En 2002, la lounge spirituelle d’Imogen Heap pensait déjà à nous aider aujourd’hui

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MCA/Island, 2002
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Musique Journal -   En 2002, la lounge spirituelle d’Imogen Heap pensait déjà à nous aider aujourd’hui
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Je ne sais pas si c’est lié à mon âge – bientôt 27 ans –, si c’est à cet âge-là de la vie qu’on atteint un seuil musical particulier. Toujours est-il que j’ai depuis peu commencé à ressentir un malaise lorsqu’en soirée vient cet instant où tout le monde est dans un état second et où ça bascule et qu’on passe ces tubes maintes fois essorés de mon adolescence, d’Alizée à Amel Bent en passant par Nelly Furtado et 50 Cent.

Je les adore, ces artistes, ce n’est pas le problème. En remplacement des cantiques à l’église, le mainstream des années 2000 est devenu cette force de communion collective, un acte performatif qui rejoue et renforce les émotions qui nous lient (notamment cet imaginaire début de siècle peuplé de gangsters, de bitchs et de lovers). Vraiment, je trouve ça génial, ça nous rend puissant, cela fédère le groupe, ma communauté, mes communautés. Mais pourtant le dégoût a fini par surgir, et cette espèce de de prière collective pop m’est apparue non plus comme un chant feelgood et optimiste mais comme un requiem, une ronde funèbre. Ce revirement m’apparaît comme une tragédie et j’ai tout naturellement voulu le comprendre.

Bien sûr, on pourrait penser que, ces chansons, je les ai trop écoutées, et que l’habitude, c’est la mort. Sauf que leur statut de prières collectives leur confère une puissance spirituelle censée transcender l’habitude.

Que s’est -il donc passé ? Quelque chose d’autre a ébranlé le corpus de mes chansons collectives et cela ne relève pas non plus de leur qualité musicale puisqu’il y a dans le lot de vrais chefs-d’œuvre. J’ai alors compris que ce malaise était lié au fait de se rassembler pour avoir ce shot de dopamine propre aux tubes du passé, et qu’il découlait  de l’expérience même du rituel et de son intensification.

Ces chansons se rapprochent en fait de mantras : on les répète dans le temps, elles en tirent ainsi leur puissance. Sauf que le contexte de leur écoute a changé depuis plusieurs mois et qu’il rend ce rituel si macabre que je le perçois désormais comme le reflet de ma condition et de mon effrayante expérience du temps « covidien ». Les journées se répètent un peu trop, sans grands changements. Surtout, j’ai soif de futur, mais celui-ci s’est arrêté.

Il y un an, cette répétition de mantras pop m’était naturellement rassurante, en aucun cas synonyme de cerveau figé, la vie étant déjà bien assez surprenante comme ça. Mais désormais, l’angoisse domine car il faut l’avouer, il ne se passe plus grand chose. J’attends. Aussi, peut-être nous reposons-nous un peu trop sur ces vieux machins d’ados, n’ayant plus d’hymnes club contemporains. Normal : les clubs ou les salles où les expérimenter pour la première fois sont fermés. Une chanson tire sa puissance du rituel mais aussi de l’expérience de sa première écoute. 

Ce qu’il est intéressant de remarquer, je crois, c’est que de manière générale, la musique a changé de visage parce que les objets qui nous réconfortent ont changé d’aspect. Face à un futur compromis sur le court terme (et je pense aussi à ce qui nous attend après le covid), on a besoin de se rassurer et de fait, on a tendance à épuiser plus vite les sources de notre consolation. On les crame, on les regarde de trop près. Et puisqu’il n’y a plus trop de perspective, ni d’ailleurs où regarder, ils verrouillent désormais notre quotidien et on ne voit plus qu’eux et leurs monstrueux visages.

Tout cela finit par me force à cultiver une approche plus fine de la nostalgie. C’est l’album Details de Frou Frou qui m’a redonné espoir alors que ma nostalgie partagée, si essentielle à ma santé mentale, prenait un goût de cendre. Nelly Furtado, Amel Bent et Britney Spears, avec leurs chansons d’empowerment par le sexe et la tristesse, figuraient ce moment où, ado, j’avais la vie devant moi, où le futur était rempli de promesses. Frou Frou m’a donné à éprouver une autre forme de nostalgie. Celle-ci ne fige pas les espérances du passé, ni les promesses avortées des années 2000, mais incarne celles à venir. La nostalgie, ça s’entretient.

Cet album, le seul du groupe formé par la chanteuse et musicienne Imogen Heap et le producteur Guy Sigsworth (Björk, Alanis Morrissette, Lamb, Bomb The Bass, Seal…) m’a en quelque sorte permis d’aérer ma tanière nostalgique. Cette dernière était devenue trop petite, invivable. Details est d’ailleurs habité par le vent, rempli de poches d’air chaud qui se gonflent et se déversent. Ainsi, malgré une pochette où elle arbore un petit Fedora panthère et des airs de Justin Timberlake girly, Imogen Heap agit sur le plan musical comme une déesse du care et une fée du vent. Quand je l’écoute, je m’imagine à Los Angeles, sans problèmes financiers, en train de marcher sur une plage avec une démarche ultra-chaloupée, nue sous une petite flanelle en lin et le visage balayé de vents chauds. 

