Il est (re)venu le temps des MJC !

Bob Marlich Les points sur L'Haÿ
Lichmar Records, 2024
Barnabaie Guitares 2
AB Records, 2024
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Musique Journal -   Il est (re)venu le temps des MJC !
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Déjà, le nom de cet article trompe, car rien ne rattache la musique des deux albums dont je vais vous parler aujourd’hui aux Maison des jeunes et de la culture, si ce n’est mon esprit fantaisiste. Et pourtant, une fraîcheur toute estivale (je vous écris ça en peignoir, depuis un SPA doté d’un espace aqualudique conséquent, dans les Alpes-de-Haute-Provence), attribut de la jeunesse même quand l’âme est vielle, les irrigue. Elle les amarre dans l’immédiat et le sincère, trace les contours de figures démiurgiques simples et géniales, œuvrant pour le bien commun. Je m’emporte un peu mais on a qu’une seule vie, mon remède diffère surement un peu de celui de Gérald mais je l’ai : de la musique franche et appliquée dans sa désinvolture, qui joue un peu à faire semblant comme chacun de nous dans nos vies (Sartre parle d’un truc comme ça avec son histoire du garçon de café, non?) mais c’est pour la bonne cause ; une musique qui rêve malgré le business plan et pas à travers lui, quitte à le faire trébucher fort.

Nous avons donc ce matin deux disques sortis il y a peu de temps et qui réalisent chacun à leur manière ce que je nommerais une ambiance « Maison des Arts de Créteil » (s/o la Place Salvador Allende pendant les années 2000 !) cependant radicale, comme ces sandwiches double steaks + cordons bleus que nous allions déguster non loin de là mais c’est une autre histoire. Des ambiances idéelles se réappropriant l’avant sans nostalgie pour mettre en œuvre un à-venir rayonnant que j’appelle de toutes mes forces : quand, du brulis des SMAC anéantis par des décennies de pop-rock tiédasse, des programmations véritablement populaires – au sens de ce qui fait peuple sans impliquer de quantité, de ce qui est proche et non de ce qui brasse large – bourgeonneront. Ce sera l’âge des néo-MJC, anti-spectaculaire mais pas dénué d’émotions ni d’une tekhnè toute artisanale. Mais encore une fois je m’emporte.

Le premier, éblouissant, est signé Barnabaie, sympathique guitariste rencontré lors de précédentes pérégrinations dans la Loire. Il s’appelle Guitares 2, ce qui est le meilleur nom d’album de tous les temps, et va assurément m’accompagner pour un bon moment (on aime beaucoup la guitare chez Musique Journal, et même si je n’en ai toujours pas parlé avec mes collègues, je pense que je ne serais pas le seul à en dire du bien). Comme son nom à la clarté définitive le laisse présager, Guitares 2 est une œuvre centrée sur la gratte, qui nous la fait entendre comme nous ne l’avons aujourd’hui plus trop l’habitude (pas moi, en tout cas) : en acoustique beaucoup, dans une préciosité et une fragilité assumée – pour vous situer le niveau d’emotitude : il y a carrément non pas une mais deux compositions d’A.G. Cook, « Being Harsh » et « Gold Leaf », Maxime Le Forestier n’est jamais très loin, et la saudade sauce millenials non plus –, avec des arpèges et de jolies mélodies dont les agencements évoquent un romantisme transgénérationnel (« le long de la Rivière »). Cette guitare intimiste et chaleureuse, enregistrée avec un soin tout particulier pour justement sonner comme si elle allait toute seule, sans peurs et sans regrets, côtoie des synthétiseurs évanescents (« Elaphomyces »), quelques captations de terrains, des chœurs et la jolie voix de Barnabaie (« Nuit de Glace »). Et ce petit monde se ligue pour mettre en œuvre un presque-grunge cringe et soft, classieux sans être classique, doux et baignant dans une clarté surréelle.

Guitares 2 s’intègre donc sans peine dans le catalogue d’AB Records, le label le plus cœur de rockeureuses (ou de pop·peuses, pour être exact) de la Loire. C’est un album qui ne dissimule pas, tente le tout pour le tout, et je trouve cette honnêteté aujourd’hui primordiale ; je me prend à m’imaginer calé en tailleur devant lui, des étoiles dans les yeux, vêtu d’un jean en patchwork alors qu’il déroule ses compos assis sur un tabouret haut ou au sol, à peine repris par un micro, dans une salle sans accès à internet et où les portables se désagrègeraient automatiquement à l’entrée. Je sais, ce primitivisme réac’ est carrément ringue mais je crois qu’il va falloir « prendre le taureau par les cornes » – ou : « aux grands maux, les grands remèdes » – pour sortir du narratif hégémonique et qu’à nouveau nous rêvions ensemble. A posteriori il semble clair que la MJC, cette création forcément idéologique, n’aurait pu être la concrétisation d’aucune utopie onirique et communautaire digne de ce nom. Barnabaie lui, va plus loin et force moins, use plus judicieusement des lois de la thermodynamique révolutionnaire pour mettre en œuvre une esthétique évoquant l’essence rêvée de cette structure (c’est peut-être un peu confus mais je tiens à mon idée).

