À la rencontre de divers aspects de la musique contemporaine, vol. 5

HOLLY G "Bandit" & "Je l'ai vu"
Vadore Concept/Believe, 2021
VANESSA PARADIS "Le bon Dieu est un marin"
Polydor/Universal , 1988
LORD KOSSITY "Time is changing" & "Zeng Zeng"
Naïve, 2000
JEPHTE GUILLAUME & JOHANNA SAINT-PIERRE "L'âme éternelle"
Ibadan, 2003
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HollyG – « Bandit (oui oui oui) » et « Je l’ai vu »

J’ai pas écouté assez de musique de 2021 pour faire un top de fin d’année, mais si j’en faisais un, je pense que ces deux tracks seraient respectivement numéro 1 puis numéro 2. J’écoutais il y a quelques semaines l’épisode de Faya consacré au bouyon et en allant chercher sur YouTube certains des morceaux diffusés, l’algo m’a suggéré HollyG, un trio de Guadeloupéennes qui si j’ai bien compris n’ont sorti que deux morceaux, mais alors quels morceaux ! Le bouyon est une musique très festive et souvent très explicite dans les lyrics, le tempo est rapide et les caisses claires sont métalliques et en double croche (enfin je crois), en gros c’est une des dernières déclinaisons des sons de carnavals caribéens et ça peut être assez addictif. Ce que ce le trio ajoute au truc c’est une attitude clairement « bad bitch » mais surtout très insouciante et joyeuse, on sent qu’elles ont l’air de bien rigoler à faire tout ça, à se servir des verres de Hennessy et à twerker entre copines sur des gros 4×4. Ça m’a rappelé ce groupe de rap féminin de Californie, Pink Dollaz, qui en 2009 avait fait un tube avec « Never Hungry ». C’est un peu le même esprit dans l’attitude mais aussi dans la facture de la prod, genre oui c’est pas pro mais c’est pas grave : les voix sont pas très bien mixées, les flows tombent pas toujours pile mais c’est limite mieux que si ça tombait juste. J’ai une légère préférence pour le dévastateur « Bandit » mais « Je l’ai vu » (feat le chanteur Arendi) est le vrai gros tube pour les petits et les grands avec son refrain qui reste dans la tête pendant trois semaines, et ce après une seule et unique écoute. L’essentiel des paroles sont en créole mais les non-créolophones peuvent quand même capter quelques passages, notamment cette phrase s’adressant au DJ dans « Bandit » : « tu nous as chaudées, maintenant faut nous secouer/si nou la, c’est pour décompresser » – désolé pour le mélange d’orthographes métropolitaine et ultramarine. Les trois chanteuses ont apparemment commencé par se baptiser en fonction de leurs styles capillaires : CheveuxRouge, 6Trèss & LaLockséy – mais je lis sur Twitter que c’était surtout pour faire le buzz et que depuis elles ont changé de pseudos. Les beatmakers, eux, s’appellent Little Boy et Dj Flip Tha Boss. À noter pour finir qu’une vidéo des joueurs du FC Nantes en train d’écouter « Bandit » est devenue virale en octobre. Et que le trio était en showcase à la fin novembre dans un club du 77.

Vanessa Paradis – « Le bon Dieu est un marin »

