En mixant dance ringarde et folklore anglais, Chumbawamba a bizarrement réussi à faire un bon disque

CHUMBAWAMBA Readymades
MUTT, 2002
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Musique Journal -   En mixant dance ringarde et folklore anglais, Chumbawamba a bizarrement réussi à faire un bon disque
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En musique, ironie et sincérité sont deux types particuliers de vérité. Et je voudrais parler aujourd’hui de l’une comme de l’autre, à propos d’un disque extrêmement intrigant d’un fameux groupe britannique autoproclamé anarcho-dada : Chumbawamba.

Chumbawamba est en soi une réflexion sur l’ironie. Voyez donc leur parcours : le groupe est formé dans un squat de Leeds au début des années 80 et sort plusieurs cassettes en autoprod, à mi-chemin entre anarcho-punk à la Crass et folk franchement déviante. Là où ça devient encore plus intéressant, c’est quand Chumbawamba fonde, dès 1985, son propre label Agit-Prop dans le but affiché de faire (sans surprise) de l’Agit-Prop, soit de la propagande d’inspiration léniniste en pleine ère Thatcher. Le programme est absolument casse-gueule, mélange de situationnisme mal digéré et d’opportunisme à peine maquillé : il s’agit de fusionner chansonnier tradi du Yorkshire et chansons pop-punk afin d’inciter les auditeurs mainstream à préparer la révolution. 

Une quinzaine d’années plus tard, après quelques disques de plus en plus accessibles édités non plus chez Agit-Prop mais chez One Little Indian, et situés assez loin des objectifs initiaux de renversement du capitalisme, tout le monde connaît Chumbawamba. Leur titre « Tubthumping » est devenu l’hymne alternatif de la Coupe du monde 98 et restera pour toujours la soundtrack emblématique du menu de Fifa World Cup 98 développé par EA Sports. J’ai follement aimé ce morceau, ce jeu, cette cinématique d’introduction avec un Footix en 3D qui dévale les rues d’un village quelconque du Sud Ouest, et les cheveux longs, sexy et rectangulaires de Batistuta. 

Chumbawamba étant un collectif de petits futés, le groupe s’est toujours défendu de ce succès en affirmant que leur contrat avec une major (EMI en l’occurence) n’avait duré qu’un an, et qu’ils ont gagné « plein de fric » pour le redistribuer à des associations politisées, ou aux dockers de Liverpool alors en grève. « Tubthumping », commence par un sample du film (dispensable) Brassed Off,  qui dresse le portrait de la fanfare d’un village de mineurs au moment de la fermeture de la mine. C’est l’occasion pour Chumbawamba de rendre un hommage discret à la musique ouvrière du passé, tout en fabriquant la musique populaire du jour. C’est le joli story-telling des punks qui auraient réussi leur coup en mettant de l’eau dans leur vin, une histoire très nineties et très Canal + qui, si on peut la mettre en doute, rappelle à quel point le monde s’est droitisé depuis, tant elle paraît improbable [même si, en France, nous avons récemment consacré l’hymne anticonfinement « Danser encore » de HK & the Saltimbanks, ndlr]

La période qui suit va être celle de la difficile digestion d’une notoriété inattendue pour un groupe qui continue de définir avant tout comme un collectif de propagande anarchiste. C’est donc cinq ans après le succès de « Tubthumping » (et deux autres albums, dont un disque de reprises country de leurs hits !) que sort le LP Readymades. Le pitch, pour le groupe, c’est de retenter le succès populaire en copiant la recette du Play de Moby : si le vegan à lunettes s’est permis de sampler des chanteurs de blues pour les mêler à de la dance, pourquoi ne pas tenter le coup en échantillonnant des folk songs du monde ouvrier britannique ? Oscillant entre l’opportunisme ironique et une volonté sincère de valoriser le patrimoine musical ouvrier, le disque est presque raté, assez loin de la technicité et de la culture techno de Moby, et plutôt proche d’un ersatz de Dido ghostproduite par Saint-Etienne. Globalement, on a pas mal l’impression de porter un boléro en jean et de flâner dans un Londonium.

Chumbawamba s’est clairement fait prendre à son propre jeu, et se retrouve finalement moins dans l’ironie que de coutume, en produisant un disque de pop électronique touchant et joli, malgré son instrumentation dans l’ensemble peu inspirée. Mais alors pourquoi je vous parle de tout ça ? Qui s’est fait prendre à son jeu ? Parce que me voilà d’un côté en train de prendre un malin plaisir à vous présenter l’histoire de ce groupe et de ce disque, qui à tout l’air d’une blague, et que d’un autre côté, comble de l’ironie, j’écoute en boucle quelques titres de Readymades. Comment résister au melodica abusif sur « Len Shackleton », nommé en hommage au footballeur le plus nonchalant de l’entre-deux-guerres ? Au contraste si saisissant entre une trance générique et indigeste et la voix émouvante de la chanteuse folk écossaise Janet Russell nous rappelant que tout est vain sur « All In Vain » ? À la douce et mélancolique ballade downtempo « Sewing Up Crap », dont les arrangements évoquent le thé vert et le self-care tandis que ses paroles font une description terrifiante de la condition humaine à l’âge industriel ? 

Je me suis arrêté sur ce disque par pur goût des limites du goût, et je me suis trouvé complètement bousculé par la manière dont Chumbawamba y changeaient les règles du jeu : leur dadaïsme et leur engagement sont ici discrets et élégants, mais paradoxalement peut-être plus puissants que jamais. Leur propagande est ambiguë et presque désabusée, leur ironie rongée par la sincérité et leur sincérité rongée par l’ironie. En essayant de faire marcher ensemble ces oppositions très punk et très cliché (la sincérité, directe, de la musique, l’ironie de l’esthétique, politique), Chumbawamba propose un disque original et saisissant, qui me fait un peu peur car j’ai envie d’écouter Natalie Imbruglia en boucle (notamment ce remix par Ganja Kru)… Mais peut-être ont-ils tout simplement lu Auguste Blanqui, et l’un de ses courts pamphlets, intitulé « Qui fait la soupe doit la manger » ?

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