Ensuite : Les points sur L’Haÿ est le second album de Bob Marliche – comme avec Barnabaie, l’alias est le signe de ce lâcher prise qui permet le dépassement – mais le premier « en dur ». Et ses trucs précédents sont également bons. Là aussi, la ligne droite semble l’emporter sur la sinuosité ; en tout cas elle la tranche sans blesser. C’est un rappeur-daron (on le surnomme carrément « Le Père » : il parle beaucoup de sa paternité, de sa fille) dont le flow semble peu varier mais en fait si, dans des morceaux courts et ramassés aux prods élémentaires et efficaces ; je dirais, pour parler comme un communiquant du siècle dernier qu’il « travaille l’élégance dans la rusticité ». Il parle dans les yeux, pour de vrai, dit ses craintes et ses désirs, dans le dépouillement et le sucré, c’est un sirop. Sa voix est souvent peu traitée, assez nu, sa façon de la poser très intime. Je sens que dans chacune de ses sentences il tente non pas de construire une fiction avec exubérance, mais de s’accrocher au vrai comme un sacerdoce, pour faire briller ses mots avec une patine leur donnant les reflets d’un réalisme magique.

Bob Marliche est le rappeur que j’aurais adoré découvrir collégien, qui m’aurait permis de m’assumer, dans ma musique, ma vie. Son attachement au 94 est substantiel (il se réfère sans cesse et très simplement à des endroits-totems du département), ce qui me touche énormément, étant moi-même, pour toujours dans mon fort intérieur, val-de-marnais – et guadeloupéen, autant vous dire que le trouble identificatoire est fort. Quand je vois l’effet que me fait les morceaux « Guadeloupe » ou « Chez moi » aujourd’hui, je n’ose imaginer l’ampleur du bouleversement alors que je me faisais faire des curls chez le coiffeur, au Bois-l’Abbé. Les instrus sont toujours belles (et le gars est pas la moitié d’un connaisseur, il a bossé avec Brodinski) et très smooth (« Palo Alto », on dirait que l’on va briser quelque chose rien qu’en écoutant), bien bass (« Appuie sur play » et « Apaise ton cœur ») souvent. Il y a aussi des choix vraiment osées, comme l’utilisation du sample de Stardust pour « Amerie », où brille également Latop, belle découverte straight outta Le Gosier ! Toujours niveau acolyte, ses potes Jwles et Lij collaborent chacun sur un track – « Kobe & Shaq » et « Ben Wallace » : sample que je n’arrive plus à identifier pour le premier, j’enrage, et une prod’ du futur pour le second –, la symbiose est là, ils renforcent chacun leur singularité, c’est magnifique.

Là j’écoute par exemple « Jogging Montbell », et je sais pas ce qui met le plus l’émotion entre l’instrus et les lignes du genre : En troisième j’écoutais déjà Mannie Fresh / 10 ans plus tard, j’mets ma fille à la crèche / Même pas 10 ans, elle va déjà chez le psy / Depuis qu’elle est né, j’fais plus d’épilepsie / Devenir parent, c’est un sport collectif / Je sais qu’tu l’vois pas mais jm’arrache les tifs. Voilà, j’ai pas envie de tout dévoiler non plus et puis je suis en vacance moi aussi, alors je m’en vais retirer mon peignoir et me faire masser comme un beau gosse ! On se retrouve la semaine pro pour des aventures toujours plus palpitantes dans cette étrange zone de la summer good vibe dans un monde qui s’autodétruit. Des bisous et vive les rappeurs sensibles, les guitaristes néo-romantiques et les MJC imaginaires (j’ai pas un peu perdu le fil de ma métaphore sur la fin, mais c’est pas grave) !

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La « musique à papa » peut-elle se relocaliser dans des zones où émergeront de nouveaux modèles esthétiques du paternel masculin ? Oui, répond Loïc Ponceau, qui nous parle de l’album Italian Graffiti de l’Américain Nick DeCaro, selon lui emblème du « daddysme », concept à la fois border et fragile, et on l’espère objet de futures discussions entres parents et enfants.

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