Le new jack swing a essuyé les plâtres de la pop des trente dernières années

NEW JACK SWING & NEW JILL SWING Une playlist mixte et "alternative"
Spotify, 1987-1993
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Musique Journal -   Le new jack swing a essuyé les plâtres de la pop des trente dernières années
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La semaine dernière, Brice Coudert de Dehors Brut/Concrete a lancé une discussion FB sur la new jack et ça m’a fait plaisir de voir que les gens y réagissaient avec passion. Il se trouve que j’avais évoqué, quelques semaines plus tôt, ce genre si controversé avec David Blot dans son émission sur Nova, et m’étais rappelé qu’en France ce mouvement avait comme on dit « marqué toute une génération » (dont je précise que je ne faisais pas partie, même si je dois avoir à peu près le même âge que Brice). Pourtant, le new jack swing, comme on l’appelait aux États-Unis, est un moment de l’histoire pop dont on se demande s’il pourra un jour faire l’objet d’un revival tant il paraît fixé dans une époque. Mais c’est un moment bien spécial puisqu’il constitue un des rares exemples de nouveau genre entièrement façonné à des fins commerciales : ce que je veux dire, c’est qu’il n’y à ma connaissance pas eu d’underground new jack comme il y a eu à la même époque un underground house ou, une ou deux décennies plus tôt, un underground disco puis post-disco, réservé au mieux au circuit des clubs et des charts spécialisés. Dans la new-jack, le projet était dès le début de percer, de vendre plein de disques, d’avoir des hits en radio, de faire des tournées, avec des artistes recrutés exprès, identifiables et lookés, dans la tradition de la Motown et des girls bands des années 60. Les chanteurs et chanteuses étaient tous supervisés par des producteurs et des directeurs artistiques, ou étaient eux mêmes producteurs ou directeurs artistiques, souvent déjà dans l’industrie.

On sait que c’est Teddy Riley et son groupe Guy qui ont lancé la tendance en 1988, sous l’impulsion d’André Harrell, figure peu connue mais essentielle de cette époque puisqu’il a également découvert Heavy D et intégré son label, Uptown, à la major qu’était MCA. L’idée, c’était de déringardiser la soul et le rhythm’n’blues devenus hyper planplan face au succès du rap, mais également de toucher un public plus féminin, peut-être plus jeune aussi, en fabriquant des tubes qui mêlaient les codes rythmiques du hip-hop (un hip-hop encore très percussif, très dépendant de la 808, à peine détaché de l’electrofunk) aux gimmicks vocaux de la pop afro-américaine de l’époque, avec une touche sexy et un fort potentiel club, propice aux chorégraphies et aux démonstrations individuelles. C’est une musique en général très formatée dans son écriture et sa palette sonore, mais qui malgré ces limites déploie un caractère très spécifique : c’est un futurisme agressif, ultra tendu, fébrile, dont les éléments menacent de vous taper dessus, mais qui se trouve contrebalancé par une sentimentalité juvénile incarnée par les voix, bien sûr, mais aussi par de jolies nappes de synthé et quelques samples et effets. En cela, son véritable ancêtre est sans doute le latin freestyle de New York et Miami, qui avait déjà ce côté « Art of Noise pour ados des quartiers », avec une dose de romantisme parfois tragique.

Jam & Lewis, dont je parlais l’autre jour au sujet de SOS Band, et qui ont ensuite été des producteurs majeurs de la new jack, avaient préparé le terrain en termes d’intensité technologique appliquée à la soul, mais ce nouveau style adressait cette sophistication non plus à de jeunes adultes en pleine ascension sociale mais à des adolescent.e.s surexcités, dont il semblait représenter « soniquement » le désir en crue perpétuelle. Il y a quelque chose qui annonce la grosse pop suédoise voire l’EDM dans la façon dont les sons semblent surchargés de stimuli nerveux, comme au bord de la rupture. Et en même temps, tout cela est contrôlé par une exigence radio très stricte, il ne faut surtout pas que ça dépasse trop, les titres doivent se ressembler et se tenir les coudes pour bien pénétrer les charts en masse. Du coup ça donne une impression d’explosion savamment contenue, très disciplinée, ça en devient presque ascétique.