Je ne suis pas du tout fan de Vanessa Paradis en général, que ce soit dans la musique ou au cinéma, mais je dois dire qu’il y a des super chansons sur son premier album M & J sorti en 1988, alors qu’elle avait 15 ans (je vous laisse vous faire votre avis sur la pochette du LP et sur l’image que son entourage a jugé bon de renvoyer d’elle en la faisant poser dans cette tenue). Même si elle souffrait parfois d’un manque de coffre et d’articulation, la future petite amie de Lenny Kravitz n’était pas exactement une chanteuse sans voix comme pouvaient l’être certaines de ses contemporaines. C’était une jeune fille qui voulait clairement chanter malgré ses défauts techniques : elle avait une essence vocale à exprimer, c’est incontestable. Et ça donne quelque chose de très fort sur les deux tubes sortis après « Joe Le Taxi » (qui selon moi reste toujours assez infernal malgré le passage des années, avec ses cuivres de merde) : « Maxou » et « Marilyn et John ». On sent l’adolescente à fond dans son interprétation, même si les paroles ne sont pas d’elles et qu’elles relèvent clairement de l’imaginaire adulte et mâle propre au boomer qu’était Étienne Roda-Gil (un boomer souvent très inspiré, hein, calmos je l’insulte pas), c’est-à-dire les mythes américains des fifties et sixties. Ces deux chansons sont vraiment devenues classiques pour moi depuis une dizaine d’années, et j’ai pu m’apercevoir que des gens plus jeunes, nés après l’apparition du phénomène Vanessa, les considéraient aussi ainsi. J’adore leurs constructions pas si évidentes pour de la marchandise FM, ces synthés, ces caisses claires, ces placements de voix audacieux et ces arrangements subtils. Et forcément aussi les textes, vraiment superbes par instants, comme par exemple : « Au téléphone elle attend/c’est un amour mystère/un secret d’État/Marilyn change sa voix », ou encore : « Dites pas qu’il existe pas Maxou/il est bien à moi il m’aime ». (À d’autres moments, en revanche, c’est limite du foutage de gueule : « Il habite à l’est d’Eden il a une vie sans problème » – mais on pardonne Étienne, il écrivait quand même beaucoup, il pouvait pas toujours être au top).

Franck Langolff, directeur artistique du projet, avait en tout cas la touche pour faire de la super bonne variété moderne, nourrie de l’espèce de revival sixties qui ensuite s’épanouira sur les deux disques suivants de Paradis (pour le pire, si vous voulez mon avis). Le morceau beaucoup moins connu qui vaut vraiment le coup sur M & J, c’est cette chanson sans percussions et sans vrai refrain qui s’appelle « Le bon Dieu est un marin ». Immergée dans une atmosphère logiquement maritime, on y devine une sorte d’ambiance bateau, port, plage (annonçant limite « Pure Shores » de All Saints, le tube de la BO de The Beach), on sait pas trop, mais ça fonctionne bien. Même si, là encore, on a du mal à s’imaginer comment cette thématique un peu « baroudeur » a pu résonner dans l’esprit de la jeune fille et surtout dans celui des jeunes filles qui l’écoutaient, mais bref. Le piano est cliché comme il faut, clavinova-style, tandis que la rythmique se veut elle quasiment zouk-love, voire lointainement Compass, sauf qu’à la place de Sly & Robbie, c’est Patrick & Philou à la section rythmique. Vraiment une jolie chanson, comme un générique de fin, même si c’est que le troisième titre du disque. À signaler aussi, plus loin dans le disque, un curieux hommage aux Beatles qui s’appelle « Scarabée » et qui marche bien aussi.

Lord Kossity – « Time is changing » (feat. Toy) et « Zeng Zeng »

J’avais adoré ce titre de Lord Kossity sur son album Everlord, et en le réécoutant vingt ans plus tard je me suis aperçu que je l’aimais toujours autant et que je connaissais toujours les paroles par cœur. Je ne l’adorerais pas autant sans son instru produite par l’un des meilleurs beatmakers du pays, Madizm (qui d’ailleurs fait toujours des super bons trucs, je vous conseille par exemple le EP qu’il a fait avec Aketo de Sniper début 21) : franchement c’est un des plus gros beats boom-bap de l’histoire du rap français, les samples sont trop ciselés, trop bien cousus, c’est superbe. Mais donc, il y a aussi la performance de Lord Ko au microphone, qui par contraste n’est absolument pas du travail d’orfèvre mais plutôt le genre de truc qu’il a dû écrire en dix minutes en studio : le mec dit vraiment n’importe quoi à presque chaque mesure, il essaie juste d’enchaîner les mots et d’arriver au bout de son 16, mais il est tellement convaincant avec sa voix, son charisme, son élocution, qu’il réussit à rendre trop captivant cette espèce d’exercice de rimes choisies à la va vite, avec des moments limite débiles, d’autres limite toxiques, et d’autres encore où il a l’air soudain touché par la grâce. Ce qui me fait encore plus halluciner, c’est que le refrain de la chanteuse Toy, qui donne son titre à la chanson, évoque une sorte de mélancolie du temps qui passe, le besoin de grandir et de d’adapter, bref elle délivre un message plutôt « conscient », du coup on pourrait s’attendre à ce que Kossity suive un peu cette ligne. Mais que dalle : il reste dans sa ligne éditoriale habituelle, c’est-à-dire l’apologie de son pouvoir de séduction et de ses prouesses sexuelles, tout ça tantôt nuancé par des déclarations d’amour pur quasi hors sujet, tantôt basculant carrément vers le Thanatos qui est en lui. Plutôt que de vous citer en entier les lyrics, je vais vous laisser écouter, mais sachez quand même que le deuxième couplet est composé presque uniquement de rimes en X, et qu’il se termine en faisant rimer « Styx » avec « Twix ». Qui fait mieux que ça, je vous le demande.

