Le troublant témoignage de huit acteurs-chanteurs

Musique Journal -   Le troublant témoignage de huit acteurs-chanteurs
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L’histoire pop de ces vingt dernières années peut nous laisser penser que les actrices et acteurs qui ont un jour décidé de sortir un disque auraient en général mieux fait de ne pas tenter le coup. Mais ce serait ignorer que cet exercice du comédien qui pousse la chansonnette est une vieille tradition française, et qu’il n’a pas toujours donné de si catastrophiques résultats. Rod Glacial a sélectionné pour Musique Journal huit exemples de réussite dans ce sous-genre aussi discutable que savoureux.

JEAN-PIERRE KALFON – « Chanson hebdomadaire » (1965)

Fils de la Haine, Père du Punk et Parrain de l’Underground : on pourrait affubler le vieux Jean-Pierre Kalfon de tout un tas de pseudonymes ronflants. Ici, nous choisirons celui du milieu. Car si Kalfon a toujours été là, tapi dans un coin du cinéma français, à semer la mauvaise ambiance chez des réalisateurs aussi divers que Godard, Lelouch ou Boisset, il a surtout été le visage d’une culture bis française bien plus souterraine. Comme tout le monde au début des années 60, il foule déjà les planches de théâtre et apparaît dans ses premiers films, ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer pour CBS le 45 tours My Friend, mon ami. Outre le morceau-titre composé par le réalisateur Marc’O, le hit du disque est cette « Chanson hebdomadaire », authentique garage voyou où Kalfon raille les unes des journaux de l’époque de sa voix de punk sous cachetons. « Quel émoi! Quel ennui! » La gouaille surprend et préfigure de plusieurs années l’esprit destroy d’un Métal Urbain. Kalfon ne fera pas mieux par la suite, tentant tous les dix ans de nouvelles choses : du punk avec son groupe Kalfon Rock Chaud dans les années 70, de la chanson-rock dans les années 80 et même un album en partie écrit par Boris Bergman en 1993 (Black Minestrone). Bien qu’il n’ait jamais travesti son âme rockab, ses premières armes restent néanmoins les plus tranchantes.

VALÉRIE LAGRANGE – « Si ma chanson pouvait » (1971)

Cette intro bordel ! Ça joue là ! Désolé mais dans la catégorie dont on parle, c’est autre chose que « Bombe anatomique » de Valérie Mairesse ! Et Dieu sait que j’aime ce morceau. De Valérie Lagrange, j’étais resté sur des singles très typés 80, qu’elle avait sortis à la pelle chez Virgin. Après des débuts classiques au cinoche, Valoche s’est vite éprise de la contre-culture en ébullition et on la retrouva aussi bien dans les films de Bénazéraf, Clémenti, Garrel que dans le classique La Vallée de Barbet Schroeder (avec Kalfon aussi, d’ailleurs). D’où cet hymne hippie façon Janis Joplin clean, sorti chez BYG en 1971 avec les zicos anglais de Hookfoot, futur Elton John Band. Un disque qui peut paraître une anomalie au vu de sa discographie – des débuts yéyé, une curieuse orientation reggae à la fin des seventies, avant de sombrer dans la variété – mais quand on connaît le personnage et les aléas du showbiz, cette trajectoire ne surprendra personne. « Si ma chanson pouvait » existe aussi en version reggae, avec un accent beaucoup plus étrange. Appropriation culturelle ? Je ne crois pas. Mais je me pose quand même la question. Et je vous la pose.

TICKY HOLGADO – « Je vis comme j’ai envie » (1975)

