Six trésors du post-rock stéphanois

Musique Journal -   Six trésors du post-rock stéphanois
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Il doit certainement y avoir des disciples de Mogwai ou Slint à Saint-Etienne, mais ce ne sont pas d’eux dont je voudrais parler aujourd’hui. Ce que j’entends en fantasmant sur ce post-rock stéphanois, c’est un chapelet très informel d’artistes que j’ai découverts en creusant Discogs un peu au hasard, et parmi lesquels on compte, entre autres, plusieurs habitants de Saint-Etienne dont certains morceaux préfigurent ce qu’on appellerait ensuite le post-rock. Ce n’est pas une scène clairement identifiée par des anthologies ou des livres, même si elle est en général assimilée au monde des musiques dites « libres », à l’héritage de l’underground radical post-68, au free jazz, au prog intello. C’est un monde qui se maintient encore en France, avec ses figures récurrentes, ses salles et ses festivals, et que je n’avais jamais bien exploré jusqu’ici, surtout parce que je me disais qu’il ne proposait que des choses trop exigeantes pour un auditeur tel que moi, en quête de groove et de mélodies. Je me trompais et c’est tant mieux, car j’y ai découvert des choses qui font rêver d’une espèce d’univers parallèle, de monde renversé de la musique francophone de cette époque. On pourrait presque croire que tout ça n’a jamais existé et que les chansons sont des faux, des reconstitutions fantaisistes, mais non : tout cela a bien été publié jadis.

Tous excellents instrumentistes, ces artistes frayaient peu dans la scène rock et new-wave française, mais ne tenaient pas pour autant à s’intégrer au circuit du jazz hexagonal. Ils ont pourtant beaucoup tourné, mais sans songer à faire carrière, et s’investissaient régulièrement dans des projets uniques, des groupes d’un seul disque. On devine qu’il s’agit de gens plus libres que la moyenne, qui se fichent de ce qu’on pourra penser de leur travail et qui n’ont jamais peur de tenter des choses, quitte à se perdre en route. C’est cette façon de privilégier le jeu, dans les deux sens du terme, qui donne à leurs compositions un charme sans équivalent, comme un sens du présent.

Voici donc, en vrac même s’ils sont tous plus ou moins liés, quelques trésors de ce post-rock par anticipation, pas toujours stéphanois, mais en tout cas francophone. Je vous souhaite d’en apprécier autant que moi la poésie maladroite et téméraire.

L’Empire des Sons est un groupe stéphanois, pour le coup, composé notamment de la bassiste Christiane Cohade, du batteur Dominique Lentin et de sa sœur Isabelle aux claviers – tous deux les cadets de Jean-Pierre Lentin, décédé en 2009 et connu pour son implication aux côtés de Jean-François Bizot dans Actuel et Radio Nova. J’adore leur premier album, enregistré à Montbrison, autoproduit et non daté, où l’on entend des marimbas, du kalimba, du xylophone, du violoncelle ou du bandonéon. Ça peut faire penser à Aksak Maboul, il y a cette idée de Fourth World, de musique folklorique imaginaire, mais j’ai surtout trouvé que ça anticipait beaucoup ce groupe anglais né dans les années 90 que je pensais pourtant unique en son genre : Pram.

Ferdinand Richard a travaillé avec Dominique Lentin ou Christiane Cohade dans les années 80 et 90 mais sa carrière a démarré beaucoup plus tôt avec Etron Fou Leloublan, groupe post-soixante huitard un moment installé dans les montagnes ardéchoises, en général associé à la mouvance européenne Rock In Opposition, dont faisaient notamment partie les Britanniques de Henry Cow. C’est un artiste à la fois déconneur et engagé, au sens où ses textes sont plus versés dans les blagues absurdes que dans la dénonciation, mais qu’il a quand même passé l’essentiel de sa vie en marge de l’industrie discographique. Il a monté un festival en 1986, le MIMI à Saint Rémy-de-Provence, pour y inviter des musiciens dans le même état d’esprit que lui, tels que Pascal Comelade, Joseph Racaille ou Charles Hayward. En 1991, il a publié le premier album de son projet Ferdinand et les Philosophes, dont l’extrait ci-dessus résume plutôt bien son style : une construction pas très linéaire mais pas trop compliquée non plus, un goût pour l’instable et des paroles qui me font bien rire.

