Après une petite semaine de pause durant laquelle j’ai été occupé à traduire des papiers « grooming et confinement » et à cravacher sur des vrais articles de fond pour le site de GQ, je trouve enfin le temps de reposter un petit peu. Pour démarrer cette semaine sur Musique Journal, nous avons la chance et l’honneur d’accueillir notre premier mix exclusif (même si la magnifique mixtape de Myka 9 était déjà plus ou moins une exclu, mais bon bref) et il est signé par Pasteur Charles, un jeune prélat qui a fait le choix de se marier à la house music. Si vous suivez un peu ce que fait Charles, vous savez qu’il est entre autres particulièrement fan de diva house et de garage hyper uplifting, de tous ces tracks qui depuis le début des années 90 nous aguichent sans la moindre vergogne. À force de travailler ce filon du racolage vocal, à dominante américaine, il a fini par aller explorer les galeries creusées en parallèle par les infâmes Britanniques, qui ont en extrait des choses en général encore plus salaces. Pour résumer, dans les gros clubs anglais de l’époque, on dansait sur ce qu’on appelait de la house « handbag », à savoir de la house vocale plutôt commerciale, produite un peu à la chaîne par des locaux, plutôt qu’importée de New York ou du New Jersey. Ça portait ce nom puisque l’histoire raconte que les jeunes clubbeuses qui se précipitaient sur le dancefloor voulaient garder leur sac à main près d’elles et le posaient à leurs pieds avant de danser autour, mais calme-toi, Michel Maffesoli, cette pratique n’était pas du tout néo-tribale et ne rejouait aucun rituel amérindien : c’était juste pratique. Sur son modèle US, cette house populaire existait beaucoup par ses remixes d’artistes pop ou R&B. Et l’une des entités les plus en place sur ce marché du remix en Grande-Bretagne s’appelait Tin Tin Out, binôme formé de Darren Stokes et Lindsay Edwards.
Leur page Discogs ne rigole pas du tout : entre 94 et 98, leur niveau de productivité est Masteratworkesque, on parle d’une sortie par semaine, ou presque. Pasteur Charles a sélectionné les morceaux les plus « on met tout à fond », et on a donc des remix de Technotronic, de TLC, des Pet Shop Boys, et même de ce groupe sorti des squats punk des années 80 qui avait fait un tube au Royaume-Uni en 1997 : Chumbawamba. C’est vraiment une course infernale, je vous préviens, c’est comme un truc de montagnes russes dans une fête foraine dans le Gard, faut bien réfléchir avant d’y aller parce qu’une fois embarqué on peut plus redescendre. C’est sale, ça surstimule tous les sens, et vous ne serez sans doute « pas prêts » pour ces concaténations de sons et de mélodies. Il y a des basses qui pompent le speed garage et plus généralement des emprunts à peu près tous les genres de dance qui marchaient à l’époque, c’est vraiment la musique la plus opportuniste de tous les temps et je dois bien dire que cet anti-purisme est extrêmement convaincant. Les mecs mettent des drum rolls plus ou moins jamaïcains dans un morceau hyper anthémique, franchement quel est le sens de cette démarche, je ne sais pas, mais un tel maximalisme, un tel pragmatisme mérite vraiment d’être aujourd’hui récompensé. Ça dure une heure et ça peut vous servir à peu près dans n’importe quelle circonstance, mais évidemment si vous avez des gens confinés avec vous, c’est plus marrant.
En tout cas j’ai demandé à Pasteur Charles de me raconter un petit peu comment il en était venu à s’intéresser à ce duo, et il m’a répondu en écrivant le texte que voici :
D’abord je dois dire que je tiens plus du kiffeur que du digger dans mon rapport à la musique que je joue. Je cherche à éviter de l’intellectualiser, je fuis Discogs comme la peste, j’evite d’emmagasiner trop de connaissances et d’anecdotes sur les artistes dont je joue la musique, parce qu’on s’y attache et on finit par passer des face B dégueu par pur plaisir de se rappeler une vieille histoire et de rentabiliser un disque ou fichier qu’on a galeré à chopper. Pour en venir à compiler dans un set d’une heure de morceaux des mêmes auteurs, faut donc que je sois vraiment comme un dingue – et que l’ensemble m’ait touché droit au coeur.
À la racine de cette passion pour Tin Tin Out, il y a d’abord la chaîne YouTube Secret Squizza, qu’on a saignée avec mon pote Kosambi. Ça a été la première découverte d’une extension anglaise ultra rave de la house plutôt américaine que je joue « naturellement ». Plein de trance à breakbeats, de happy hardcore, tous ces trucs là, avec que des balles. Naturellement j’ai commencé à mélanger ces sons à mon style de départ, mais j’ai vite senti qu’il manquait des maillons, que je faisais deux sets dans un seul, que je passais d’une énergie à une autre de manière un peu artificielle.
