Camille Keller laisse voir toutes les coutures de sa pop

CAMILLE KELLER Lack of G-Lip
odyxxey, 2025
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Musique Journal -   Camille Keller laisse voir toutes les coutures de sa pop
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Après l’avoir vu en live l’autre jour, je souhaite revenir sur la musique de Camille Keller – musique que je peine à qualifier d’autre chose que pop. Une pop baroque, kaléidoscopique et un peu grandiloquente, comme la mixtape que l’artiste a sortie il y a quelques mois, Lack of G-LIP. Une pop tout en contrastes, où des mélodies évidentes font face à des productions plus complexes, qui veulent tout explorer, tout dire : un R&B singulier et éloquent. Concrètement, pour expliciter sa musique de la manière la plus large possible, il faudrait évoquer Frank Ocean : génial et expansif. 

 Je n’ai pas vraiment aimé cette mixtape d’abord : je l’ai trouvé plutôt plate, un peu longue, et j’ai été dérouté par son ambiance froide et théâtrale. Je dois au passage préciser que je connais Camille, on est potes même je crois – juste pour dire que ça fait longtemps que je suis son travail, je l’avais contacté alors que j’écoutais notamment ce titre en boucle. J’avais été frappé par cette avalanche de hooks si efficaces, et de formules qu’on pourrait prendre pour des samples de grosses machines R&B des années 2010. Mais il ne faut pas s’y tromper, Keller chante tout lui-même, en anglais, et si on y entend des échos de Drake, de Bieber ou même de Future, c’est avant tout un clin d’œil à cette époque, ainsi qu’un recours à des jeux de production dont il extrait des instant classics grâce à une science de l’arrangement hors pair.

C’était juste avant qu’il ne sorte un EP en duo avec Rogergoon, un autre Bruxellois, héros secret de la pop Soundcloud des années 2020. Sur ce disque, les deux performent au maximum de leur art (on y retrouve la passion du premier pour les hooks R&B, et le talent du second pour agencer des ambiances avec presque rien), et au maximum de leur époque, en fait. Parce qu’ils sont raccord avec deux grand retours qui ont traversé la musique underground de ces dernières années : celui de la chanson, avec par exemple un retour en verve de l’esthétique rock band ou même en général les émotions racontées au premier degré (je vais y revenir), et celui de l’ambient (entre autres via l’hyperpop). Incidemment, la réémergence de ces deux fétiches contemporains a coïncidé avec le retour en force du format album. Malgré la spotifycation du monde, on observe en effet que les jeunes producteur.ices se remettent à travailler le temps long, et semblent vouloir sortir des masterpieces plutôt que des singles.

C’est ce qu’on remarque pour l’instant chez Camille ; après quelques morceaux égrainés sur Soundcloud, le producteur a pris le temps jusqu’à cet essai plus long. Peut-être est-ce cette longueur qui a d’abord déstabilisé l’auditeur des années 20 que je suis, habitué aux exercices courts et au flow de singles délivrant leur rush régulier de dopamine. Cette dernière mixtape est l’inverse de ça : tout sauf du racolage. Le résultat est même un peu erratique. On est certes dans le temps long, mais si on cherchait la différence réelle entre une mixtape et un LP, elle est sûrement ici : il s’agit d’une collection de titres enchaînés de manière assez aléatoire, sans parvenir à créer de momentum. La science de l’arrangement et du songwriting de Keller ne se retrouve pas bien à l’échelle du projet – ou alors c’est la tracklist qui m’est hermétique puisqu’il me faut attendre la fin pour arriver à mes morceaux favoris (« Mid Backstabber », « Something Off »,  « youdoyou »). Sûrement est ce ma patience ici encore qui fait défaut mais cela me semble être de sa part un choix assez contre-intuitif pour être noté. Autre chose qui déroute : malgré ses intentions en apparence maximalistes, le côté journal intime et les explosions adolescentes, l’album frappe paradoxalement par son mixage rentré, froid, peu séduisant, et faisant croire quelque part à une simple mise en scène.

Et puis j’ai donc vu Camille en live. A le voir chanter pleinement dans son micro, interpréter les textes de manière si précise, plus de doute : on doit prendre sa musique sans détour. Absolument aucun cynisme dans cette musique dont les seuls artifices sont les riches arrangements et le mixage. Il faut le voir interpréter à fond chaque titre, avec look no logo, un marcel noir, ou un T-shirt blanc, qui semble dire « c’est juste moi ». C’est anecdotique, mais le personnage Camille Keller c’est aussi une vision de l’homme très années 2000, boy next door, très Calvin Klein, comme le suggèrent ironiquement les initiales de son pseudonyme. J’ai alors été ramené à ce qu’on oublie vite dans la pop : les textes. On est souvent obsédé.es par l’emballage, le personnage ou au pire des questions de production. Là on sent bien qu’ils existent : ils insistent. Et depuis ce concert, ça reste avec moi. 

Si vous avez commencé à écouter la tape en lisant cet article, vous vous trouvez peut-être vers le moment pointé plus haut, qui sait, peut-être quelque part au milieu de Something Off : cette chanson désarme par sa sincérité. C’est une bonne porte d’entrée je crois. Une autre porte d’entrée : le titre « Mid Backstabber » , qui ressemble bien à ce qui se passe en concert : on entend le chanteur réciter en appuyant chaque syllabe, marteler le texte comme pour lui donner plus de poids. Il fait ça en ostinato, par paliers, avec une mélodie et une constance qui ne bougent pas, mais des effets de réponse avec un chœur émulé numériquement font monter la sauce jusqu’à arrêt du moteur à pleine vitesse. Pas besoin de partir en analyse de texte – simplement : ça résonne. 

Des bouts de chansons me reviennent comme ça, ils me suivent. J’imagine Camille Keller qui chante solo dans sa chambre en écrivant ses textes, et je pense à ces couturier.es qui laissent un cheveu dans l’ourlet d’une robe. Quelque chose dans l’intention. Par ricochet, je pense aussi à l’artiste plasticien David Douard, qui insère des textes dans ses installations (souvent sous formes de sérigraphie sur objet), des citations souvent, et on peut de manière analogue les voir affleurer ici ou là, regarder une photo et voir une partie de phrase isolée se recontextualiser à cet endroit. David Douard n’est pas le seul à œuvrer ainsi, c’est presque un mouvement, mais ses installations résonnent bien avec la musique de Keller – une manière similaire de présenter des agencements très froids, très référencés, et de travailler pour autant sur des émotions pures, adolescentes parfois.

Les meilleurs objets pop ont cette force : savoir délivrer dans un langage tout nouveau un message qui nous va droit au cœur. Le tout nous arrive dans une forme très définitive, qui souvent fait croire au caractère effortless de l’exercice. Pour Camille Keller, c’est un peu plus complexe – chaque chanson est un objet ouvragé. Derrière des constructions baroques, des effets de mixages, se trouve une scène centrale très épurée et immédiatement appréhensible. Autour du titre G-LIP, l’artiste a utilisé une imagerie horlogère ; en live, un cadran de montre en gros plan et ses aiguilles tournent en avant et en arrière, jouant avec cette idée d’orfèvrerie, de marques clichés (c’est une montre Rolex). Et ça marche ! C’est tout un monde en miniature que l’artiste nous donne à entendre, des instantanés (aucun titre ne dépasse les trois minutes sur la mixtape) qui arrêtent le temps et témoignent du caractère démonstratif de leur artisan. Au final, Camille mobilise deux qualités plutôt à rebours de notre époque : la patience et la vulnérabilité. Ça peut intimider à la première écoute. Mais c’est ok.

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