Chaque chanson débute comme si Imogen ouvrait une bulle d’air dans laquelle on respire sans heurts.  « Just let go »… « Juste laisse tomber », ou « laisse toi aller, laisse couler » : ce sont les premiers mots de la première chanson et ils donnent le ton de l’album. Un peu plus tard, elle chante : « It’s all right ‘Cause there’s beauty in the breakdown » ; « Tout va bien car il y a de la beauté dans la dépression ». En mélangeant trip hop, boucles drum’n’bass, pop parfois vraiment variétoche, Imogen et Sigsworth ont réalisé un album qui évoque les blessures dont on revient, même si elles sont hardcore : un disque d’une douceur et d’une sensualité inégalées à mes yeux. Au fond rien n’est si grave. La vie est simple, « because I love you », nous dit-elle. 

La chanteuse égrène d’ailleurs de très significatifs tata-dam ta-dam ou la-la-la, un peu à la Dido, comme si elle sifflotait, insouciante. Et contrairement, il me semble, à la plupart des female pop stars de l’époque, Imogen Heap n’est pas du tout dans un rapport de séduction sur l’album.

Je n’ai découvert l’existence de cet album que cette année, alors qu’il date de 2002. Je me suis rendu compte que certaines chansons m’étaient familières (notamment, et j’ai un peu honte, celle du film gnangnan The Holiday avec Cameron Diaz que j’ai vu des dizaines de fois, ainsi que celle du film hipster par excellence Garden State avec Zach Braff). Cet album avait donc posé mine de rien sa marque sur mon adolescence. Et il prenait la saveur d’un passé retrouvé : une nostalgie d’autant plus savoureuse qu’on met très difficilement le doigt sur ce qu’elle pointe. 

En temps de crise, c’est bien connu, la nostalgie revient au galop, en raison de ses avantages psychologiques et cette scène de Mad Men que j’aime beaucoup en parle très bien. La pub et le marketing ont compris son pouvoir dans la conduite des préférences pour certains produits de consommation. Dans cette mesure, il est, je crois, de notre devoir de fuir ces modes de vie confortables et hypnagogiques qui nous sont dictés par cette culture zombie, façonnée par une matrice algorithmique nourrie au passé, à la nostalgie et aux données extraites d’historiques.

Ainsi, quand j’ai lu un article de Pitchfork qui affirmait que les goûts des gens étaient formés pour la majorité avant 30 ans, ça m’a effrayé. C’est pour cela que je m’oblige à écouter de nouvelles choses et que je continuerai jusqu’à la mort. Mais tout de même, en tant qu’humaine à la sensibilité assez emo, j’ai toujours besoin d’une tanière nostalgique XXL et des rituels qui l’accompagnent.

Comme Nelly Furtado, K-Maro et consorts, l’album de Frou Frou émerge d’un terreau nostalgique. Mais ce qui le rend fertile, c’est sa résonance dans le présent. En effet, ma vision sur la plage à Los Angeles avec ses airs de « capitalisme du bien-être » vient bien de quelque part. Parce que l’album évoque l’eau, l’air et le vide, j’ai compris qu’il faisait étrangement écho à cette culture digitale du néant intensifiée par la digitalisation accélérée du monde et promue par le luxe. Son enjeu, c’est de faire le vide, de ne rien ressentir, de ne plus rien attendre pour se préserver face aux chocs. On consomme du CBD pour s’anesthésier sans ressentir les effets psychédéliques du vrai cannabis. On fuit la surstimulation, on fait du yoga, et on fantasme l’intérieur beige et doux de Kim Kardashian.

J’écoute en fait Frou Frou pour les mêmes raisons, comme une béquille dans ma vie, sauf que, par chance, je ne mène pas du tout ce mode de vie. Léger, parfois paresseux (mais dans le bon sens du terme), l’album m’est devenu indispensable car justement, il me permet de métaboliser cette culture lisse et ennuyeuse en lui donnant un peu de chair, en la saupoudrant de magie, de nostalgie, bref, d’humanité. Cela va d’ailleurs bien avec ce qu’a toujours fait Imogen Heap : explorer des technologies a priori froides et inhumaines pour exalter sa vulnérabilité émotionnelle. 

Sur l’album, la voix chaude et sensuelle de la chanteuse est à la fois très présente – on entend ses respirations comme de l’ASMR – et très lointaine : elle semble s’évaporer et se perdre dans ses respirations, dans le vent qui souffle sur cette plage de Malibu. La voix minaude parfois, puis prend des hauteurs extatiques comme si elle rasait le sol, pour s’envoler ensuite très haut au-dessus des falaises, voire en direction de galaxies inconnues. À mes yeux, par son amplitude et son souffle, la voix de l’artiste a quelque chose de profondément spirituel et d’écologique. Je trouve que le titre « Let Go », par exemple, résonne particulièrement avec ce que Timothy Morton appelle la « pensée écologique » et qui est pour moi l’un des concepts philosophiques les plus puissants de ces dernières années. Morton désigne sous ce terme cette conscience du maillage entre les êtres du monde, l’interconnexion esthétique et sensuelle entre les formes humaines et non humaines : bactéries, autotune, vent,  voix… En choisissant la voie de l’escapisme, en s’enfonçant dans l’éther, l’album Details a réenchanté de cette façon non seulement ma tanière emo, mais aussi le monde qui m’entoure.

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