Je vois déjà les sourcils haussés. Oui, Ticky Holgado reste inséparable des comédies graveleuses de Max Pécas et cet éternel idiot (sensible) du village du cinéma français. Déjà, et alors ? Et puis, connaissez-vous le Ticky Choc, le Ticky Rock ? Monté à la capitale pour percer, le Ricky Nelson de Toulouse s’est vite retrouvé dans les petits papiers de Claude François, Johnny Hallyday, Jimi Hendrix (oui) et fut même un temps manager des Martin Circus. Il a participé en parallèle à plusieurs groupes entre pop et psych-rock (Doc’daïl, Foxes, Watson) qui ne sortiront que quelques singles pas vraiment inoubliables. C’est en 1975 que Tiky sans C s’envole en solo pour un seul et unique 45 tours publié chez Vogue. Après une intro où l’on craint le pire, il entame direct : « Je ne mets pas de paillettes sur mes fringues / Je m’habille comme les mômes de ma rue« , paf ! Déclaration d’amour à la liberté et au rock sur un son glam auquel il n’emprunte que les artifices, des choeurs féminins et un peu de piano. Une prestation loubarde qui annonce les figures du “mob rock” comme Soda Fraise et Calcinator, ou le « Ok Cafard » de Gérard Depardieu. La partition dérape à la fin lorsqu’il avoue qu’on peut faire son tiercé et quand même être rock’n’roll. Aïe. Un dérapage déjà amorcé sous la forme d’un autre pseudonyme en 1974, Léon, et son horrible « C’est chouette les clubes ». RIP.

ÉTIENNE CHICOT & MAMI WATA – « En Côte d’Ivoire, vas-y voir » (1980)

De tous les zélés de la variété française ayant chanté les louanges du continent sauvage, celui dont la démarche semble la moins grotesque aujourd’hui n’est pas issu de la musique mais du cinéma. Etienne Chicot, célèbre second couteau des années 70 et 80 (Le Choix des armes, Mortelle randonnée, Subway, Fréquence meurtre) régulièrement dans des rôles proches des métiers du showbiz, franchit le pas sur un premier album solo, direct, en 1978. Avec des titres comme « Vieux », « Ma frangine et ma copine » ou « Montreuil sous Bois », on aurait eu tort de prendre Chicot pour un Renaud bis. À raison, trois ans après ce disque qu’on imagine un échec commercial, Chicot revient avec un album… ska ! Accompagné d’un groupe tirant son nom d’une divinité vaudou, avec Daniel Balavoine et Patrick Bouchitey aux choeurs, Chicot interroge son rapport à l’Afrique. D’abord sur le single « Ma maladie est tropicale » et sur deux autres morceaux phares : « Je suis qu’un ovni dans mon pays » (où il invente au passage le synth-ska) et ce dissonant « En Côte d’Ivoire, vas-y voir » où il rivalise d’humour en usurpant le parler local. Appropriation culturelle ? On a déjà eu ce débat, je crois. L’intéressé ne pourra rien nous confirmer, il nous a malheureusement quittés en 2018.

ANICÉE ALVINA & ICI PARIS – « Le ver interplanétaire » (1983)

Découverte par Michel Audiard en 1969, Anicée Alvina marquera les années 1970 par sa dextérité à jongler entre le cinéma bien-de-chez-nous (au hasard, Le Trouble-Fesses) et les films d’Alain Robbe-Grillet. C’est surtout sa beauté cinématique, quelque part entre Carole Laure et Caroline Cellier, qui l’a inscrite dans le paysage français pour l’éternité. Voyant que sa carrière sur le grand écran ne décollait pas trop au début des eighties et sans doute séduite par le monde sulfureux des zicos, Anicée sortira un 45 tours produit par Jay Alanski en 1982, un disque dont l’héritage reste à définir. Puis elle rejoindra un groupe de punkabilly, Ici Paris, après le départ de sa première chanteuse, Marie Alcaraz. Dans un délire Cramps à la française, le groupe publia un premier album chez Gaumont Musique en 1982, Allô le monde, avant l’arrivée d’Anicée. Elle essaiera de perpétuer ce style mi-enfantin mi-apocalyptique (à la manière de leur concurrent direct de l’époque, Edith Nylon) le long de deux singles, en vain. Après une tentative de reformation du groupe au début des années 2000, Anicée Alvina décédera d’un cancer en 2006. 🙁

ÉLISABETH WIENER – « Sous ma douche » (1984)