(Je signale au passage que même si je ne suis pas très fan d’Everlord dans son ensemble, il comporte quand même un autre track au beat exceptionnel, une sorte de sequel de « Ma Benz » qui s’appelle « Zeng Zeng », produit par Spank et JoeyStarr et dont certaines paroles, notamment les passages parlés, vaudraient aujourd’hui à Lord Ko de se faire cancel en deux minutes.)

Jephté Guillaume & Johanna Saint-Pierre – « L’âme éternelle » (Main Vocal)

On reste dans une ambiance caribéenne (mais ce n’est pas fait exprès et ce n’est pas du tout la même musique) avec l’Haïtien Jephté Guillaume, proche entre autres de Joe Claussel et de Kerri Chandler. Le titre dont je vais parler ici est sorti sur le fameux label Ibadan fondé par Jerome Sydenham. Bref, on est dans l’aristocratie de la deep house new-yorkaise, avec ce que ça peut avoir de bien et de moins bien, mais ce morceau sort un peu du tronc commun « Body & Soul » puisqu’il a la particularité d’être chanté par une Française, Johanna Saint-Pierre, qui n’est pas spécialement caribéenne même si son patronyme pourrait un peu le laisser croire. Le beat est typique de la house de luxe de cette époque, une ambiance post-Nuyorican Soul avec laquelle on peut avoir des rapports ambivalents, mais là je sais pas, c’est peut-être l’ambiance Noël, je trouve ça super, et il y a quelques détails limite trancey qui font décoller le track vers quelque chose d’autre, plus un motif de guitare acoustique qui annonce à sa manière la house folk-pop de Robin Schultz et compagnie. Johanna Saint-Pierre s’en sort bien même si son style n’est pas du tout soulful au sens classique, on l’imaginerait mieux dans un délire dream-pop/trip-hop éthéré, c’est intéressant comme mélange et ça va justement bien avec la petite vibe néo-trance, ça me rappelle les bandes-son de Fashion TV de la même époque. Les paroles se veulent mystiques et c’est une drôle d’expérience d’entendre des choses du genre « Comme Aphrodite, je ressuscite » sur un son comme ça. Mais bravo Jephté et bravo Johanna pour ce nouvel élément versé au dossier de la house francophone, probablement le seul sous-genre musical à compter moins de morceaux que de fans.

Les Auvergnats du futur

Musique Journal accueille aujourd’hui un nouveau contributeur en la personne de David Chouferbad, qui s’intéresse à un disque français hallucinant, enregistré en 1991 par la Compagnie Chez Bousca. Une rencontre dont on n’aurait osé rêver entre le répertoire auvergnat traditionnel, les synthés digitaux et l’esprit du jazz européen.

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Musique Journal - Vous allez a-do-rer cette rom-com musicale anglaise sur Netflix !

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Sorti il y a deux ans, Been So Long donne envie de voir encore plus de musical films contemporains, en Angleterre ou ailleurs. 

En France, on a pas d’illbient, mais on a Parasite Jazz !

Un disque magnifiquement altéré pour accompagner votre weekend de trois jours et d’armistice : l’album de Parasite Jazz, trio all-star – et élargi – qui pose, dans son auguste déficience, une alternative très sérieuse à l’illbient new-yorkaise.

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