Proposition d’écoute simultanée de deux disques sortis à vingt ans d’écart

Naiima Maré Déplier la cervelle secrète
fréquences critiques, 2025
Annelies Monseré 7
Morc Records, 2005
Écouter
Bandcamp
Écouter
Bandcamp
Musique Journal -   Proposition d’écoute simultanée de deux disques sortis à vingt ans d’écart
Chargement…
Musique Journal -   Proposition d’écoute simultanée de deux disques sortis à vingt ans d’écart
Chargement…
S’abonner
S’abonner

Ma pote Marjo alias Naiima Maré m’a envoyé son dernier album il y a quelques semaines, une collection de 12 ossatures simples sans être austères, bruiteuses et palpitantes, intenses cela va sans dire, qui me plaisent beaucoup mais que j’ai d’abord hésité à aborder, voulant ménager vos oreilles d’esthètes. Et puis en fait non, je me suis rendu compte que mes préjugés n’étaient pas forcément les vôtres, que peut-être ces séquences tendues, élaborées avec un même synthétiseur, feront d’emblée récit pour vous ; ou peut-être faudra-t-il que, comme pour moi, une décantation s’opère au fil de l’écoute pour que celui-ci vous saisissent.

Ce milieu franchement hostile et homogène aux premiers abords, accroche effectivement l’écoutant·e, le fait revenir et le transforme peu à peu en herméneute démêlant les secrets derrière ces sons qui se donnent pourtant de manière immédiate – peut-être la musique est-elle déjà une exégèse, de quoi, là encore le mystère reste entier.

Dans cette optique, la formule Déplier la cervelle secrète pourrait s’appliquer alors au jeu et à l’écoute, que la musicienne pense dans un même mouvement. Je trouve ce titre très juste pour ça, mais aussi parce qu’il saisit l’organicité étrange de ces sonorités machiniques et la manière dont celles-ci se meuvent, s’apparentent effectivement à un réseau nervuré et erratique que des impulsions électriques parcourent. C’est pareil avec le titres des morceaux qui épaississent encore les possibilités d’interprétation de la trame, sa dramaturgie. Je trouve que « Fendre l’injonction », « Zéro Matrice » ou « Unique Vérification du Hasard » collent carrément à ce que l’on entend, j’ai l’impression d’être à L’INTÉRIEUR d’un livre audio de Philip K. Dick n’usant d’aucun mot, avec cette ambiguïté fondamentale : impossible de savoir si l’on est à l’intérieur de l’histoire ou si l’on nous la narre, si l’on suit un protocole opératique visant à libérer notre esprit ou si l’on divague de concert avec Naiima.

Par sa manière de traiter le courant alternatif comme une glaise élémentaire, la musicienne partage des affinités indéniables avec la poétique développé par Pan Sonic (comme ça, je pense surtout à Aaltopiiri et Atomin Paluu). Plus de souplesse, de délié chez elle, une même vigueur tellurienne, moins de prédictibilité peut-être. C’est autre chose, et je suis content d’entendre une musique travaillant dans le même sens que le duo finlandais tout en élargissant la voie. Mais la référence s’est estompée au fur et à mesure, ce qui n’est pas une mince affaire dans mon monde où pas mal de choses tournent autour de Pan Sonic. Je me suis alors mis à rapprocher l’album d’une œuvre qui zone dans mon VLC en ce moment, sortie voici vingt ans et n’ayant à première vue pas grand-chose à voir avec les déflagrations électroacoustiques de mon amie.

7 est un EP de la musicienne belge Annelies Monseré précédant son premier album, Helder, et comme lui sorti en 2005 – dix ans après Vakio, donc. C’est un disque très court, composé de sept chansons dont la plus longue fait à peine plus de trois minutes et la plus courte même pas une minute ; des miniatures où la voix, soutenue par une instrumentation aussi minimale que les compositions, se perd. Là aussi, des ossatures que l’on veut investiguer et comprendre, déplier pour mettre à jour. Cette pochette, ces rengaines sont sincères mais cryptées : elles parlent d’amour, on peut le sentir, mais c’est comme si une partie du sens s’échappait. Cela ne nous semble pas destiné mais la simplicité indique pourtant le contraire… Là encore : le mystère reste entier.

