Francis Fukuyama a encore tort : le dariacore ou l’interminable fin de l’histoire pop [archives journal]

leroy S2 E9 — the dariacore to YTP pipeline
2021
leroy S3 E2 — her head is soooo rolling!! love her
2021
leroy S3 E5 — fuuuuck we were supposed to wear argyle
2022
SYZY SYZY(2) IS GOIN' HAM INTO 2022
2022
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Musique Journal -   Francis Fukuyama a encore tort : le dariacore ou l’interminable fin de l’histoire pop [archives journal]
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Je ne me souviens plus du moment exact où j’ai écouté pour la première fois 100gecs mais je me souviens très clairement de l’effet que ça m’a fait et ça se décrit le mieux par cet émoji ou plutôt par une répétition sur plusieurs lignes de cet émoji : 🤯 

Un geek (Dylan Brady) et une geek (Laura Les) avaient réussi à métaboliser un panel inouï de genres et micro-genres frappés du sceau du mauvais goût dans une machine à laver pop RedBullisante. Et le résultat, franchement, m’avait subjuguée : j’ai pensé qu’on avait alors atteint un point de non-retour dans le genre pop délirante et chaotique qui se déplace à la vitesse de la lumière. Sauf que bien sûr, je ne le savais pas encore, mais je me trompais : quelqu’un avait poussé la concept encore un peu plus loin. Faites place à le dariacore, un micro-genre qui a émergé juste après le « séisme 100gecs », soit aux alentours de 2021.

L’idée du dariacore c’est de proposer des mash-up/medleys accélérés mélangeant des morceaux du meilleur de la pop plus ou moins récente à des compositions lo-fi, de manière à atteindre un level émotionnel assez inédit. Au sein d’un même morceau, on peut donc entendre PinkPantheress, Keisha, brakence, AG Cook, et Playboi Carti : bref, une bien belle flopée de morceaux distordus, déchiquetés, dont l’agencement marche, sans qu’on sache vraiment comment ni pourquoi. En fait, les musicien·nes qui font du dariacore sont de vrais Lucky Luke du Djing façon poubelle. Leurs tracks ressemblent à des brouillons de mini DJ sets hyper-concentrés – comme ces boissons énergisantes chelous qu’on trouve près des caisses des supermarchés –, à des conglomérats (non pas dans le sens économique, mais géologique), à savoir des formes cabossées sans structures définies, dont la mutation se fait en temps réel.

À chaque fois qu’il m’est arrivé de m’évanouir, j’ai vu défiler des centaines d’images de ma vie à la vitesse de l’éclair avant de reprendre mes esprits. Le dariacore, c’est un peu ça, mais avec mes souvenirs musicaux pop. C’est de la pop en plus extrême, euphorique, adolescente ; de l’hyperpop qui n’a selon moi aucune chance de se “mainstreamiser”, car – disons le clairement – ça reste assez éprouvant d’en écouter. Les influences jersey club, drum’n’bass, footwork et glitch sont d’ailleurs très présentes : le dariacore digère et recrache en mille morceaux, elle aussi. La chose a un côté très sculptural, très Merzbow, et me fait si mal aux oreilles et m’excite tellement de partout que je dois me laver les oreilles avec un titre smooth pour m’en remettre et réussir à dormir.

C’est leroy – un lycéen qui a sorti un super album glitchcore/hyperpop en 2020 – qui est à l’origine du genre et en est l’un des artistes majeurs. Son nom, dariacore, est un hommage à Daria, la série des nineties centrée sur une ado ironique, méprisant les gens popu de son lycée (voire le monde entier) : chaque titre et chaque visuel de morceaux est inspiré d’un épisode différent de la série. J’aime particulièrement cette affiliation, non seulement parce que je kiffe Daria (et j’ai en partie découvert cette musique sur Soundcloud pour cette raison) mais surtout parce que ça montre à quel point on ne s’embarrasse plus de décrire les sonorités à proprement parler de la musique qu’on fait et qu’on aime aujourd’hui. C’est tellement le chaos qu’au final, ce qui réunit les gens qui écoutent la même musique, ce ne sont plus des sons, mais plutôt un système de références culturelles.

La pratique du mash-up et du medley accéléré n’est d’ailleurs pas nouvelle du tout, on se rappelle notamment que ça avait bien cartonné dans la première moitié des années 2000, sous des versants plus ou moins mainstream (Richard X) ou plus ou moins expérimentaux (V/VM, Kid 606). Ce qui est neuf en revanche, je crois, c’est que ces sons hyper-hyperpop relatent une expérience (et appréciation) assez inédite – car extrême – du choc. L’image qui me vient en tête : une machine envoyant des balles de tennis beaucoup trop vite sur le court, des balles impossibles à rattraper, qu’on se prend en pleine figure. La force du dariacore se nourrit avant tout de cela, du fait de ne rien contrôler du tout. On est submergé, si submergé qu’on reste à la surface des choses et que la seule possibilité finalement, c’est d’apprécier le fait de ne rien capter, à savoir ce tabassage corporel et spirituel pur, avant même de peut-être – je dis bien « peut-être » –  en apprécier les textures et jointures biscornues. Car nous ne sommes clairement pas dans la décantation intellectuelle, lente et pleine de nuances : le dariacore est une électrification tentaculaire un peu brouillonne, où le glitch se célèbre dans des transitions et des variations variées et brutales. L’expérience dariacore touche aux nerfs, à la texture sauvage et chaotique de la matière digitale : c’est de la musique sensationnelle, au sens où elle génère des sensations.

Il y a peut-être quelque chose d’un peu maso à écouter ça, et ça m’évoque le dernier film de Cronenberg que je viens de voir. Le principe du film est de nous projeter dans un monde qui reflète le fait que les gens sont aujourd’hui tellement stimulés de toute part qu’ils ne ressentent plus rien et que le nouveau sexe, la nouvelle sensation forte, c’est de se faire charcuter chirurgicalement. J’ai l’impression qu’il y a un peu de cela dans le dariacore. Le cerveau est en surchauffe, mais au lieu de subir ce bruit digital ininterrompu, ce dernier devient l’instrument d’une nouvelle défonce, d’une nouvelle forme, non de sexualité, mais de sensation, d’expérience. On écoute du dariacore comme on écoute le bruit du monde, non pas de loin, mais de l’intérieur même de ses circuits électriques surchargés. D’une certaine façon, c’est assez planant : comme si on perdait notre humanité pour devenir un flux de data ou une particule mutante. On vole, on flotte, à la surface d’un océan de stimulations qui sans cesse nous agitent et nous attaquent. On ne peut pas y échapper, de toute façon, alors autant en retirer quelque chose ; quelque chose d’instable, à l’image d’une incompréhension généralisée, d’un décalage entre soi et la marche du monde, et qui saisit tellement le corps qu’on parvient peut-être finalement à s’en échapper.

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