J’ai tranquillement laissé ce problème de côté en trouvant des trucs comme 4 Hero ou Friction & Spice qui venaient me donner cette puissance que je cherchais, pour emmener mes sets vers un truc plus rave. Sans, toutefois, en être pleinement satisfait, même si ça amenait globalement l’effet que je recherchais.
Parce qu’à vrai dire, j’ai toujours ressenti une certaine subversion, une force émancipatrice dans la house piano ultra vocale, très pure, que je joue couramment. Ce sont des chanteuses qui racontent leur vie, des textes qui libèrent et donnent de l’espoir, une musique positive qui te donne l’impression de pouvoir changer le monde.
Mais ces temps-ci, je constate que des DJ assez indolores se l’approprient, et je ne vous cache pas que je peux pas m’empêcher d’y voir une perte de substance. Ça me fait même un peu chier que cette musique de prise de force (pour ne pas dire d’empowerment) se retrouve jouée par des mecs en tenues de cosmonautes, pour des gars à chemises tachées de rosé et des filles qui prennent des mains au cul à longueur de soirée sans qu’on les écoute péter un plomb. J’avais besoin de trouver de nouveaux marqueurs pour montrer à une population straight, à l’hédonisme un peu gratuit, que si elle était tout à fait la bienvenue, elle n’était pas non plus tout à fait chez elle en expérimentant une musique plus violente.
D’un côté, j’avais donc cette musique qui réconforte, rend fort, plutôt américaine et de l’autre, cette puissance nouvelle, « rave », anglaise ou européenne. Petit à petit, j’ai commencé à trouver les pièces du puzzle qui me manquaient, avec des morceaux de XTC, Mr Roy, Gems for Jem, Tall Paul. Et au passage, « Always » de Tin Tin Out. Dans tous ces morceaux, y a vraiment toutes les sensations de qui me font vibrer dans « ma » house, infusés dans un truc plus raw, plus extatique. Les sons très « preset », la discussion intense avec la trance et l’eurodance : j’ai enfin trouvé cette évolution hyper juste et excitante que je cherchais tant.
J’ai très vite découvert ensuite « Strings for Yasmin » de TTO, et toutes ces balles sont devenues des gros marqueurs de mes fins de sets. Il y a un point de rencontre fascinant entre décharges émotionelles et urgence, force de frappe. J’y retrouve aussi une vraie subversion, qui n’était certainement pas là à la base, mais qui prend tout son sens par rapport à ce qui se passe actuellement du côté house des clubs.
Puis un matin, je suis tombé au réveil sur le remix de P.A.S.S.I.O.N. qui ouvre le mix, et j’ai commencé à péter un câble. J’avais à ma connaissance 3 morceaux de Tin Tin Out, et les trois me touchaient au plus profond de moi. Je me suis alors lancé dans ce que je fais jamais, c’est à dire explorer toute la discographie d’un artiste. Et là, la folie, je me suis retrouvé à genoux, tout s’est avéré globalement chanmé. Avec ce fumet discret de la passion, cette sensation étrange d’avoir trouvé un groupe qui change un peu ta vie, un truc qui sera « signature ».
Niveau bio, je suis pas un grand chercheur, mais ce sont des Anglais qui ont commencé à produire vers 1993, 1994. Ça avait l’air de traîner sec dans les studios et les grosses maisons de disques, parce que tu vois, en contrepoint des morceaux « purement » dance, plein de remixes de trucs pop de l’époque, genre des Corrs, ou celui de Des’ree qui vient clore ce mix. Ça donne une impression de commande de sympathie, parce que c’est généralement pas hyper différent des originaux. J’ai trouvé un des deux larrons sur Twitter, il est désormais « Data Scientist », donc on est sûrement en train d’exhumer un passé un peu lointain pour lui.
Dans ce mix, la concentration de morceaux de Tin Tin Out est assez peu digeste, j’en conviens. Ce sont presque tous des bangers de peak time, ambiance « tout dans le rouge », ultra uptempo et ultra chargés. C’est vraiment des pics de feu dans l’usage que j’en fais couramment, j’espère donc que le fait de les avoir rassemblés dans un grand incendie ne rendra pas la brûlure moins sévère. Faut sans aucun doute enfiler ses chaussures de danse les plus confortables et mettre des lunettes de vitesse pour se cogner cette heure furax dans les meilleures conditions.
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A point nommé !