Ce n’est pas parce que Miharu Koshi a travaillé avec Haruomi Hosono qu’elle l’a laissé faire sa musique à sa place

Miharu Koshi Parallelisme
Yen Records, 1984
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En réfléchissant à l’écriture de cet article sur l’album Parallelisme de Miharu Koshi, j’ai commencé plein de recherches, ce que je n’imaginais pas faire, car je préfère parler d’expériences et de ressentis. Mais là je comptais quand même m’attaquer à une monstre sacrée de la musique japonaise, et par ricochet à un monstre sacré. Je crois en fait que j’étais beaucoup plus angoissée de dire des bêtises sur Haruomi Hosono, crédité ici aux arrangements, que sur Miharu Koshi, car je sais que le fondateur du Yellow Magic Orchestra compte de nombreux·ses connaisseureuses.

J’ai vraiment envie de parler d’elle parce que je l’aime de tout mon cœur et parce que je trouve que Hosono occupe trop de place dans le récit de leurs collaborations. C’est une vraie question, ces hommes qui collaborent avec des femmes, et qui eux marquent l’histoire. Je ne sais pas comment c’est au Japon mais ici, Haruomi Hosono est beaucoup plus connu que toutes les femmes avec lesquelles il a travaillé et il y en a beaucoup, comme on s’en aperçoit en faisant un tour sur la discographie de son label Yen Records – ça lui donne un côté pygmalion que je déteste.

Avant ça j’avais longtemps écouté les albums de Miharu sans faire de recherches, mais les rares discussions que j’avais à son propos dérivaient très vite sur Hosono, tout comme les articles ou reviews que je pouvais trouver sur Discogs et autres sites musicaux. Du coup je me disais que Miharu Koshi devait être une simple interprète. Haaa oui c’est ça le sexisme intériorisé, d’abord parce que ce n’est pas vrai et ensuite parce que ça veut dire quoi « simple interprète », sérieux ?

J’ai souvent cette culpabilité quand je veux parler de mes idoles (déjà le mot idole est bien chargé). C’est compliqué quand tu te construis en tant que femme dans le milieu de la musique. C’était difficile quand j’étais musicienne amateur qui jouait comme un pied, mais ça l’est encore plus comme gérante de label. On attend de moi de la culture G parce que j’ai un label et que je devrais connaître pleins de trucs, alors que ma culture n’est pas celle des hommes. J’ai cette culpabilité parce que je ne me sens pas légitime et parce que je pense que mes idoles ne le sont pas non plus. C’est une impression paradoxale, entre admiration et dépréciation. Certaines de mes modèles ne sont QUE des interprètes. QUE des interprètes ? Et interpréter au sens de chanter, ce serait moins que de jouer d’un instrument ? Pourquoi cette idée en moi, jamais formulée mais ancrée ? La faute à Gainsbourg ou Boutonnat, qui ont fabriqué ces mythes de femmes qui ne sont rien sans leur passage, jolis yeux vides comme des piscines. Ce genre de raisonnement enlève toute puissance créatrice aux interprètes. Interprètes qui pourtant font des choix artistiques, définissent l’esthétique du projet, choisissent leur entourage, ont leur mot à dire sur les arrangements, les mélodies de voix, et tout le reste. Je pense à Lio par exemple mais bon c’est un autre sujet, à développer une prochaine fois.

Au final, si tu vas sur le site de Miharu Koshi, tu apprends qu’elle écrit la musique et les paroles. Et ça on le lit très peu, que Miharu écrit tout. Alors qu’en revanche c’est placardé partout que Haruomi est aux arrangements. Certes c’est compliqué de parler de ses paroles puisque nous ne sommes pas nombreux·ses sur les forums ou autres médias occidentaux à comprendre le japonais, mais pourquoi son travail de composition est si souvent passé sous silence ? Puis ça veut dire quoi « arrangements » d’abord ? Ça veut bien dire que tu arranges un truc déjà existant, non ? RENDS L’ARGENT HOSONO !! Nan mais j’exagère je sais… Hosono est un génie et on l’a bien vu sur d’autres projets, je devrais plutôt dire PARTAGE LES LAURIERS FAN DE HOSONO !!! On retrouvera d’ailleurs un peu plus tard Koshi aux arrangements sur le side-project de Haruomi : F.O.E.

Alors on va parler de l’album Parallelisme, cet album est le plus connu, il me suit depuis plusieurs années maintenant. J’y suis arrivée grâce à mon obsession pour Brigitte Fontaine, qui me suit depuis l’adolescence, on pourrait franchement parler de groupisme, je collectionnais des images jpg glanées par-ci par-là sur l’ordi familial, je chantais « L’amour c’est du pipeau » seule dans ma chambre au lieu de faire mes devoirs de cinquième et j’allais sur des forums où on parlait d’elle, c’est là que j’ai découvert, mais assez tard, le nom de Miharu Koshi. Koshi, pour être une bonne groupie, c’était plus compliqué, je pouvais télécharger un morceau sur tel forum, mais fallait aller demander en mp pour pas flooder, puis des fois je tombais sur une vidéo très pixellisée hébergée par Dailymotion où on pouvait faire une capture d’écran pour avoir son visage à peu près net et le mettre en miniature dans la bibliothèque Windows Media Player. Et puis je l’ai oublié pendant plusieurs années parce qu’il n’y avait pas matière à étancher ma soif de collectionneuse. C’est seulement il y a cinq ans, je pense, que je suis retombée dedans, grâce à YouTube et à l’album Parallelisme, publié en entier par une chaîne jamais remerciée, qui ne contient que 12 vidéos dont une un peu cheloue des Muppets et une du final de Aguirre, la colère des dieux, bref.

