Un disque de R&B lo-fi, quoique contemporain, servi avec ses démos

Taves Akátá
Harsh Riddims Blood Sucking Cassette Co. , 2020
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Musique Journal -   Un disque de R&B lo-fi, quoique contemporain, servi avec ses démos
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Plusieurs facteurs me conduisent à vous parler aujourd’hui d’Akátá, le beau premier EP de Taves, une jeune artiste d’Atlanta, qui sort ces jours-ci sur le label Harsh Riddims Blood Sucking Cassette Co., attachante petite entreprise elle aussi originaire de la capitale de la Géorgie aux États-Unis. Outre son glorieux nom, le label se distingue par un goût sûr et prononcé pour les sons les plus moites et les plus crasseux de la dance music US contemporaine. On vous recommande leur passionnant catalogue (Fit of Body ou Divine Interface en tête), dont l’esprit est assez bien résumé par le nom de l’album de Charolastra qu’ils ont sorti l’été dernier : Hope is Leaving the Club.

Plusieurs facteurs, donc.

1) J’ai été amené à repenser ces jours-ci à Attica Blues, un trio londonien aux beats savants et aux vocals sensuels, simultanément ardents et froids, qui produisait pour le label Mo Wax une espèce de soul à la raideur quasi goth et avait été – il me paraît important de le rappeler – élu par le magazine The Face groupe le mieux habillé d’Angleterre deux années de suite dans la seconde moitié des nineties. J’ai d’abord pensé à vous parler d’eux, avant de me rétracter en réalisant que j’avais envie d’évoquer une musique plus contemporaine. Parce que l’époque fait rage, là, non ? Je ne sais pas si Taves a le sens de la sape, mais sa musique me fait d’une certaine manière penser à celle d’Attica Blues (même si c’est un chouïa tiré par les cheveux, mais je sais que vous me pardonnerez). Ce chant caressant qui tient pourtant l’auditeur à distance, ces productions, certes plus lo fi que celles des Anglais, mais très clairement érudites, ce R’n’B un peu nerdy, sous-tendu de basses faussement indolentes et de beats furieusement précis, et des titres comme « Abject », « Dissonance » ou « Inertia » qui ne respirent pas précisément la joie de vivre mais pourtant la génèrent. Le EP, nous explique le Bandcamp du label, est dédié aux femmes de sa famille et il sert en quelque sorte de catharsis pour Taves. Ça peut, à nous aussi, nous être utile ces jours-ci.

2) Il y a une dizaine de jours, j’ai vu passer dans une story Instagram du label RVNGIntl. une phrase de Peter Ivers – compositeur du mythique « In Heaven », la chanson d’Eraserhead – dont le label a sorti récemment une belle compilation, qui disait : « Demos are often better than records. » (« Les maquettes sont souvent meilleures que les disques. »). Sans être du style à me précipiter sur les éditions 3 CD farcies de rogatons et de fonds de tiroir, je me suis pourtant souvent moi-même fait cette réflexion. Et donc ça tombe franchement bien, car le EP de Taves propose quatre démos en plus des cinq titres définitifs. Les démos étant généralement mises à disposition d’un public déjà acquis, qui maîtrise parfaitement les enregistrements studio, il est finalement assez rare d’appréhender en même temps maquettes et versions définitives. L’exercice est encore plus intéressant quand il s’agit, comme ici, d’une jeune artiste, au sujet de laquelle nous ne connaissons rien ou si peu. Nous sommes vierges, privés des repères qu’un artiste dont nous serions plus familiers nous fournirait, du petit pécule émotionnel perso que l’on aurait accumulé autour de sa musique. Je vous laisse bien sûr seul-e-s juges, mais je ne suis pas loin de penser que la sentence d’Ivers se vérifie à nouveau ici. Les démos, privées du glacis de leurs basses, perdent en ancrage temporel, et ne peuvent compter que sur les paroles et la voix pour dire leur temps et leur vérité. Alors que nous étions au cœur d’un paysage urbain, celui que nous arpentons désormais a quelque chose de presque onirique, ses contours sont moins nets, c’est particulièrement vrai sur « Decant (demo) », hyper beau. Même sur le « Inertia (demo) » final, qui lui possède un beat beaucoup plus rugueux et rentre-dedans que sa version « studio », cette texture rêveuse, ce rendu un peu estompé, fonctionne à merveille.

3) Je ne suis pas sûr qu’il fasse beau aujourd’hui. Comme je me soucie de votre bien-être, je me réjouis par avance de savoir qu’à votre fenêtre, sur votre balcon ou dans votre jardin – et si le cœur vous en dit bien sûr –, vous allez écouter les vingt minutes de ce très chouette Akátá : c’est tout simplement de la musique parfaite pour humer le printemps, confiné ou pas. Ce sera mon vœu pour le « monde d’après » : moins de milices de chasseurs et plus de Taves.

Un commentaire

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