La discographie d’Annelies Monséré est conséquente et cohérente, un peu monolithique même pourrait-on dire, mais ça c’est une question d’appétence. Seule ou en collaboration, elle charrie toujours avec elle cette patte folk et éthérée qu’on ne peut placer avec certitude dans l’ombre ou la lumière ; peut-être le dépassement de la dichotomie est là aussi le but. Cette élaboration de plus en plus poussée et raffinée du translucide en musique est surtout sensible dans ses albums solo : c’est là qu’elle trace/trouve sa voie/voix (si vous me permettez cette fantaisie). Ses albums, elle les a égrénés sur deux labels belges, Stroom ou Morc, mais aussi chez les Londoniens de Horn of Plenty, où elle a enchaîné trois œuvres remarquables et remarquées : Mares en 2022, I Sigh, I Resign en 2024 et un duo avec Goldscammer très sobrement nommé la même année.

Mais avec cet EP inaugural (presque : il y a eu une cassette difficile à trouver quatre ans auparavant, parue sur label italien de Bari, Almost Halloween Time), la Gandoise effectue un geste direct, presque trop pop pour moi. La flagrance du morceau éponyme me gène presque, les mélodie se donnent trop facilement, collent trop à la voix ; cette nudité, que l’on retrouve sur chacun des titres, est trop forte pour ma pudeur. Pourtant dans les trente dernières secondes, quelque chose se passe : la voix passe de sujet à objet, elle devient granule, on en saisit des fragments épars et réduits. Le vide décuple l’ampleur de cette manipulation pourtant réduite et fait basculer finalement la chanson, mais aussi celles qui la suivent, dans autre chose de plus trouble.

Vous l’aurez compris, ce qui réunit ces deux œuvres c’est une certaine façon de concevoir la forme de près et avec attention, sans pour autant se perdre dans un maniérisme ultra-HD. Je trouve que les morceaux se répondent bien justement parce qu’ils n’ont pas grand-chose à voir autrement que perçus sous cet angle. Leur solitude volontaire et sublimée permet d’ailleurs à un mode d’écoute fascinant d’émerger : il est possible de superposer 7 et Déplier la cervelle secrète, de les écouter ensemble comme une sorte de collage porteur d’une mélancolie extrême. Comme si le rapprochement de ces deux individualités décuplait là aussi le ressenti.

Retour en 15 morceaux sur la carrière de Dave Taylor aka Switch, inventeur de la fidget house

Phénomène salvateur pour certains, décrié par d’autres, la fidget house a bousculé les certitudes des scènes club au milieu des années 2000. Constatant chez quelques jeunes DJ un regain d’intérêt pour cette période, Mathias Kulpinski revient donc sur le parcours atypique de Dave Taylor, aka Switch, aka Solid Groove, avec une playlist qui s’intéresse plus à ses « deep cuts » qu’à ses gros tubes.

Musique Journal - Retour en 15 morceaux sur la carrière de Dave Taylor aka Switch, inventeur de la fidget house
Musique Journal - Miracle : la fusion du R&B et du metal, ça marche du feu de Dieu

Miracle : la fusion du R&B et du metal, ça marche du feu de Dieu

Rod Glacial nous parle aujourd’hui de Beautiful Oblivion, le dernier album d’Issues, groupe d’origine metalcore qui eu la merveilleuse idée de transplanter ses guitares sur un corps R&B, voire new jack, avec tout ce qu’il faut d’envolées jazz-prog. Présenté comme ça, on a le droit de se méfier, mais comme le dit Rod, il est temps pour nous de passer l’éponge sur l’évier de nos inhibitions et d’accepter la réalité : ce disque est incroyable. 

Musique pour chalets quand il neige dehors

Nous pourrions vous chanter les louanges du nouvel album de Christophe Chassol sorti vendredi dernier. Mais nous allons plutôt vous parler d’un disque qui lui aussi vient de paraître, composé de morceaux enregistrés, eux, il y a un peu plus de vingt ans, par Philippe Cohen-Solal (qui n’avait pas encore lancé Gotan Project), et auxquels le jeune Chassol avait largement contribué.  

Musique Journal - Musique pour chalets quand il neige dehors
×
Il vous reste article(s) gratuit(s). Abonnez-vous pour continuer à nous lire et nous soutenir.