C’est aussi voire surtout un monstre commercial qui a essuyé les plâtres à beaucoup de choses par la suite, et qui finalement compte aujourd’hui davantage pour les possibilités qu’il a ouvertes que pour la musique qu’il a produite. En fait, après la poussée d’hormones et les premières fois maladroites ou/et abrégées, les jeunes gens et jeunes filles de la new jack ont appris à mieux baiser, à y aller moins précipités, à doser leurs ardeurs et ça a donné des choses moins fébriles, à savoir les slow jams du R&B « historique » du milieu des années 90 à la Mary J., SWV, Blackstreet, etc. Un son plus smooth, moins daté car moins déterminé par une exigence de futurisme technologique et de satisfaction immédiate, et reposant davantage sur le passé – le concept de slow jam remonte au début des années 70 avec le style Quiet Storm déjà évoqué ici. Plus important encore, Teddy Riley engagera à ses côtés les futurs Neptunes dans son studio de Virginia Beach, tandis que Devante Swing, le cerveau des inénarrables Jodeci, sera un mentor pour Timbaland et Missy Elliott. Le new jack swing alimentera aussi évidemment le dernier grand disque de Michael Jackson, Dangerous, produit entre autres par Riley, qui se lâchera bien sur les « orchestral hits » et les snares qui claquent comme fouet sur chrome.

Un peu plus loin, le 2-step londonien dont je parlais le mois dernier sera extrêmement inspiré par la production NJS : même frénésie des constructions, même lignes de basse inorganiques, même vocaux très en avant. Probablement parce que la house et le garage, dont le 2-step est une géniale dérive, se développaient à New York au même moment que la new jack, et que les machines et les producteurs se mélangeaient parfois : on voit ainsi Timmy Regisford remixer des morceaux, et il y a même quelques instrus new jack qui ressemblent beaucoup à de la house (comme « Her » de Guy, que j’ai mis dans cette playlist). Les frontières entre les genres étaient moins dessinées alors et on sait ainsi que les frères Burrell, pas encore chez Nu Groove, ont sorti un album hybride house/soul sur Virgin en 88, ou qu’il y a eu des versions acid de titres des Boyz II Men. Et puis on pourrait aussi passer des heures à analyser la fonction de laboratoire sacrificiel que la new jack a eu pour l’industrie des boys bands, lesquels étaient tous blancs et édulcoraient le répertoire « street » de New Edition ou Jodeci pour atteindre les cimes du Top 40.

Je n’arrivais pas à choisir un album précis et les quatre volumes des excellentes anthologies Mastercuts consacrées au genre ne sont hélas pas disponibles sur les plateformes. Alors j’ai préparé une playlist un peu comme je pouvais, en zappant certains classiques que je n’arrive pas à ne pas trouver irritants ou trop matraqués (mes excuses au fans de Keith Sweat, Wrecks-N-Effect, En Vogue ou Bobby Brown) et en choisissant des titres plus ou moins alternatifs, qui peuvent tantôt sonner comme de la house ou du 2-step (« Just Got Paid » de Johnny Kemp ou « Problems » de Portrait), d’autres qui se donnent à fond dans le délire « morale contre désir » (« My Conscience Says No » de II Close avec sa prod prog’n’B assez baroque) ou encore des choses plus souples qui ne sont carrément plus du tout new jack mais qu’on trouve néanmoins sur des albums new jack (le trop mignon « I’m So In Love » de Samuelle, ou le sublime « Waiting for the Day » de Shai qui ressemble beaucoup au tube « Every Little Thing » de Soul For Real sorti trois ans après). J’ai mis des slow jams aussi, parce que ça permet de respirer et de ne pas toujours viser la performance.

Il y aurait encore plein de trucs à dire sur cette période assez brève – les choses étaient terminées vers 92, 93, date à laquelle la pop noire américaine est tombée aux mains de Bad Boy et Puff Daddy – mais je m’en tiendrai ici aujourd’hui. Et puis un jour il faudra bien qu’Audimat s’intéresse à l’histoire secrète de la new jack française, mais en attendant, je vous laisse vous faire une petite cure d’hystérie masculine, de drums surmixés et de claviers emballés dans le scotch double face.


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