Romantisme adolescent et dance de fête foraine

DJ OVERDRIVE Stylé
Indian Redhead, 2014
DJ OVERDRIVE NON STOP MIXXX
CooL RaouL, 2019
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Musique Journal -   Romantisme adolescent et dance de fête foraine
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L’ambition primaire de cet article était au départ d’évoquer ce que je nomme les « musiques électroniques détachées ». S’il ne m’est pas aisé de définir avec précision cette mouvance, il est pourtant certain que mon esprit ne l’a pas créée de toute pièces. Il s’agit, pour moi, de ces morceaux techno très EDM/eurodance dans l’esprit, avant tout calibrés pour les stations dance genre Fun Radio, qui étaient très populaires à l’époque des fêtes foraines et des rodéos tuning du début des années 2000, voire des années 1990. Des musiques avec une mission précise, forcément tournées vers la danse donc, mais aussi vers les voitures, qui semblent avoir une part importante dans le mouvement. J’ignore où tout a débuté. Pour moi, ce fût surement avec Eiffel 65, même si l’eurodance a évidemment commencé bien avant eux, et que l’artiste que nous allons évoquer ici ne pourrait en être plus éloigné. J’imagine que résumer le « genre » ne doit pas être facile, puisque les compilations tuning ou manège sont probablement légion et qu’y faire le tri doit représenter un travail titanesque. Ce sera donc sans moi. Mais l’étude de cette musique m’obsède tout de même un peu : mauvais goût suprême ou simple bizarrerie ?

Si ces disques ne se font plus trop de nos jours, leur héritage, façonné parmi les montagnes russes et les pommes d’amour, se transmet encore via d’obscures K7 ou d’énigmatiques comptes SoundCloud. Comme celui d’Overdrive (ou DJ Overdrive), projet de Hugo Tournaire, artiste auvergnat également connu sous les pseudos de Regis Turner, Ce soir (duo qu’il forme avec sa compagne Lise) ou encore Avventur. Overdrive semble être le fruit de son amour pour les moteurs vrombissants, les ailerons de voitures fluo et les torticolis enfantins, quand on se faisait cartonner par derrière sur le circuit d’autos-tamponneuses de la fête du village. Composé uniquement sur Ableton avec des instruments virtuels, le projet n’a pour l’heure que deux sorties à son actif. La première est un 12″ sur le label d’Hugo, Indian Redhead, pensé et établi comme un « vrai » maxi de techno, avec un morceau original accompagné de remixes par différents producteurs. Un truc de pro, quoi. La track est très courte mais renferme déjà tout le charme de l’œuvre. La voix répétitive de Lise est obsédante dès les premières secondes et s’immerge parfaitement dans des mélodies à la fois dansantes et belles. Je ne saurais absolument pas comment caser ce morceau dans un sous-genre de musique électronique quelconque, en fait. Les remixes ont aussi chacun leur charme mais je retiendrai surtout celui de Djordjevic, autre artiste de « dance détachée » à prendre en compte. Sa version est limite plus foraine que l’originale. Le beat s’y fait nettement plus rapide, mais la justesse de cette mélodie mouvante demeure. On a envie de battre du pied et de pleurer en même temps. 

La deuxième sortie est une K7 sur le label brestois CooL RaouL. Établies sans réel tracklist, les deux faces sont un condensé d’euphorie. On pourrait facilement y voir une blague ou quelque chose de pas très sérieux, mais à y revenir, tout cela sonne en réalité très honnête et très pur dans l’intention. C’est la fête, mais la fête incontestable, positive et sincère. L’élément nostalgique est là, ne nous voilons pas la face, mais les images que la musique renvoie sont rattachées à des émotions romantiques plus qu’à des souvenirs d’enfance. Les moteurs rugissent au fond mais toute la K7 ressemble à un journal d’adolescent amoureux. Toute la force et l’acuité de l’œuvre d’Overdrive sont là : annexer des sentiments amoureux à une musique qui ne semble exister au départ qu’à travers sa fonction de défouloir physique. « Quand je suis avec toi » est répété sur la fin de la première face sous un déferlement de sonorités sinueuses, des mots amoureux dont on n’aurait pas soupçonné l’existence au milieu de ce torrent dance. Idem sur la face B où le sentiment se fait plus noir : « Rien ne dure, mon amour, pour toujours… mais pour toujours dans mon cœur ». Outre ces inclinations sentimentales, la K7 se laisse aussi aller à des moments plus allègres, telles cette supplication en début de première face pour quémander « encore un dernier tour », cette ode jouissive envers « les grosses basses » en début de face B, ou encore la montée de schmak ultime sur « Driving Me Crazy », sûrement le hit le plus fou de la K7. 

J’ignore comment classifier la musique d’Overdrive mais je crois qu’en réalité, Hugo y a surtout déposé un sentiment musical de nostalgie pure. J’écoute régulièrement ces deux disques et à chaque fois, je revis l’émotion de l’arrivée de la fête foraine dans mon village au printemps, le trouble du regard de la fille que je devais aimer, assise près de la pêche aux canards, ou l’excitation d’avoir retrouvé 10 balles pour aller se racheter des jetons aux autos-tamponneuses. Mais au-delà de la nostalgie, Overdrive a aussi le pouvoir de déplacer cette exaltation unique sur un dancefloor d’adultes, pour se défouler amoureusement et se perdre au cœur de ces grosses basses. Pour répondre à ma question du début, peut-être que trouver cette musique belle – et surtout pas honteuse – relève en effet de la bizarrerie, mais une chose est certaine : jamais un truc n’aura en moi fait vibrer un aussi large spectre de sentiments merveilleux. 

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