Bad trip au coin du feu avec Olivier Bloch-Lainé

Olivier Bloch-Lainé Des mots
CBS/Marginal, 1976
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Olivier Bloch-Lainé a passé le plus clair de sa carrière à travailler pour d’autres artistes, d’un côté comme parolier, notamment pour les premiers Brigitte Fontaine, et d’un autre comme producteur et ingénieur du son. Il s’occupe d’ailleurs toujours aujourd’hui du studio La Frette, dans les Yvelines. Son seul album solo, Des Mots, me fascine depuis que je l’ai découvert l’été dernier. En surface, il semble a priori rassurant et confortable, dans des teintes disons « jazzy » voire « folky », typiques d’une espèce de variété psychédélique de l’époque, mais l’ambiance est vite rendue fébrile par la voix doucement hallucinée de Bloch-Lainé, ses textes sibyllins et l’impression générale de double-fond que suscite l’écoute répétée du disque. Ça me fait beaucoup penser à If I Could Only Remember My Name de David Crosby, d’autres ont comparé Des Mots à certains travaux de Daevid Allen, Robert Wyatt ou Colin Blunstone et c’est en effet parfois la même sensation de descente au coin du feu qui s’en dégage, un sentiment existentialiste de retour et réduction au réel qui donne l’impression horrible et banale qu’il n’y a hélas plus que ça à voir, que derrière les choses il n’y a rien, en dehors du souvenir fugace des illusions qu’on a projetées sur elles.

Sur certains morceaux, c’est un peu plus gai, un alliage d’enthousiasme et de fragilité assumée, avec des thématiques très babos sous acides mais sans l’angélisme et les petites fleurs. Un morceau s’appelle « Le magique escalier », je crois que j’ai à peu près compris la métaphore – « Magique escalier où veux-tu m’emmener ? Je commence à monter sur toi pour ne plus jamais m’arrêter », et un autre, « Il est là », m’a l’air de parler d’une expérience genre « stade du miroir » qui dégénère, les paroles ont quelque chose de presque terrifiant, et en même temps il y a quelque chose de drôle, de dérisoire dans la révélation phénoménologique chantée par Bloch-Lainé.

Le charme crépitant, pour ne pas dire carrément braisé, de Des Mots doit aussi à Georges Rodi, un spécialiste des claviers et synthés qui jouait avec à peu près tout le monde à l’époque en France, et dont j’aurai l’occasion de reparler. Ses nappes d’Arp Odyssey et ses licks de Fender Rhodes donnent aux compositions de Bloch-Lainé un halo trouble, une consistance presque trop mûre, écœurante. Le reste du personnel n’en est pas moins recommandable dans la catégorie requins de studio de la variété française. On a notamment Claude Engel, guitariste qui débuté dans Magma puis collaboré avec entre autres Gotainer, Berger ou Cabrel à la fois en tant qu’instrumentiste et arrangeur, et, par ailleurs, auteur d’un album sous son nom, pas très éloigné de Des Mots, d’ailleurs lui aussi sorti en 1976 sur le même label lancé par CBS, Marginal. À la batterie, c’est Jean Schulteis qui signerait quelques années plus tard le tube « Confidence pour confidence ». On croise aussi Jean-Pierre Alarcen, autre gratteux très prisé, qui a commencé dans le visiblement légendaire Système Crapoutchik avant de jouer pour des gens aussi divers que François Béranger ou Touré Kunda. Et sur un morceau, aux chœurs, il y a carrément Gilbert Montagné, que l’on considérait encore à l’époque comme le Stevie Wonder français (et vous vous rendrez compte quand vous jetterez une oreille sur ses disques des années 70 que la comparaison ne tient pas qu’à leur commune cécité).

Des Mots n’a jamais été réédité et se vend aujourd’hui un peu cher. Certains diront que la pochette signée Folon, célèbre dessinateur belge mort en 2005, y est pour quelque chose, mais je refuse de les croire : le crépuscule hippie orchestré par Bloch-Lainé et ses amis suffit à faire de cet album un vrai trésor de cette scène française des années 70, qui s’empare des genres et des références avec un curieux mélange de maîtrise technique et d’inspiration psychotrope.

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