Au dictaphone ou au téléphone, Jean-Marie Massou et Voice Actor mettent la voix au cœur de leur musique

Jean-Marie Massou Sodorome : la misson universelle
Vert Pituite La belle, 2018
Jean-Marie Massou La citerne de Coulanges
Vert Pituite La belle, 2018
Voice Actor Sent from my Telephone
STROOM.tv, 2022
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Musique Journal -   Au dictaphone ou au téléphone, Jean-Marie Massou et Voice Actor mettent la voix au cœur de leur musique
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Cette semaine s’achèvera au musée Art et Marges de Bruxelles l’exposition consacrée à Jean-Marie Massou. Une « figure de l’art brut », pour reprendre les mots du site du musée, essentiellement connue pour avoir son existence durant modelé la forêt dans laquelle il vivait, en y creusant des grottes et des galeries dédalesques, ou en déplaçant, dressant et gravant des tonnes de rochers, mais aussi pour avoir abattu un conséquent travail plastique et musical. Si j’invite chaleureusement celles et ceux qui le peuvent à visiter cette expo tant qu’il est encore temps afin de découvrir l’étendue de son œuvre, j’aimerais me concentrer ici sur sa pratique sonore, qui m’a conduit à me poser bien des questions sur la manière d’écouter, tout en me renvoyant à ma découverte de Voice Actor, dont la musique n’a pourtant a priori pas grand-chose à voir.

À la mort de Jean-Marie Massou, en 2020, plus de 700 cassettes ont été retrouvées. Dans le film documentaire qui lui est consacré, Le Plein Pays, on le découvre dictaphone à la main, trifouillant son poste radio jusqu’à capter quelque chose qui lui plaît, avant de l’enregistrer. Sur la bande se succèdent des bouts de chansons saisis au vol. On le voit ensuite au labeur, dans la forêt, écouter la bande porteuse de ce zapping radiophonique. Il chante par-dessus, ânonne à l’unisson avec cette bande-son. Surtout, on l’entend chanter ses propres créations, en l’occurrence cette chanson incroyable, qui paraît improvisée sur le moment et renvoie, par le caractère narratif et les inflexions de voix, à des chansons traditionnelles de la région. Des paroles, adressée à une certaine Marie-Ange, il est difficile de tirer un sens global ; Massous s’adresse à cette femme et, autour de ses thèmes centraux (l’enfance, l’anti-natalité), évoque des souvenirs difficiles à retracer. Il est l’auteur de plusieurs “complaintes”, apprend-on dans l’exposition, parmi lesquelles celle dédiée à Marie-Ange donc.

Dans un autre film, signé cette fois Antoine Boutet (L’équilibre du fossoyeur, pour l’instant uniquement visible dans l’expo bruxelloise), on peut le voir manipuler ses dictaphones de manière plus poussée. À l’aide de deux appareils, l’un diffusant une backtrack, l’autre enregistrant, il raconte ses histoires, ses rêves, scandés à un rythme obsédant. Massou semble bégayer, répète tantôt les phrases entières, tantôt un élément seul mis en exergue. Ce rythme devient mètre étalon, la prosodie devient le matériau de ces romans racontés/psalmodiés. Il évoque ses visions, son rêve pour la terre, qui lui viendrait d’une visite extraterrestre : arrêter les naissances, rester sur terre en nombre restreint, et vivre une longue vie, aidés par les scientifiques (et les extraterrestres). 

Un sujet qu’il évoque autant que son quotidien, dans un art/artisanat hésitant entre fiction et réalité, qui accompagne sa vie et développe sa vision du monde via de multiples médiums. Ces cassettes réalisées avec soin portent son propos et semblent destinées à être écoutées par le plus grand nombre. Le résultat sonore fascine autant que la démarche, où les accidents et la technique de l’artiste se mêlent dans un résultat des plus convaincants : sautes et coupes dans la bande passant en fond, répétitions, ellipses dans la narration, effets de voix… Difficile d’appréhender l’objet musical à première vue, mais cette musique chantée n’en est pas moins exaltante pour peu qu’on lui laisse le temps de raconter son histoire.

Le sentiment, étonné et dérouté, ressenti face à ces pièces n’a pas été sans me rappeler la découverte de l’album de Voice Actor sorti l’an dernier sur le label Stroom qui, hasard des circonstances, est lui aussi basé en Belgique, plus précisément à Ostende. Liées par ce travail sur la voix, qui dit le quotidien, l’intime, par ces discours situés auxquels il est difficile de tout piger, les deux pratiques m’ont surtout incité dans un premier temps à me demander ce que je pouvais bien être en train d’écouter. Pour Voice Actor, découvert via des canaux bien plus réguliers (et qui figurait dans nombre de bilans 2022), la question reste entière. Field recording ? Poésie sonore ? Art d’un collectionneur qui aurait acheté un téléphone d’occase et récupéré tous ces audios d’une inconnue ? La voix qui court au long des 109 titres interroge. Qui est-elle ? Qu’est-ce que j’écoute au juste ?