La même année Ferdinand a sorti un autre disque, Dropera, avec son ami Fred Frith, ancien guitariste de Henry Cow et personnage majeur des musiques improvisées. C’est un album plus ou moins conceptuel, une pseudo-tentative d’opéra, une histoire de restaurateur embarqué dans une intrigue de thriller à laquelle on ne comprend pas tout, mais qui aurait pu faire un super sketch du Centre de visionnage. Musicalement c’est assez déstabilisant aussi, on dirait un mélange de romantisme et de stress, avec des synthés, des boîtes à rythmes et des élans d’émotion auxquels on s’attache très vite malgré le contexte délirant.

Guigou Chenevier était le batteur d’Etron Fou Leloublan et comme Ferdinand il a mené sa carrière en toute liberté, ce qui l’a notamment conduit à sortir en 1984 un album intitulé À l’abri des microclimats avec Sophie Jausserand, une illustratrice dont c’est ici la seule œuvre musicale. C’est un disque qui semble se tenir entre deux époques et deux esthétiques : d’un côté, c’est une sorte de chanson free jazz, très marquée années 70 voire 60, avec des textes satiriques et subversifs, et de l’autre, c’est un son plus toxique, qui évoque le rock de loft new-yorkais des années 80. Je vous invite par ailleurs à écouter son disque pour enfants, Arthur et les robots, qui se trouve par miracle être sur Spotify et Deezer.

On y retrouve encore la bassiste Christiane Cohade, dont le remarquable album solo À voix basse, publié en 1993 – mais hélas pas disponible sur YouTube ni nulle part en streaming – surprend lui aussi par sa façon de faire coexister des choses pas forcément voisines : en l’occurrence, un jeu et une tension vraiment post-rock, avec des paroles énigmatiques et un chant parfois déclamé comme jadis, dans les cabarets de la rive gauche. L’accompagnent d’ailleurs Guigou Chenevier et Ferdinand Richard, ainsi qu’un batteur helvète du nom de Gilles-Vincent Rieder.

Rieder avait auparavant enregistré avec une formation suisse nommée L’Ensemble Rayé, qui elle aussi se balade sur ces terrains non balisés avec une joie de jouer qui affleure tout de suite, c’en est émouvant. Fondée par Cédric Vuille et Jean-20 Huguenin, cette fanfare de Neufchâtel  cultive un certain penchant pour les traditions balkaniques ou italiennes. D’habitude, ce genre de choses n’est pas ma tasse de thé mais là ça marche très bien, sans d’ailleurs que je puisse dire pourquoi. Peut-être parce qu’ils ne se prennent pas pour autre chose que des Suisses, ou qu’ils savent aussi interpréter avec grâce, sur leur premier album (écoutable sur Spotify ou Deezer) cette composition du regretté violoncelliste Tom Cora, mort en 1998.

Pour terminer, encore un Suisse, avec un morceau spécialement conçu pour le blues du dimanche soir, un tube RFM si ce n’était sa production embuée. Fizzè alias Victor de Bros est un camarade de Rieder et de l’Ensemble Rayé, qui a sorti en solo le fantastique Kulu Hatha Mamna en 1986, avant de faire du dub et du reggae dans un groupe appelé Peeni Walli. PAM d’Okonkole y Trompa en a déjà parlé voici quelques semaines mais je me permets d’en remettre une couche. L’album est dingue, avec une approche Fourth World assez différente de celle de l’Empire des Sons, plus organique, on se sent comme immergé dans une matière mousseuse, c’est quelque chose. Il y a en outre une reprise du titre « Odessa » d’Aksak Maboul, ce qui nous ne étonnera pas trop, vu que Fizzè semble partager avec ses confrères belges la passion de crypto-ethnomusicologie.

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