Parallelisme sort en 1984 sur Yen Records, label japonais géré par Haruomi Hosono (encore lui ?? bichette, je te taquine Harry) et Yukihiro Takahashi, lui aussi membre du Yellow Magic Orchestra. C’est un album de synth-pop japonaise, un album qu’on a envie d’avoir dans ses écouteurs quand on se ballade dans le soleil, il a un truc très adolescence des années 80, mais aussi très complexe, presque fatigant. À chaque fois que je le remets dans mon casque, je le fais avec délectation, « je vais passer un bon moment, c’est sûr, je l’adore » et en fait au début je trouve la musique épuisante, un brin pouet pouet jeux vidéo, une sorte de course entêtée sans fin avec une petite voix énervante. Puis je le remets du début, ça vous fait ça des fois ? De mettre un ou deux morceaux à rentrer dans un album que vous connaissez pourtant par cœur ? Puis de le remettre du début parce que vous aviez juste oublié comment l’aimer, et là, c’est du génie.

Il y a quelque chose d’assez insupportable et magique, fait d’images ultra rythmées, de chœurs robotiques masculins, et de synthés sautillants. Le morceau qui me marque le plus, c’est « Capricious Salad », le deuxième de l’album, la mélodie de voix est hyper entêtante, j’aimerais pouvoir la chanter à tue-tête, mais je ne parle pas un mot de japonais, c’est ça qui est fou avec cet album c’est cette « impossibilité » à chanter les tubes, enfin je dis ça mais vous pourriez tout à fait me croiser dans ma cuisine en train de chanter du yaourt, mais c’est pas très satisfaisant.

Il y a pourtant bien une chanson française, la quatrième, mais elle est elle aussi chantée en japonais. J’ai mis longtemps à capter pourquoi je la connaissais, purée ça me rappelle un truc, je l’ai sur le bout de la langue. À l’époque je ne connaissais pas les nom des morceaux, ça m’aurait aidé… C’est en écoutant l’originale dans le lecteur de la Twingo de mes parents que j’ai eu la révélation : « Le Bois de Saint Amand » de Barbara ! La version de Miharu est un peu plus féérique que l’originale, avec des envolées cristallines. Les arrangements sont moins originaux et présents que dans les autres morceaux, c’est plus comme une comptine, une boîte à musique, et puis aux trois quarts ça devient carrément angoissant : plus de paroles, juste une voix soufflée et un son de forêt maudite.

Et il y a évidemment le tube de l’album du même nom, c’est «Parallelisme», j’ai trouvé quelques traductions des paroles mais pas super convaincantes. Ça a l’air de raconter un rêve bizarre. La voix de Koshi y est mémorable, une voix claire et parfois soufflée, une fausse fragilité presque à bout de souffle. Les percussions y sont hyper présentes, presque autant que la voix : il y a des claps à l’excès, une pâtisserie de claps. C’est typiquement une chanson que l’on chante dans sa cuisine. À l’image de « Parallelisme », la piste suivante, « Décadence », sonne comme un jeu de questions-réponses entre la batterie et la voix, la diction est elle-même très rythmique, hachée. J’aime cette idée du duo voix/batterie, même si le morceau frise la caricature orientaliste.

À la fois c’est peut-être un peu l’essence de ce disque : c’est un album marrant, même si la pochette ne le prédit pas au premier coup d’œil, mais il y a quand même un moment où on se dit : « C’est quoi le délire avec le poisson, là ? » Je ne sais pas si c’est le ressenti de toustes, mais moi je le trouve drôle, cartoonesque. J’ai compris le principe du cartoonesque en musique en écoutant une interview de feue SOPHIE, où elle explique fabriquer elle-même tous ses sons et avoir à l’esprit ces effets sonores de cartoon, il faut se souvenir de ces personnages qui se prennent un truc sur la tête ou tombent de mille étages. Parallelisme me fait cet effet là aussi. Mélangé à la passion de Miharu pour le cabaret, on est presque dans un Tex Avery.

Sur YouTube, on peut trouver tous ses albums dont Tutu, Soprano Boy, Slow Swing. À partir des années 1990, sa musique devient de plus en plus cabaret à la française, et même si on y trouve de petits trésors, l’inspiration Piafesque avec parfois de l’accordéon, c’est un peu indigeste, et puis en même temps ça rappelle du Demy/Legrand, c’est trop, c’est beau, c’est écœurant, la frontière est si fine !

Merci à toi, Miharu Koshi, grande prêtresse, alien à petite voix.

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