’appelle « Autodétruisez-vous », qui s’adresse aux hommes, et auquel j’ai beaucoup pensé quand, voici quelques jours, ma femme m’a demandé si j’avais bien éteint le gaz et que je lui ai répondu comme un connard « bah oui évidemment t’es reloue tu me prends pour une baltringue », puis que quelques minutes plus tard on a commencé à sentir une odeur suspecte et que j’ai dû admettre que j’étais bien une baltringue autoritariste qui n’avait pas tourné comme il fallait le bouton du gaz, et que ce serait en effet pas mal que je songe à m’autodétruire. Bref le disque est vraiment très très fort, compact dans sa structure mais versatile dans ses couleurs, et là encore, il fourmille de mélodies mémorables qu’on espère entendre résonner un peu partout en France quand les concerts auront repris. Bravo Leslie, Pauline et Morgane.

LYNA MAHYEM – Femme forte (Nouvelle École)

Écoutez, vous pensez ce que vous voulez mais voilà, Lyna Mahyem est ma chouchoute depuis plusieurs années, je l’adore, son R&B très baston me rappelle Zaho, tout comme son attitude mi queen mi fragile. Cette recette tout en contrastes m’emporte à chaque track, elle a cette voix qui se métamorphose en tout un tas de personnages, elle prend des accents (algérien, « hispanique », anglais « à la one again », ou parfois on ne sait même plus trop ce qu’elle imite mais elle a l’air de savoir ce qu’elle fait donc ça passe), elle a un léger défaut de prononciation sur le mots en « ch » et « j » (des consonnes « fricatives post-alvéolaires », S/O mes orthophonistes) qui lui donne un caractère inimitable, et puis elle sait placer les toplines et mettre quand il faut le petit coup de pression nécessaire à telle ou telle syllabe. Non vraiment, il se passe plein de trucs dans un couplet de Lyna Mahyem. Alors oui je vous accorde que le disque n’est pas un chef-d’œuvre total, il y a un peu de remplissage et trop d’homogénéité parfois mais que voulez-vous, c’est un album de pop urbaine conçu avec l’intention de s’adresser à beaucoup de gens différents. À noter que Lyna avait longtemps hésité entre une image de garçon manqué en short de foot et celle d’une nana plus séductrice, et qu’elle semble désormais avoir choisi la deuxième option. C’est bien comme ça, mais quand on la voit en vrai, comme dans cette fantastique vidéo où elle fait un blind test contre sa collègue et amie Imen ES, on se rend compte qu’elle est pas encore tout à fait au point pour incarner cette nouvelle identité, et je trouve ça encore mieux. Mais vous pouvez toujours aller la voir performer une « Gitane » dans ce clip avec Lartiste, le rappeur français avec le meilleur rapport sympathie/charisme/pertinence du game. Et sinon si vous êtes vraiment « à propos de votre R&B français », je vous invite à aller voir cette prestation géniale sur Skyrock où Lyna, Imen, Eva Queen et Lynda interprètent une reprise de Vitaa – c’est incroyable, mention spéciale à l’attitude de Lynda, celle sur la droite en veste en jean et pantalon en cuir. Morceaux préférés : « Gusta » et « Méthadone ».

BONNIE BANANE – Sexy Planet (Péché Mignon)

J’ai déjà parlé de ce disque dans GQ à sa sortie et je disais rapidement que c’était sans doute la première fois qu’une artiste réussissait à faire de la soul « à la française » ; aujourd’hui je me dis qu’il s’agit d’une affirmation sans doute discutable car ce n’est pas un but en soi et ce n’est probablement pas le but de Bonnie Banane. Mais surtout je remarquais que le fait qu’elle soit actrice par ailleurs faisait d’elle une interprète hors pair, capable comme Lyna Mahyem (mais avec un résultat très différent) de revêtir différentes peaux : femme fatale qui chante du jazz le soir, à la Viktor Laszlo, fausse ingénue, anti-diva narquoise, meuf excentrique maladroite mais sexy, tout ça parfois combiné dans la même chanson. Ça lui permet en tout cas d’être à la fois drôle, authentique et superficielle, sans case assignée, c’est une femme libre dans son art, et ça fait du bien à une époque où le marché français de la « soul » est saturé de chanteuses techniquement performantes mais totalement prisonnières de leur idée d’une belle voix et d’une belle chanson. Titres favoris : « Béguin » (produit par Para One mais je vous jure que je le savais pas en l’entendant la première fois) et « Les Papillons ».

