À l’époque où il n’habitait pas encore à Berlin, Damien Granier alias Das Glow m’avait parlé de la techno minimale comme d’un immense édifice collectif. Parce que je lui objectais que je trouvais la plupart des productions du genre trop impersonnelles et sans âme (sans compter que je devais probablement leur reprocher de n’avoir « aucun putain de groove, c’est où que ça swingue là bordel ! »), il m’avait répondu, avec son habituelle patience fébrile, que chaque morceau de minimale était comme une petite brique apportée à une grande cathédrale, et que les producteurs ne cherchaient sans doute pas à dériver de l’ordre imposé par les lois de cette architecture qui pourtant déviait elle-même, à l’origine, des normes de la house et de la techno américaines. Je me plaignais, mais je trouvais quand même quelques trucs à mon goût, après tout le groove pouvait être là d’une certaine façon, et puis ces effets psychédéliques sur les volumes et les textures avaient dans certains cas de quoi me mettre bien. J’écoutais tout ce que postait Get The Curse (bisous les mecs, on est ensemble) et un jour j’étais tombé sur un track d’un certain Matt John. J’avais trouvé ça à la fois fidèle aux principes de la minimale et en même temps un peu dissident, même si j’allais bientôt découvrir que cette dissidence n’en était pas vraiment une, c’était plus une sous-branche de la minimale, une variante particulièrement druggy, je ne sais pas trop, mais en tout cas ça n’avait rien d’une vraie contestation. C’est juste que pour des oreilles habituées à la minimale mi-raide, mi « rigolote » à laquelle se résumait souvent le genre, le son de Matt John avait quelque chose de sensuel, de presque décadent dans sa façon de se tendre et se distendre.
Les quatre morceaux que j’ai chois aujourd’hui résument assez bien son approche noblement marginale. Dans le maxi pour Bar 25 (club et label auquel Matt John reste encore aujourd’hui affilié), on vire vers quelque chose de plus Villalobosien circa « Easy Lee », à savoir un sentiment de solitude chaleureuse extrêmement chéper mais qui peut aussi s’écouter sobre, comme une balade de techno autarcique aux reflets presque live. Il y aussi « Boeing Highfly », sans doute mon préféré, première sortie de son label à lui, Holographic Island, et qui donne justement l’impression de marcher ou de danser au milieu d’hologrammes sonores : on sent les choses s’approcher et reculer en même temps, on croit avancer son corps là où il faut pour ne pas tomber, mais non, c’est une illusion, mais une illusion qui joue et jouit avec nous, quelle merveille. Les deux autres tracks du EP – « Teleparty » et « Cockpit » – sont formidables aussi dans le même style holographique, d’ailleurs c’est une figure récurrente chez Matt puisqu’il a nommé plusieurs morceaux ainsi. « Forgive The Lines » est quant à lui sorti chez les Londoniens d’Underl_ne, dans la même lignée « mobiles sonores, leurres audio, et illusions haptiques », avec un drive plus appuyé, et donc plus taillé pour le peak time, enfin disons pour le peak time du troisième jour de l’after. Pour finir, il y a une vibe housey presque francophile sur le titre pour Perlon, label majeur dont le son, ou en tout cas l’image qu’on avait de lui, était à un moment à l’opposé de ces ambiances.
Resident Advisor et Pitchfork soutenaient beaucoup toute cette musique à l’époque et on ne peut donc pas dire qu’elle ait souffert de l’ignorance des médias mais aujourd’hui, plus de dix ans après, elle est un peu passée de mode, voire totalement dépassée, successivement par le retour de la grosse techno à l’anglaise anglaise, ainsi que par Actress, puis par la réactivation des beats encore plus speed qu’on entend depuis trois ou quatre ans, et puis aussi peut-être par l’esthétique post-club qui d’une certaine manière reprend quelques éléments de langage de la minimale pour mieux les retourner. Mais ça n’empêche qu’en réécoutant des choses aussi cheloues et inspirées que ces tracks de Matt John, j’en viens à me dire que cette esthétique trop méprisée a donné des moments très racés et surtout hyper physiques, qu’on on aurait bien tort de ne plus vouloir jamais entendre sur un dancefloor.