Enfin un groupe de parole pour les DJ en préretraite !

TECHNOPOLIS : DJ DEEP, D'JULZ, DJ GREGORY Un podcast écrit par Antoine Molkhou et Julien Véniel, et réalisé par Arnaud Forest
Arte Radio, 2020
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Musique Journal -   Enfin un groupe de parole pour les DJ en préretraite !
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Technopolis est une série de podcasts d’une qualité exceptionnelle produite par Arte Radio. Si je me permets ce titre taquin, vous vous doutez que c’est juste pour attirer l’auditeur avide de ragots et autres récits de déchéance, mais qui entendra beaucoup mieux que ça au cours de ces neuf épisodes. Écrit par Antoine Molkhou (programmateur du Rex) et Julien Véniel (aka D’Julz), il s’agit d’un projet qui fait longuement parler de leur expérience trois figures cruciales du DJing parisien (Deep, Gregory – tous deux en photo ci-dessus aux côtés d’Alex From Tokyo – et donc D’Julz) ayant tous en commun d’avoir démarré à la même époque et dans le même milieu. Je crois que c’est la première fois en France qu’une telle initiative se concrétise et le résultat est précieux et captivant. Car si ça fait un moment que les DJ, français ou étrangers, ne sont plus des artistes anonymes et silencieux, il me semble que c’est encore rare de les entendre s’exprimer avec autant de sincérité et de précision sur leur parcours et leur vocation. Molkhou étant vraisemblablement très proches d’eux, il réussit à les mettre en confiance et, sans que ça tourne non plus à l’interview-confession, les emmène vers des sujets peu abordés dans les médias spécialisés. Le rapport au succès et au non-succès, à la famille ou à la non-famille, aux excès, à l’argent, aux mutations de la dance music et de son public, mais surtout, c’est ce qui m’a plus touché, à la passion du son et du partage, et à ses fluctuations. La réalisation d’Arnaud Forest est tout aussi brillante puisqu’il a intégré énormément d’extraits de morceaux (la plupart signés par les artistes eux-mêmes) pour illustrer le propos – mais il y a aussi un superbe enchaînement George Clinton/Kraftwerk qui donne en quelques secondes une parfaite image sonore de la formule de Derrick May, et rien que pour ça bravo !

Le lien intime et ancien entre l’intervieweur et ses interlocuteurs est donc fertile et il n’aurait pu probablement pu se créer entre un.e journaliste lambda et des DJ plus jeunes qui le ou la rencontreraient pour la première fois. On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de reprocher, dans l’absolu, à Technopolis de s’être concentré sur trois artistes tous masculins, blancs, hétéros et qui défendent une approche du DJing et une esthétique sonore que les deux dernières décennies n’ont pas toujours voulu perpétuer (et je dis ça alors c’est cette approche et cette esthétique qui, à titre personnel, m’a fait tomber amoureux de cette musique au départ). L’idée d’un mix narratif et progressif, qu’on suppose stable en termes de tempo et de styles, n’est de nos jours plus la norme dans les clubs, même si une partie de la jeune génération continue d’y adhérer en l’updatant. Mais je me dis que c’est sûrement un détail de nerd relou et l’essentiel de ce podcast, comme je le disais, c’est la passion exprimée, chacun à leur façon, par les trois protagonistes.

DJ Gregory, on le sait, est ce qu’on appelle un personnage, et je dirais même un personnage d’une sorte de « Comédie Humaine » moderne, avec une façon de parler et de se raconter impossible à imiter. C’est un mec « bigger than life », venu d’à peu près nulle part et qui a sorti des tubes historiques et déclenché sinon des révolutions, du moins des vrais bouleversements dans l’histoire de la house, entre « Elle », Africanism puis la redécouverte de Point G (no pun intended même s’il apprécierait sûrement la coïncidence). Et en même temps, c’est aussi une sorte de mec « humain trop humain », qui malgré ses succès semble ne pas tout à fait avoir assouvi ses désirs de grandeur – même s’il admet très lucidement avoir fait des mauvais choix, s’être comporté comme un petit con au début de son ascension et se dire aujourd’hui plus ou moins inapte à s’adapter. Mais ce qui résonne le plus chez lui et ce qui m’a beaucoup ému, c’est que son coup de foudre conjugué, en 1988, pour « Can You Feel It » de Fingers Inc. et « Can You Party » de Todd Edwards, a l’air d’être encore extrêmement vif. On sent le gars qui, lorsqu’il cherche des nouveaux tracks, espère toujours revivre cette épiphanie – et je le comprends car en tant qu’auditeur, j’ai moi aussi cet espoir secret, malgré les innombrables déceptions. C’est un romantique, un esprit qui a aperçu un, puis des miracles et qui se dit qu’il les recroisera peut-être un jour. Et derrière son narcissisme résiduel et ses sorties dignes de Belmondo dans Le Magnifique (« J’avais fait la connaissance d’une ravissante Moscovite prénommée Natacha… »), il y un artiste immergé presque à son corps défendant dans la musique, et dans ses effets précisément destructeurs d’ego.