Après un premier single intitulé « Hara Kiri Eleïsson » (dont certaines envolées lyriques font penser à certaines chanteuses en A comme Armande Altaï ou Arielle Dombasle…), on ne sait pas trop ce qu’il s’est passé avec Elisabeth Wiener. Fille du pianiste et compositeur Jean Wiener, elle avait tout pour gagner, et pourtant, qui se souvient aujourd’hui de ses 3 albums enregistrés pour Virgin entre 1980 et 1984 ? Personne. Dispersée entre le théâtre, le cinéma et la musique, la célèbre victime de Laurent Terzieff dans l’aliénant film de Clouzot La Prisonnière brille désormais dans le doublage. Tout est possible. Si j’ai envie de me souvenir d’elle en 2019, ce n’est pas pour son groupe de new-wave Phoenix, auteur d’un rare album il y a 40 ans, ni pour sa bande-son du film Cap Canaille de Juliet Berto, mais c’est pour ce titre drôlement efficace, mélangeant Asiaphilie, scratch, second degré et synth-pop avec un message simple et clair : laissez-la vivre sous sa douche. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’ensemble de l’industrie musicale depuis 1984.

GABRIELLE LAZURE – « Open Up Your Eyes » (1989)

Mais qui est donc Gabrielle Lazure ? Une actrice franco-canadienne, donc bilingue, qui a débuté sa carrière au tout début des années 80 à la télé et au cinéma. A la différence de nombreuses actrices 80, sa carrière ne s’est pas éteinte à l’orée des années 90, et elle tourne toujours aujourd’hui. En 1986, elle décide de se lancer dans la musique avec un premier single, « Parking Lot Girl », composé par Gabriel Yared, qui laisse un goût amer à l’oreille. Le truc n’était pas au point. Trois ans plus tard, elle réitère l’expérience sur un vrai album de 7 morceaux, publié, excusez-moi de vous demander pardon, par Les Disques du Crépuscule, fameuse enseigne belge qu’on ne présente plus. Si ? OK : le label fut longtemps le pendant continental de Factory en Angleterre. Bref, pas de post-punk pour Miss Lazure ici mais un morceau d’entrée qui fait le job, avec sa guitare sophisti-pop et un timbre de voix mi-troublée mi-troublante qui la fait entrer de plein fouet dans la décennie unisexe. Passant de la ballade celtique « Amnesia » à des choses plus soft-rock, l’album se termine sur un très beau « Round The World » qui rappelle, de loin, les groupes élégants du courant californien Paisley Underground. Un disque inégal mais loin d’être désagréable. Dispo en entier sur YouTube !

VALÉRIE LEMERCIER – « Bungalow » (1996)

Beaucoup plus concluant que l’album trip-hop de Carole Laure sorti à la même époque (Sentiment naturels), beaucoup plus fluide que l’album néo-baroque de Jeans-Louis Murat et Isabelle Huppert (Madame Deshoulières), cette association entre le producteur easy-listening Bertrand Burgalat et l’actrice des Visiteurs Valérie Lemercier est un exemple qui prouve que passer de l’écran au disque ne relève pas seulement de la blague. En tous cas, ceci peut être une blague bien faite. Inutile de vous présenter les protagonistes de cette histoire mais rappelons tout de même qu’après avoir été plusieurs années en couple (à l’image de Benjamin Biolay et Chiara Mastroianni qui sortiront l’album pantouflard Home en 2004), Burgalat et Lemercier se sont séparés juste après la publication de cet album à deux, et que c’est d’ailleurs après cet épisode que Burgalat se lancerait en solo. Donc qu’est ce qu’on dit, merci Valérie ? On peut, oui, à l’écoute d’un des meilleurs titres de cette collab, « Bungalow », son intro techno, ses arrangements Trente Glorieuses et son chant chenapan qui nous feraient presque regretter l’abandon de Paris-Plages. Non, je déconne. Le reste de l’album est sur YouTube, allez salut !

Les années 2000 se partageant entre les albums Mélanie Laurent, Emmanuelle Seigner (non sans rappeler celui de Valérie Lemercier) et Tchéky Karyo (no offense hein), une collaboration Adam Cohen + Virginie Ledoyen ainsi qu’une plus tardive entre Marion Cotillard et Franz Ferdinand, je propose que nous en restions là. Pour l’instant.

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