Je ne vais pas ici essayer de convaincre la majorité d’entre vous qui a priori ne doivent pas tellement adhérer au R&B classique et encore moins, j’imagine, au R&B classique français. Je voudrais juste vous parler brièvement de cet album de Vibe, chanteur surtout connu pour son tube « No Blaggada » mais qui sur ce disque prend des routes moins funky, ou disons moins légères. Ça ne veut pas dire qu’il donne dans d’épaisses balades pour coeurs brisés, mais les paroles évoquent entre autres choses la solitude, la trahison, l’amertume. On sent dès le début que Vibe, de son vrai nom Pascal Gassion, en a vraiment gros sur la patate, qu’il a dû vivre des choses traumatiques, et pas seulement en amour – voire un peu moins en amour qu’en amitié ou en famille, puisqu’il s’adresse plus souvent à un « vous » qu’à un « tu ». On entend par ailleurs quelques textes plus egotrip ou plus salaces, généralement rappés plus que chantés. Ce côté thématiquement hétéroclite et parfois allusif, sinon sibyllin, ne pose pourtant pas de problème puisque l’ensemble du projet est tenu par une voix, une réalisation et des compositions de leur côté extrêmement homogènes.
L’attrait principal, la grande curiosité de Confessions, c’est ce son R&B très clair, voire ligne claire, en partie live mais pas vraiment nu-soul. On devine une qualité d’exécution et d’arrangements plutôt rare à ma connaissance sur ce marché à l’époque. Un marché dont je dois admettre que je ne le maîtrise pas tant que ça, mais si je me fie aux quelques tubes avec chanteuses du premier âge d’or du rap hexagonal, et aux quelques souvenirs que j’ai d’artistes ou compilations consacrés au genre à l’époque, je dirais qu’il se dégageait de ces productions une volonté de sonner frontal, cainri, souvent synthétique, qui a pu donner des trucs super comme certaines chansons de K-Reen ou encore « Mauvais Garçon » d’Assia et Gynéco, mais qui n’avaient rien à voir avec la délicatesse et la sobriété mélancolique des instrumentaux réalisés par Vibe et ses partenaires sur Confessions. Leur caractère si particulier vient de ce mélange, d’abord déconcertant, d’humilité et de savoir-faire, et surtout de majesté et de tristesse inconsolable. Cette tristesse envahit tellement l’espace que même une fois passée sa première grosse vague, elle reste imprégnée partout et donne à tous les titres une couleur qui évoque parfois les tentatives de variété jazzy/downtempo/trip-hop sorties vers la même époque, comme Ollano ou Atlantique, mais avec moins de vernis.
Si on peut trouver parfois maladroites l’écriture et l’interprétation de Vibe, qu’on peut être agacé par certains tics et certains gimmicks, c’est en revanche difficile de nier la pure présence de Gassion au micro, la texture impudique de sa voix, la beauté à fleur de peau de ces Confessions. C’est là qu’on voit qu’il est fort, qu’il met la barre très haut, puisque la richesse de sa proposition fait oublier ces petits détails contingents – parfois, c’est à ça qu’on reconnaît la vraie bonne musique, non ? Surtout, c’est un album qui tient incroyablement la longueur. En dehors de l’excursion latine hors-sujet de “Fille de Paname” et du featuring moyen de Mark Middleton, les chansons s’enchaînent avec une merveilleuse fluidité, les variations entre chant et rap sont bien équilibrées (même si le premier domine, le second est hyper maîtrisé, c’est jamais le malaise du “chanteur qui s’essaie au rap”) et la promesse de musicalité – ce terme galvaudé mais qui ici se justifie – est totalement honorée.
Alors pourquoi ce premier LP de Vibe n’a pas marché aussi bien que prévu, je ne saurais trop le dire, mais je crois qu’il n’était peut-être pas à sa place à l’époque de la ruée vers l’or du rap français et des musiques “urbaines”. Tout simplement parce que c’est pas un disque tout à fait urbain, mais plutôt une œuvre extrêmement personnelle, tant du côté de l’artiste que de celui de ses auditeurs. C’est le genre d’album de chevet qui s’écoute en solitaire et qui accompagne les auditeurs toute leur vie ou presque – et ça les commentaires Deezer le prouvent. Pour moi, il n’a pas du tout vieilli, parce qu’il n’abusait pas trop des effets à la mode en ce temps-là, mais aussi parce qu’il offrait et offre encore la vision d’un garçon unique et sûr de son art, qui avait compris qu’en en faisant pas trop, il marquerait les esprits à sa façon. J’espère que ce post permettra de contribuer à sa nouvelle reconnaissance.
3 commentaires
Etienne je t’aime et je suis si heureux de lire tes mots.
merci quentin gros bisous
https://archive.org/details/78_chimes-yodel_chet-tyler_gbia0009991a/_78_chimes-yodel_chet-tyler_gbia0009991a_02_2.3_CT_flat.flac
Les origines de l’auto tune (si cher au R n B) ?