Son ami DJ Deep, non moins génial à écouter parler mais dans un genre très différent, explique quant à lui avoir été investi depuis le début dans la house comme un moine au service d’une foi, et semble pour le coup avoir tout de suite trouvé dans le DJing une façon de dissoudre son individualité (et aussi, au passage, son porte-monnaie et son équilibre nutritionnel). Certes, cette individualité persiste parfois chez lui, lorsqu’il se demande par exemple si son enchaînement partiellement raté entre deux disques s’est beaucoup entendu. Mais on le sent tellement engagé dans le son de la house et de la techno que ça en devient vertigineusement émouvant. Lui aussi parle du choc éternel qu’il a ressenti en découvrant cette musique, via Laurent Garnier, et se rappelle l’intensité de son pèlerinage à Detroit et l’importance primordiale de sa mission de transmission. Il dit un truc essentiel, c’est que ses copains et lui allaient écouter un DJ pour l’entendre jouer des choses inconnues. Il souligne aussi une idée dont je n’avais pas conscience jusqu’à ce que Armand Van Helden m’en parle en interview il y a quelques années : c’est que jusqu’au début des nineties, la house et le hip-hop n’étaient pas si opposés que ça, et que Marshall Jefferson ne faisait pas tellement autre chose que A Tribe Called Quest (je continue de ne pas tout à fait comprendre cette remarque). Il avoue sans mal se comporter comme un psychopathe avec l’achat de disques et l’art du mix, et je trouve qu’à 49 ans c’est beau de garder ces obsessions en soi.

D’Julz est quant à lui plus discret, plus pudique, avec une belle voix veloutée et un ton apaisé, et son amour persistant pour la dance music n’en est que plus palpable. Il parle notamment de la satisfaction profonde qu’il éprouve à guider voire à contrôler (avec bienveillance, bien sûr) les danseurs et danseuses à travers ses choix de mix, toujours plus précis à mesure qu’il gagne en expérience. Et c’est vrai qu’on ne songe pas tout le temps à ce que ressent le DJ lorsqu’il réussit à conquérir et emmener un dancefloor là où il juge bon de l’emmener. On voit surtout un ou une pro en train de faire son travail et on oublie parfois qu’il y a derrière ça une âme et un corps qui ont éprouvé préalablement, pour notre bien, les effets de tel disque et tel enchaînement. Il y a quelqu’un qui a pris soin de nous avant même qu’il ne nous connaisse, et avant même que nous sachions que nous en avions besoin. Et qui parfois n’y arrive pas, parce qu’il ne le sent pas ou parce que le public s’en fout, et qui voit donc sa passion mise à mal, banalisée, et son élan se transformer en routine voire en corvée.

Donc voilà, allez écouter cette série, en espérant qu’elle vous émeuve et vous fasse autant rire que moi. Alors oui, d’accord, il faudrait peut-être qu’Arte Radio et son charismatique directeur Silvain Gire poursuivent leurs efforts en produisant d’autres volets de cette série, qui interrogerait des DJ venu.e.s de deux, trois, voire quatre générations qui ont suivi, qui parleraient des énormes évolutions de cette musique et de ses pratiques depuis les années 2000, et qui seraient des femmes, des non-Blancs, et/ou des queers. Mais en attendant, Technopolis reste un document unique en son genre, que tous les gens un minimum passionnés par la dance music en France devraient écouter tout de suite, même si c’est la rentrée.

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