CHAMBRY – Le vent, l’air et l’atmosphère (Cindy’s Tapes)

Là on arrive en eaux troubles avec ce jeune chanteur-compositeur qui m’a au départ été recommandé par le machiavélique Basile. Comment décrire ce disque : c’est un peu n’importe quoi mais ce n’est pas non plus « foutraque » comme on disait lors des jours les plus sombres de notre histoire : c’est même carrément carré par moments. Musicalement c’est quelque chose que je n’aurais jamais été capable de tolérer il y a encore cinq ou six ans, je ne sais pas si c’est bon ou mauvais signe mais en tout cas le fait est que je l’écoute souvent. On se situe dans des turbulences entre chanson rappée, synthés affranchis et fiction radio. Ce que j’aime beaucoup c’est que sur certains morceaux l’assurance de Chambry est telle qu’on dirait qu’il a déjà des millions de fans et qu’il s’adresse à eux genre « vous qui me suivez depuis si longtemps ». Et ça, c’est beau, c’est fort, ça je suis 100% pour ! Ça c’est glam, ça c’est ma France. Morceau préféré : « Carmen Sandiego ».

YOUNG JEUNE – L’école Montessori du biberon d’argent (Young Jeune)

Je sais bien que ce n’est pas un disque qu’on est censé écouter pour de vrai mais il se trouve pourtant je l’ai beaucoup mis dans mon casque cette année. Sur ce concept-album autour de son incarnation de « rappeur-bébé », Young Jeune « le petit prince du reggaeton européen » m’a tenu en haleine, c’est comme ça. Il rappe pour rire mais finalement il rappe bien, et les instrus sont souvent plus convaincantes que des instrus de rap normal. Je ne sais pas ce que ça dit de ma vision du monde actuel et de mes kinks musicaux mais peu de choses me font autant rire. Bon après il faut aimer rire de choses qui en général ne font pas rire grand-monde, comme le jeu de foulard ou les nourrissons laissés sur la plage arrière en plein été. Titres préférés : « Nounou » et « Canicule ».

De la pop satirique californienne, copieuse mais digeste : quoi de mieux pour les fêtes ?

Pour préparer Noël, Musique Journal vous propose de découvrir le premier album des Américains de The Tubes, sorti en 1975. Un mélange de prog-pop virevoltante, de comédie musicale parodique et de pseudo-rock à papa concocté par une troupe d’artistes de l’Arizona installés à San Francisco, et plutôt venus de la performance et du théâtre que de la musique.

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Musique Journal - Pulp, jus pop prolétaire (avec plein de pépins)

Pulp, jus pop prolétaire (avec plein de pépins)

Ça ne rajeunira personne (ou justement si, peut-être) mais Maïssa Daoudi, très chère et trop rare collaboratrice nous revient aujourd’hui en nous proposant, contre toute attente, l’élégie d’un étincelant groupe britannique, Pulp, incarnation d’une noblesse ouvrière obstinée et malmenée.

Jackie Chain, le pimp du country rap cosmophile de Huntsville

Nicolas Peillon aka PureBakingSoda retrace aujourd’hui la collaboration haute en couleurs entre Jackie Chain, rappeur de l’Alabama, et de ses beatmakers les Block Beattaz, à la fois inspirés par les country rap tunes et les sonorités spatiales chères à leur localité de Huntsville, où la NASA a installé un centre d’essais.

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