Il s’agit de musique, c’est à peu près sûr, on est sur Bandcamp, en terrain connu – un peu étonné·es peut-être, devant cette page proposant 109 titres quand même, sans autre tri qu’un ordre alphabétique. Les premiers présentent une pop toute contemporaine, avec beaucoup d’éléments un peu éclatés, mais somme toute cohérents avec les obsessions du moment. L’ambiance générale est aux nappes ambient, aux textures lo-fi, on y entend parfois des samples moins musicaux : bruits du quotidien, extraits de crib ou de radios de police. Et surtout donc, tantôt claire, tantôt inintelligible, en anglais ou en néerlandais : une voix. Le duo s’appelle Voice Actor, c’était annoncé, mais c’est à l’écoute de cette voix-rambarde dans une ballade au final bien balisée que la magie opère. Soudain, on ne sait plus trop où on est, si une histoire taillée au cutter est en train de s’écrire devant nous ou si on trippe les yeux ouverts. Comme si on s’était endormi devant un film et qu’on regardait à présent ses rêves, nourri des sons de l’action. Musicalement, des éléments entrent et sortent, ici un beat, là un instrument peu commun (un harmonium sur « HHBYTL », du violon et de l’harmonium sur « Dima »), on se laisse guider par cette voix puis on finit par émettre des hypothèses sur la nature du disque. Manuel de développement personnel ? Fiction radiophonique ? Une de ces divagations m’a fait penser à Chip Chan, cette mystérieuse personne recluse en Corée qui se filmait en continu. Les moments les plus dialogués des parties vocales, comme glanés sur une messagerie, nous transforment en espion d’une fiction difficile à resituer, qui se déroulerait dans un monde alternatif aux contours nébuleux.

C’est cet empilement pléthorique qui fait l’intérêt du projet ; on s’y laisse porter, on l’écoute dans n’importe quel ordre, on s’y abandonne, on s’y perd. Il nous appartient de recréer l’histoire (ou les histoires) à notre convenance – comme si finalement cette absence de tracklist établie nous y inviter. Et c’est ce mystère, l’épaisseur d’une fiction tout juste devinée qui à mes yeux porte ce disque et en a fait un de mes favoris de 2022. Voilà pour ces deux corpus que tout sépare – le second étant un projet belge relativement récent, émergeant d’un contexte social bien éloigné du Lot de Jean-Marie Massou – si ce n’est une utilisation troublante de la voix, pas plus folle que la poésie sonore la plus avant-gardiste, mais lorgnant également vers un ailleurs – celui du cinéma, du roman, ou d’espaces encore indéfinis – dont notre seule certitude est qu’il est lointain.

Monsieur Shepp, Archie free à Alger

Le topo : à la pointe du combat décolonial, le festival panafricain d’Alger, 1969. En clôture de celui-ci, une séance d’exorcisme continentale — qui tient aussi de la fanfare d’intersyndicale bien énervée et hétérodoxe —menée par un Archie Shepp alors au summum de l’inspi et bien entouré, notamment par des musicien·nes du coin pas moins inspiré·es. Une session bien jazz, free mais solide, captée sur le vif par Barney Wilen.

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Musique Journal - Heliophobia : Céline Gillain nous parle du soleil, du corps et de la solitude digitale dans un podcast exclusif

Heliophobia : Céline Gillain nous parle du soleil, du corps et de la solitude digitale dans un podcast exclusif

Dans le cadre de la série « Musique et soin » initiée cette année par les Siestes électroniques, l’artiste Céline Gillain a réalisé pour nous un podcast exclusif qui s’intitule Heliophobia. Elle y aborde la présence du soleil, qui brillait beaucoup voire trop pendant le confinement, chez elle, à Bruxelles. Et dérive vers des questions relatives au corps, à la sensibilité, aux plantes et à la pluie. 

Vous entrez dans une zone de ralentissements

Musique Journal a la joie d’accueillir un nouveau contributeur du nom de Thibaut Cessieux qui nous parle d’un mix de Jita Sensation, duo membre du collectif Bruits de la Passion. Il en profite pour évoquer la « slow-dance », ce style musical à tempo raisonné qui depuis quelques années séduit toujours plus de danseurs et danseuses. 

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